Critique
"Abel" : portrait sensible d'une famille sans père
11.01.11
C'est un drôle de petit garçon. On dirait qu'il a lu le poème de Rudyard Kipling en commençant par la fin, qu'il sera un homme sans se soucier de remplir toutes les conditions que pose la vie. A 9 ans, Abel (Christopher Ruiz-Esparza) sort de l'hôpital où il était suivi en psychiatrie pour un mutisme tenace. Dans une grande maison, perdue en une vague banlieue, il retrouve sa mère, Cecilia (Karina Gidi), sa grande soeur, Selena (Geraldine Alejandra), et son petit frère, Paul (Gerardo Ruiz-Esparza).
Les familiers du jeu des sept familles auront à peine eu le temps de noter l'absence d'un père qu'Abel retrouve la parole et se met à dire la loi dans la maisonnée. Au cinéma, il est facile de faire peur avec des enfants. Abel inquiète comme aucun autre. Il n'a pas besoin de tourner la tête à 360 degrés ou de pousser sa soeur du haut d'une falaise, il lui suffit de prendre une place qui n'est pas la sienne, celle du père.
Parce que sa mère est trop heureuse d'entendre à nouveau la voix de son fils, la famille tolère ce délire qui s'installe peu à peu dans la vie quotidienne. Pour son premier long-métrage, l'acteur Diego Luna( Y tu mama tambien, Harvey Milk, etc.) a inventé cette histoire étrange qui est aussi bien une fable évoquant un pays à la dérive que la chronique intime d'une enfance.
Le scénario, que Luna a cosigné avec Augusto Mendoza, envisage avec obstination toutes les conséquences de la conduite d'Abel. Il en est de comiques, quand il jauge le petit ami de Selena. D'autres suscitent délibérément le malaise, lorsqu'il veut partager le lit conjugal avec sa mère. Il n'est pas seulement question ici de mécanique, d'absurdité. La folie du petit garçon agit aussi comme un révélateur sur les autres personnages, tous traités avec attention et respect.
L'absence du père
La mère, en premier lieu. Elevant seule ses trois enfants, courtisée par le médecin qui suit Abel, Diego Luna en fait une femme forte et désirable, qui se débat dans le chaos provoqué par l'absence du père. Sur la raison de cette dernière, le doute pèse assez longtemps, jusqu'à ce qu'Anselmo (José Maria Yazpik) fasse son apparition, au volant d'un pick-up, qu'il est censé avoir acheté au nord du Rio Bravo.
Ce n'est pas tout à fait un méchant, c'est quand même contre cette figure de père défaillant que se construit le film. L'interprète lui prête une veulerie doublée de violence, qui en fait un peu une figure de proue du machisme local. Sa mollesse incertaine s'oppose à la résolution de marbre de son petit garçon, dont la présence impressionne.
La mise en scène de Diego Luna met en valeur les tensions, utilisant à peine le potentiel comique des situations (mais assez pour que l'on rie de temps en temps), se concentrant sur les émotions et - surtout - les souffrances de sa petite famille. La crise finale utilise l'un des procédés les plus ordinaires lorsqu'il s'agit de raconter des histoires d'enfants : la mise en danger des petits personnages.
Mais, en sortant longuement de cette belle et triste maison pour se promener dans les espaces incertains d'une grande ville du Mexique, Diego Luna donne à son film une nouvelle ampleur au moment où l'asphyxie le menaçait.
Toujours sur le fil entre l'affabulation perverse et le réalisme, Abel se tient à l'écart des deux influences qui dominent aujourd'hui le cinéma mexicain, Robert Bresson (Carlos Reygadas, Amat Escalante, Fernando Eimbcke) et Hollywood (Alejandro Gonzalez Iñarritu, Alfonso Cuaron). Entre les deux, Diego Luna a commencé à tracer un chemin prometteur.
Voir la bande-annonce ici
Film mexicain de Diego Luna avec Christopher et Gerardo Ruiz-Esparza, Karina Gidi, José-Maria Yazpik. (1 h 23.)
