Lundi, trois enfants ont été retirés à leur mère, accusée de carences affectives, alors qu’au moins l’un d’entre eux est autiste. Une incompréhension dramatique de ce handicap, dénoncent les associations.
L’avocate Sophie Janois n’hésite pas à parler d’«erreur judiciaire».Sa cliente, Aurélie (1), s’est vu retirer ses trois enfants lundi matin au motif qu’elle serait responsable de leurs troubles du développement. L’un d’eux a pourtant été diagnostiqué autiste et il existe une forte suspicion d’autisme sur les deux autres. Ils seraient donc atteints de troubles neurologiques, sans lien avec leur éducation.
«Machine». Face à ce qu’elles dénoncent comme un scandale, plus de cent associations se sont mobilisées pour dénoncer les«placements abusifs» d’enfants autistes, dont le cas d’Aurélie ne serait que le dramatique révélateur. Car le sujet prend de l’ampleur. En un an seulement, Me Janois estime avoir traité «une bonne vingtaine de dossiers» relevant de tentatives de placements abusifs d’enfants ayant des troubles envahissants du développement (TED).
L’association Autisme France a publié un rapport à la mi-juillet sur les dysfonctionnements de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), qu’elle qualifie d’«impitoyable machine à broyer les familles d’enfants autistes». «Il y a globalement des placements abusifs mais, dans le champ de l’autisme, ça devient systématique», dénonce la vice-présidente de l’association, Danièle Langloys, qui affirme être contactée pour des cas de ce type au moins une fois par semaine. Le défenseur des droits doit, quant à lui, remettre un rapport sur l’ASE et le handicap en novembre. Les associations espèrent obtenir enfin des statistiques, grandes absentes du dossier.
De fait, les enfants autistes montrent des signes pouvant laisser croire - à qui n’est pas familier de ce handicap - au mieux à des carences éducatives, au pire à de la maltraitance : difficultés à se concentrer, agitation, troubles alimentaires, troubles du sommeil, automutilation… «Les services sociaux, les psychologues sont formés sur des bases psychanalytiques, donc ils n’envisagent les troubles du comportement de l’enfant qu’au regard du comportement des mamans», regrette Me Janois.
Les débats sur la pertinence ou non des approches psychanalytiques dans le champ de l’autisme ont secoué le milieu durant des décennies, jusqu’à ce que la Haute Autorité de santé (HAS) les désavoue en 2012, les qualifiant de «non consensuelles». Pas de quoi pour autant mettre un terme aux querelles. «La dictature psychanalytique a été ébranlée, tacle Danièle Langloys. Les psychanalystes n’ont pas accepté [les recommandations de bonnes pratiques de la HAS], ils se sentent menacés et se retournent contre les familles. Il y a un acharnement haineux. C’est leur pouvoir et leur argent qui est en jeu. Ils se sentent implicitement désavoués.»
Dans le cas d’Aurélie, l’avocate a présenté au juge le diagnostic médical et les documents de médecins attestant que les enfants seraient traumatisés s’ils étaient placés et assurant qu’il leur fallait bénéficier de thérapies comportementales.
L’experte psychiatre désignée par le parquet a, elle, remis un rapport circonstancié «complètement accusatoire» stipulant que l’enfant n’était pas autiste et que «la mère, dans sa folie, cherche à rendre ses enfants malades, et qu’elle le fait pour obtenir des allocations», précise Sophie Janois. Et de balayer, cynique : «Le syndrome de Münchhausen par procuration, c’est un grand classique.» Ce syndrome, dont la réalité est contestée, consiste à provoquer de manière délibérée des problèmes de santé chez son enfant. Nombre de mères d’autistes ayant eu affaire à l’ASE ont été «diagnostiquées» en ce sens, généralement sans la moindre expertise médicale. «L’assistante sociale a lancé "Münchhausen" à la figure [d’Aurélie] alors qu’elle n’est pas médecin», s’étrangle Danièle Langloys.
Ses enfants ont été placés en foyer et en pouponnière, à près d’une heure de route de chez elle. De façon «provisoire», assure le conseil départemental de l’Isère, dont dépend l’ASE qui s’occupe de ce dossier. «On applique les décisions de justice, se défend Frédérique Puissat, première vice-présidente du conseil départemental en charge de la famille et de la santé. On a demandé le placement chez un tiers [notamment les grands-parents], le juge n’a pas suivi.»
Rituels. Directement mis en cause par les associations, le conseil départemental a vivement réagi par voie de communiqué. «Nous avons ressenti cela comme une attaque contre l’ASE alors que ça fait trois semaines qu’on est mobilisés sur le sujet, précise Frédérique Puissat, qui tient à indiquer que l’affaire est plus complexe que ne la présentent les associations. Nous avons pris le risque de retarder de trois semaines le placement des enfants pour chercher une famille d’accueil qui accepte de les prendre tous les trois.» Ce qui a échoué.
Le placement d’enfants n’est jamais anodin, mais il revêt une dimension particulière lorsqu’il s’agit d’autistes. Eux qui ont besoin d’un environnement sécurisé et de rituels «se retrouvent du jour au lendemain sans repères, sans accompagnement, donc en insécurité massive», dénonce Danièle Langloys. Avec de forts risques que les progrès éventuellement acquis jusque-là ne s’évaporent.
Grande habituée des non-lieux dans ce type d’affaires, Me Janois a été, à sa grande surprise, déboutée en première instance. Elle a interjeté appel. «Il y a un problème de formation des juges, ce n’est pas de la mauvaise volonté de leur part»,concède-t-elle. Et de souligner, encore et toujours, le poids écrasant de la psychanalyse. Avec les conséquences dramatiques que cela peut avoir sur les familles.
(1) Le prénom a été modifié
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