Publié le16 juillet 2023
Après les émeutes urbaines qui ont suivi la mort de Nahel, le “Financial Times” s’est penché sur les données pertinentes en matière d’emploi, de géographie et de sécurité. Elles révèlent un fossé majeur entre les personnes d’origine étrangère et le reste de la population.
Imaginez deux pays. Dans le premier, chrétien et fier de l’être, la ségrégation raciale était légale il n’y a pas si longtemps, et la question du racisme occupe les médias comme sans doute nulle part ailleurs dans le monde développé. Le second pays, lui, pratique une laïcité stricte, les statistiques ethniques y sont interdites par la loi et les pouvoirs publics se démènent ostensiblement pour ne jamais distinguer ou diviser la population sur des critères d’origine.
De ces deux pays, lequel, à votre avis, offre les meilleures chances de réussite à ses habitants issus de minorités raciales et religieuses ? Lequel leur permet le mieux d’être des acteurs à part entière de la société ? La réponse que donnent les chiffres est étonnante.
En 2021 aux États-Unis, le chômage atteignait 5,5 % des actifs nés sur le territoire américain, et 5,6 % de ceux nés à l’étranger. Le taux d’emploi est quasiment identique pour les Noirs et pour les Blancs. En France, le chômage est à 7 % pour la population née dans le pays, mais bondit à 12 % chez les immigrés, et même à 17 % pour ceux arrivés il y a moins de dix ans. Et les comparaisons avec la Grande-Bretagne, dont la démographie et l’histoire coloniale font sans doute un meilleur point de référence, sont tout aussi accablantes pour l’Hexagone.
Après une semaine d’émeutes dans toute la France, provoquée par la mort d’un adolescent d’origine maghrébine abattu par la police lors d’un contrôle routier, ces statistiques livrent une analyse édifiante. Car si le nombre d’arrestations a diminué dans la semaine suivante, il n’en est pas moins nécessaire d’ouvrir un débat sur les manquements de la France envers sa population immigrée et les quartiers où elle vit.
Comme lors des émeutes de 2005 en France déjà, et comme pour celles de Londres en 2011, ce sont les tensions entre la police et les minorités ethniques qui ont été le déclencheur de ces violences nourries de longue date par la pauvreté et l’exclusion. Les émeutiers sont dans leur immense majorité originaires de quartiers défavorisés : quand on n’a pas sa place dans la société, on n’a pas grand-chose à perdre à tout brûler.
26 morts sous les tirs de la police en 2022
Partout en Occident, les jeunes hommes noirs et de couleur ont malheureusement l’habitude d’être visés de façon disproportionnée par les contrôles d’identité et les fouilles au corps, mais en France l’écart est proprement sidérant. À Londres, les personnes noires sont deux à trois fois plus exposées à une interpellation que les personnes blanches ; à Paris, c’est six fois plus, et même huit fois plus quand on est d’origine arabe.
Les confrontations avec la police française sont aussi plus meurtrières, les agents étant souvent armés et autorisés à faire usage de leur arme lors d’un contrôle routier en cas de refus d’obtempérer s’ils estiment que l’individu présente un danger. En 2022, la France a recensé 26 morts sous les tirs de la police, contre seulement deux au Royaume-Uni. Ces dix-huit derniers mois, des policiers français ont abattu et tué 15 personnes lors de contrôles routiers comme celui qui a déclenché les dernières émeutes.
Une police en “guerre” contre des “nuisibles”
Vendredi 30 juin, en pleine escalade de la violence, les deux principaux syndicats de policiers publiaient un communiqué pour déclarer qu’ils étaient “en guerre” contre des “nuisibles” et des “hordes sauvages”. Cette mentalité hostile grandit depuis que Nicolas Sarkozy a mis fin à la police de proximité, il y a de cela vingt ans, au profit d’une politique plus répressive. Un gouvernement aux mains du parti d’extrême droite de Marine Le Pen ne manquerait pas d’accentuer cette tendance à un maintien de l’ordre agressif.
Du côté de l’intégration, les signes de progrès sont rares. En France, 20 % des personnes nées à l’étranger disent faire l’objet de discrimination, un triste record seulement égalé par l’Italie dans les pays développés. Parallèlement, le taux de pauvreté est trois fois plus élevé chez les immigrés en France que chez les personnes sans ascendance migratoire – au Royaume-Uni le taux de pauvreté est identique dans les deux catégories de population.
Ces disparités en France sont aggravées par une politique de la ville en échec depuis des décennies, qui a concentré les communautés immigrées dans les banlieues*, les enfermant ainsi dans leur différence et entravant leur mobilité sociale. À Londres, riches et pauvres se côtoient de très près, ce qui n’est pas sans problème, mais cette proximité a le mérite d’avoir évité cette fossilisation des inégalités que connaît la France.
Aujourd’hui dans l’Hexagone, 28 % des immigrés de fraîche date sont dans le tout dernier décile en matière de revenus, contre seulement 8 % des non-immigrés. Au Royaume-Uni, le chiffre est de 10 %, quel que soit le pays de naissance.
La France a beau se dire aveugle aux couleurs de peau, les statistiques nous montrent tout autre chose. Tant que des réformes ne seront pas entreprises à la fois en matière de maintien de l’ordre et d’inclusion sociale, il n’y a aucune chance que cessent ces flambées de violences.
John Burn-Murdoch
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