Thomas Sotinel
"Abel" : portrait sensible d'une famille sans père
11.01.11
C'est un drôle de petit garçon. On dirait qu'il a lu le poème de Rudyard Kipling en commençant par la fin, qu'il sera un homme sans se soucier de remplir toutes les conditions que pose la vie. A 9 ans, Abel (Christopher Ruiz-Esparza) sort de l'hôpital où il était suivi en psychiatrie pour un mutisme tenace. Dans une grande maison, perdue en une vague banlieue, il retrouve sa mère, Cecilia (Karina Gidi), sa grande soeur, Selena (Geraldine Alejandra), et son petit frère, Paul (Gerardo Ruiz-Esparza).
Les familiers du jeu des sept familles auront à peine eu le temps de noter l'absence d'un père qu'Abel retrouve la parole et se met à dire la loi dans la maisonnée. Au cinéma, il est facile de faire peur avec des enfants. Abel inquiète comme aucun autre. Il n'a pas besoin de tourner la tête à 360 degrés ou de pousser sa soeur du haut d'une falaise, il lui suffit de prendre une place qui n'est pas la sienne, celle du père.
Parce que sa mère est trop heureuse d'entendre à nouveau la voix de son fils, la famille tolère ce délire qui s'installe peu à peu dans la vie quotidienne. Pour son premier long-métrage, l'acteur Diego Luna( Y tu mama tambien, Harvey Milk, etc.) a inventé cette histoire étrange qui est aussi bien une fable évoquant un pays à la dérive que la chronique intime d'une enfance.
Le scénario, que Luna a cosigné avec Augusto Mendoza, envisage avec obstination toutes les conséquences de la conduite d'Abel. Il en est de comiques, quand il jauge le petit ami de Selena. D'autres suscitent délibérément le malaise, lorsqu'il veut partager le lit conjugal avec sa mère. Il n'est pas seulement question ici de mécanique, d'absurdité. La folie du petit garçon agit aussi comme un révélateur sur les autres personnages, tous traités avec attention et respect.
L'absence du père
La mère, en premier lieu. Elevant seule ses trois enfants, courtisée par le médecin qui suit Abel, Diego Luna en fait une femme forte et désirable, qui se débat dans le chaos provoqué par l'absence du père. Sur la raison de cette dernière, le doute pèse assez longtemps, jusqu'à ce qu'Anselmo (José Maria Yazpik) fasse son apparition, au volant d'un pick-up, qu'il est censé avoir acheté au nord du Rio Bravo.
Ce n'est pas tout à fait un méchant, c'est quand même contre cette figure de père défaillant que se construit le film. L'interprète lui prête une veulerie doublée de violence, qui en fait un peu une figure de proue du machisme local. Sa mollesse incertaine s'oppose à la résolution de marbre de son petit garçon, dont la présence impressionne.
La mise en scène de Diego Luna met en valeur les tensions, utilisant à peine le potentiel comique des situations (mais assez pour que l'on rie de temps en temps), se concentrant sur les émotions et - surtout - les souffrances de sa petite famille. La crise finale utilise l'un des procédés les plus ordinaires lorsqu'il s'agit de raconter des histoires d'enfants : la mise en danger des petits personnages.
Mais, en sortant longuement de cette belle et triste maison pour se promener dans les espaces incertains d'une grande ville du Mexique, Diego Luna donne à son film une nouvelle ampleur au moment où l'asphyxie le menaçait.
Toujours sur le fil entre l'affabulation perverse et le réalisme, Abel se tient à l'écart des deux influences qui dominent aujourd'hui le cinéma mexicain, Robert Bresson (Carlos Reygadas, Amat Escalante, Fernando Eimbcke) et Hollywood (Alejandro Gonzalez Iñarritu, Alfonso Cuaron). Entre les deux, Diego Luna a commencé à tracer un chemin prometteur.
Voir la bande-annonce ici
Film mexicain de Diego Luna avec Christopher et Gerardo Ruiz-Esparza, Karina Gidi, José-Maria Yazpik. (1 h 23.)
Thomas Sotinel
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