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mercredi 19 juillet 2023

Interview Aides à domicile : «C’est à l’employeur d’assumer les baisses d’activité et les trous»

par Frantz Durupt  publié le 13 juillet 2023

L’économiste François-Xavier Devetter déplore la non-reconnaissance des aides à domicile et estime qu’il faudrait compter leurs  heures de transports comme du temps de travail. 

Elles ont été citées en exemple parmi les millions de professionnels sur lesquels la France a pu compter durant le premier confinement. Pourtant, les 550 000 aides à domicile que compte le pays exercent toujours «un métier en souffrance», selon le titre d’un ouvrage (1) paru en mars. La faute à un «dumping social quasi-permanent», selon l’un de ses trois auteurs, l’économiste François-Xavier Devetter, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales et à l’université de Lille.

Des aides à domicile disent que leurs heures de transport devraient être reconnues comme du temps de travail. Qu’est-ce qui justifierait de le faire ?

La question est surtout de savoir ce qui justifie qu’on ne le prenne pas en compte. Normalement, le temps de travail, c’est l’ensemble des temps au cours desquels le salarié ne vaque pas librement à ses occupations. Or quand on est dans un transport entre deux interventions, ou lorsque son temps est contraint entre deux interventions, on ne vaque pas comme on le souhaite à ses loisirs. Normalement, à l’employeur de confier des tâches aux salariés et d’assumer le risque des éventuelles baisses d’activité et des trous. Dans l’aide à domicile, les employeurs rebasculent ce risque sur les salariées, qui ne sont, souvent, payées que pour le temps d’intervention direct. Car ce qui joue en plus ici, c’est que le secteur repose sur un modèle de tarification à l’heure d’intervention. Dans ces structures, on parle d’heures productives et improductives. Ces dernières ne sont pas payées, car on considère qu’elles ne servent à rien.

Pourquoi, bien que ce soit un secteur en tension, il n’y a pas d’amélioration des conditions de travail ou de salaires ?

On identifie trois grands mécanismes. D’abord, une non-reconnaissance des compétences et des pénibilités. Ne pas exiger de diplôme, ne pas mettre de barrières à l’entrée, c’est une manière de dire que ce que vous faites ne vaut pas grand-chose. Le deuxième mécanisme, ce sont des dispositifs qui font qu’à chaque fois qu’il y a une pression sur le marché, on va chercher de nouvelles sources de main-d’œuvre plutôt que de valoriser celles qui sont présentes. On a encouragé le travail des mères de famille à l’époque, puis celui issu de l’immigration, et on escompte maintenant celui des gens qui viennent de l’insertion. Le troisième mécanisme, c’est que les salariées sont très divisées. Elles sont éclatées entre différents domiciles, il n’y a pas de lieux, de temps de collectif. Il y a quatre conventions collectives différentes pour faire la même chose. Il y a une forme de concurrence, de dumping social interne, quasi-permanent.

Est-ce que ces salariées ne sont pas victimes d’une absence de politique globale sur le grand âge ?

Le fait de promettre la loi grand âge sans la faire est une vraie claque adressée au secteur. Or les besoins sont croissants, et la réforme des retraites ne va pas améliorer la situation. Au fond, la question c’est de savoir ce qu’on veut faire avec les personnes âgées. Pour le moment, on est dans une logique de minimisation des coûts. Si on voulait un service d’aide à domicile de qualité, il faudrait d’abord une régulation publique plus stricte qui limite la concurrence et organise un vrai service public en associant les acteurs à but non lucratif. Ensuite, avec 600 000 salariés – ce qui peut paraître beaucoup – il faudrait en gros un effort budgétaire de 4 à 5 milliards au niveau national. C’est à peine plus que ce qu’on consacre aux services de confort, c’est-à-dire les aides aux ménages aisés qui font appel à des salariés pour faire leur ménage par exemple. Pendant longtemps la justification de ces aides était la création d’emplois. Aujourd’hui, on est en pénurie de main-d’œuvre. Qu’est-ce qui peut justifier qu’on soutienne un secteur de confort quand le secteur de nécessité est lui-même en pénurie ? On est en train de financer l’arrosage des fleurs quand on n’arrive pas à financer l’arrosage des légumes dont on se nourrit.

(1) Aide à domicile, un métier en souffrance, de François-Xavier Devetter, Annie Dussuet et Emmanuelle Puissant. Editions de l’Atelier


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