Il y a dix ans, Emma n’avait pas le moral. « J’ai envie de mourir. J’ai envie de disparaître. De devenir invisible, intouchable, inodorante, “invivante”… J’ai envie de devenir “invivante” », disait-elle, assise les genoux en dedans sur un canapé tristounet. C’était l’époque d’Emma sous le divan, son premier grand succès. Aujourd’hui, elle se couche dans un cercueil, et elle va beaucoup mieux. La preuve : dans Emma Mort, même pas peur, son dernier spectacle, c’est elle qui entreprend de rassurer son public, « effrayé avec cette idée inempêchable ». Elle l’a joué une vingtaine de fois en 2014, ici et là, et le reprendra en avril en banlieue parisienne. Mais pour l’heure, Emma est « en jachère ». Emma écrit. A moins que ce ne soit Meriem Menant, sa créatrice. Ou les deux.
Chemise de flic bleu clair à épaulettes fermée d’une cravate sombre, jupe plissée informe, gros nez violacé, bicorne mollasson planté sur le crâne : difficile d’imaginer moins sexy qu’Emma, la clown. Alors, quand Meriem Menant, 46 ans, nous ouvre la porte de son petit appartement parisien donnant sur les toits de Belleville, on se frotte les yeux. Cette grande et belle femme aux boucles libres, au sourire rayonnant, c’est Emma, vraiment ? Disons qu’Emma est son clown. Et que Meriem sans Emma, ce n’est pas tout à fait Meriem. D’ailleurs ce livre qu’elle termine, dans lequel elle raconte, sur de petits cahiers à carreaux, son parcours d’artiste, elle ne pourrait pas le faire seule.
Une clown métaphysique qui fait rire sur des sujets graves
« Emma parle beaucoup plus facilement que moi, c’est donc normal qu’elle écrive elle-même une grande partie de ce texte », explique-t-elle. Car Emma est une clown bavarde. Parler, dans ses one-woman-show, elle ne fait presque que ça. Mais pas de n’importe quoi ! De la vie, de l’amour, de la mort. Du divin, parfois (Dieu est-elle une particule ?, 2009), ou des sciences occultes(Emma voyante extralucide, 2011). Excusez du peu. « Physiquement je suis assez nulle. Je n’ai jamais été très bonne en mime ni en acrobaties. Je mets donc la prouesse dans la parole, dans sa poésie », précise Meriem Menant, qui passe sous silence sa gestuelle précise, ses mimiques hilarantes et les subtiles inflexions de sa voix. Emma est une clown de théâtre, que sa fausse naïveté autorise à transgresser nos logiques de pensée, nos conventions sociales. Une clown métaphysique qui fait rire sur des sujets graves. Une clown poète dont la créatrice fait sienne cette citation de Kafka, pour qui l’œuvre « doit être la hache qui fend la mer gelée en nous ».