1979 : Franco Basaglia est au Brésil pour une série de conférences. Basaglia, souvenez-vous, c’est ce médecin qui, par son œuvre et par sa pratique, a bouleversé la psychiatrie de son pays. En 1973, naît ainsi la « Psichiatria democratica » : les soins « hors les murs ». Le mouvement s’étend à toute l’Italie et devient un mouvement social qui interpelle les forces politiques et syndicales.
Franco Basaglia est donc au Brésil. Le psychiatre d’une exploitation minière dans l’État du Minas Gerais, Anthony Simone, lui fait visiter un certain nombre d’hôpitaux publics. Parmi ceux-ci, la « Colônia » où il y eu 60 000 morts en 50 ans. À la fin de la visite, Basaglia convoque une conférence de presse :« Je suis allé aujourd’hui dans un camp de concentration nazi. En aucun lieu au monde, je n’ai assisté à une telle tragédie. »
Cela eut de fortes répercussions au Brésil. Étouffer le scandale devenait difficile et la pression sur le gouvernement d’alors s’accrue. En 1979, la « chose » était certes déjà connue mais non prise en compte par l’opinion publique. Les pouvoirs souhaitaient alors plutôt étouffer la « chose ». C’est ainsi qu’Anthony Simone, l’organisateur de la visite, failli voir son diplôme de psychiatre révoqué par le Conseil Régional de Médecine, l’équivalent de l’Ordre des Médecins en France. Les institutions, notamment médicales, surtout quand elles ont un passé trouble, n’aiment pas les scandales les concernant.
Il faut savoir qu’au début des années soixante, au Brésil, un photographe, Luiz Alfredo, qui avait pris les clichés terribles à l’Hospice – la « Colônia » - revint à la rédaction de son journal et vida son sac devant son chef : « Ceci n’est pas un accident, c’est un assassinat de masse ». Bien que cette dénonciation fut publiée dans la revue à plus fort tirage de l’époque, le silence à ce propos reprit ses droits, et la réalité psychiatrique d’alors n’allait changer que deux décennies plus tard, à partir des années quatre-vingt, et suite précisément à l’intervention de Basaglia.
En France, pareillement, l’abandon à la mort des 76 000 fous internés sous le régime pétainiste, s’il n’était après la seconde Guerre mondiale connu que de quelques-uns, ne fut réellement révélé au public que par le livre de Max Lafont, L’extermination douce, en 1987, 40 ans plus tard. Livre issu d’une thèse de médecine soutenue en 1981. Livre qui ne trouva d’autre éditeur qu’une fondation : l’AREFPPI et qui fut réalisé par une communauté de psychanalystes, d’informaticiens, de poètes, de danseurs, de mathématiciens, d’historiens et d’un groupe de jeunes personnes en soin. Livre qui suscita, à la faveur d’un article de la psychiatre Escoffier-Lambiotte (voir le billet précédent) publié dans Le Monde, de grands débats et beaucoup de protestations dans l’institution psychiatrique. Livre qui tomba dans l’oubli, comme au Brésil avant l’intervention de Basaglia, jusqu’en 2001. Date où furent réédités et L’extermination douceet Le train des fous de pierre Durand (initialement publié lui aussi en 1987). C’est alors, à cette date, en 2001 donc, qu’une historienne, Isabelle von Bueltzingsloewen, entrepris une recherche. Recherche semble-t-il commanditée par les autorités scientifiques d’un hôpital psychiatriques : celui du Vinatier, dans le Rhône. Celui particulièrement analysé par Max Lafont dans son livre et particulièrement cité et dénoncé par Mme Escoffier-Lambiotte dans Le Monde.