Christophe Dejours
Psychiatre, psychanalyste
Les deux systèmes subissent un tournant gestionnaire et une standardisation qui compromettent les règles du métier et la qualité du service rendu, s’inquiètent, dans une tribune au « Monde », le psychiatre Christophe Dejours et la magistrate Marie Leclair.
Publié le 27 août 2020
Tribune. La crise sanitaire déclenchée par l’apparition du Covid-19 a mis en lumière, en France, les fragilités du système de santé, fragilités que nombre de personnalités politiques s’accordent maintenant à voir comme le regrettable résultat des politiques néolibérales mises en œuvre depuis plusieurs décennies.
La justice a subi le même tournant gestionnaire. Cette mutation, censée pallier les effets de sa pauvreté endémique face à l’augmentation des contentieux, atteint en réalité l’institution dans le cœur de ses missions, avec les mêmes risques de détérioration de la qualité du travail et de la santé des professionnels. Il apparaît donc pertinent de tirer les enseignements de la crise de l’hôpital public pour réfléchir aux moyens de sauver l’institution judiciaire des logiques qui ne cessent de l’affaiblir elle aussi, menaçant l’équilibre des pouvoirs et, par là, la démocratie.
Les transformations qui ont affecté l’institution hospitalière et, plus généralement, le système de santé en France sont caractérisées par la volonté de maîtriser l’évolution des dépenses par un accroissement du contrôle du travail.
L’application des principes de la « nouvelle gestion publique » [le new public management, développé au plan international à partir des années 1980] vise un accroissement de la productivité qui passe par l’industrialisation des soins. Celle-ci tend à fonder la pratique professionnelle sur le respect de normes standardisées et quantifiées, retirant au professionnel la possibilité de décider lui-même ce qu’est la « bonne pratique », et sanctionnant les pratiques déviantes.