ENTRETIEN L’ anthropologue décrypte le sens de cet interdit présent depuis des millénaires dans toutes les cultures. L’humanité, souligne-t-il dans un entretien au « Monde », est la seule espèce qui pose consciemment et socialement des limites à sa sexualité.
Le livre de Camille Kouchner La Familia grande (Seuil, 208 pages, 18 euros) a relancé le débat sur l’inceste au point que le législateur souhaite instaurer un principe intangible de non-consentement lorsque les victimes des viols intrafamiliaux sont âgées de moins de 18 ans. Quelles sont les origines de la prohibition de l’inceste ? Ce tabou est-il universel, comme l’affirmait l’anthropologue Claude Lévi-Strauss ? Ses contours varient-ils dans les différentes sociétés humaines qui ont peuplé ou qui peuplent encore la planète ? Nous avons posé ces questions à l’un des plus grands anthropologues du monde, Maurice Godelier, ancien directeur scientifique du département des sciences de l’homme et de la société du CNRS, et auteur d’un classique de l’anthropologie, Métamorphoses de la parenté (Fayard, 2004).
Pourriez-vous définir en quoi consiste l’inceste ?
Pour aller directement au noyau dur de sa définition, je dirais que l’inceste, au-delà de ses multiples formes culturelles, désigne le fait d’interdire aux parents d’avoir des rapports sexuels avec leurs enfants, et d’interdire aux frères et sœurs d’avoir des rapports sexuels entre eux. Il faut cependant faire attention : dans de nombreuses sociétés, étant donné la nature du système de parenté, tous les frères du père sont considérés comme des pères de l’enfant, toutes les sœurs de la mère sont considérés comme des mères de l’enfant, et tous leurs enfants sont considérés comme des frères et sœurs de l’enfant. Dans ces sociétés, la prohibition de l’inceste s’étend donc à toutes ces personnes que nous considérons, en Occident, comme des oncles, des tantes ou des cousins germains.