Tom Leslie
Le processus de maturation du cerveau donne aux adolescents le goût pour les expériences nouvelles et les lieux inconnus. Il leur permet aussi d’avoir envie de tisser des liens, d’après des recherches récentes en neurobiologie.
Qui sont vraiment les ados ? Ils ont la réputation d’être pénibles, égoïstes et irresponsables, mais ces stéréotypes sont forcément réducteurs. La plupart des autres animaux, y compris les primates les plus proches de nous, quittent le nid dès la fin de la puberté et ne connaissent pas l’adolescence prolongée propre à notre espèce. Pourquoi les humains ont-ils évolué ainsi ? Si l’on regarde de plus près le cerveau des ados, on peut en déduire que l’adolescence présente probablement un avantage sélectif caché.
La recherche au cours de ces vingt dernières années a montré que le cortex cérébral, la région du cerveau qui joue un rôle central dans les fonctions cognitives, continue de se développer jusqu’à l’âge de 25 ans, alors que les zones sensibles aux récompenses – comme le striatum ventral – fonctionnent à plein rendement autour de l’âge de 15 ans. Ceci a alimenté l’hypothèse selon laquelle le cerveau de l’adolescent était déséquilibré, avec un système de récompense hyperactif qui engendrait des prises de décisions farfelues et dangereuses.
Les premières études sur les performances cognitives allaient dans ce sens. “Parfois les adolescents réalisaient une tâche correctement, et parfois non. C’était confus”, explique Eveline Crone, de l’université de Leyde, aux Pays-Bas. Mais des recherches plus récentes montrent que les adolescents peuvent se montrer très doués – pour peu qu’on leur confie une tâche leur permettant de montrer leurs capacités.
À l’aise dans des conditions plus incertaines
En 2022, par exemple, Linda Wilbrecht, de l’université de Californie à Berkeley, et ses collègues ont fait participer 291 volontaires, âgés de 8 à 30 ans, à un jeu sur ordinateur où ils devaient deviner laquelle de deux boîtes contenait une pièce d’or. Au départ, la pièce apparaissait surtout dans une boîte et ensuite, après un nombre aléatoire de devinettes, elle commençait surtout à apparaître dans l’autre boîte, avant de repasser dans l’autre.
Pour gagner, il fallait décider quel était le meilleur moment pour préférer une boîte à une autre. Et loin de prendre de mauvaises décisions, les adolescents ont remporté le test haut la main et récolté plus de pièces que les participants plus jeunes ou plus âgés. Les ados montrent des aptitudes similaires lors de tâches de recherche de nourriture, où il faut choisir entre exploiter un lopin de terre ou explorer des pâturages potentiellement plus nourriciers.
“Nous avons tendance à déduire que les adolescents font mieux que les adultes dans des conditions qui sont plus incertaines ou aléatoires”, indique Linda Wilbrecht. Dans ces circonstances, les adolescents sont apparemment plus disposés à essayer de nouvelles solutions, ce qui leur fournit des informations pour adapter au mieux leur manière d’agir dans le futur.
Un comportement favorisé par l’évolution
Comme des comportements similaires ont été observés chez d’autres espèces, y compris les primates les plus proches de nous, on pense qu’ils sont le fruit de l’évolution. Quand les animaux font leur transition vers l’âge adulte et l’indépendance, ils doivent acquérir de nouvelles compétences, quitter leur lieu de naissance et découvrir de nouveaux environnements. Lors de cette période incertaine, il est payant d’explorer de nouvelles solutions, et les animaux qui font cela ont plus de chance de transmettre leurs gènes à la génération suivante.
Curieusement, un comportement plus optimal dans ces conditions serait lié à une plus grande activité des centres de récompense du cerveau, qui étaient auparavant considérés comme dysfonctionnels chez les adolescents. Des recherches menées sur des macaques rhésus, par exemple, ont montré que l’activité du striatum ventral et de l’amygdale – deux éléments du système de récompense du cerveau – est essentielle pour décider d’explorer ou non un nouveau territoire lors de tâches de recherche de nourriture.
L’activité dans le striatum ventral est également associée à un meilleur apprentissage chez les adolescents que chez les enfants, car la récompense envoie un signal au cortex cérébral, qui renforce ou élague les voies de communication neuronales afin d’optimiser le comportement. Linda Wilbrecht explique :
“Le cerveau de l’adolescent est conçu pour explorer, découvrir et connecter.”
Et de préciser : “Quand je dis connecter, c’est au sens littéral, parce que les neurones s’étendent et forment de nouvelles connexions. Et nous avons besoin d’abord d’expérimenter pour que le cerveau sache quelles connexions conserver.”
Plus surprenant peut-être, cette optimisation du cerveau adolescent s’étend également à l’expérience des relations sociales. Ces dernières années, il est apparu clairement que le striatum ventral était très actif lors d’un travail en commun avec d’autres personnes. Cette activité est encore plus importante chez les adolescents que chez les adultes et les enfants lors de tâches collaboratives.
“Ces situations de vie en société dépendent du même réseau neuronal qui est si sensible chez les adolescents, explique Eveline Crone. Il est donc fort probable que le cerveau en plein développement de l’adolescent soit bien plus capable d’adaptation en matière de relations sociales que nous le pensions.”
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