Tollé à Villejuif contre le plan autisme
2 juin 2013
Ce week-end, se tenaient les Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie, dans une ambiance de lutte face aux attaques visant l’approche psychanalytique.
Quand il est arrivé, samedi, à la tribune des Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie, avec sa silhouette cassée, le psychiatre Jean Oury - une des grandes figures de ce que l’on a appelé la psychothérapie institutionnelle, qui allait façonner la psychiatrie française de ces cinquante dernières années -, il y a eu comme un moment de silence. De silence et de respect parmi le millier de participants à la manifestation sise à Villejuif (Val-de-Marne).
Au tout début des années 50, maltraité par l’administration d’alors, Jean Oury avait claqué la porte et il était parti sur les routes de France avec tous ses grands malades pour fonder un nouveau lieu : la clinique de La Borde, près de Blois (Loir-et-Cher). L’histoire a-t-elle une suite ? Jean Oury a près de 90 ans. Il a parlé seulement quelques minutes, racontant, comme à son habitude, des histoires. «Quand un expert du ministère est venu récemment à La Borde pour regarder la cuisine, il nous a dit qu’il fallait la fermer car elle n’était pas aux normes. Je lui ai dit : "Pas de problèmes…" Puis j’ai ajouté : "Mais il faut que vous sachiez que vous serez responsable du licenciement de 200 personnes, car La Borde fermera, le cuisinier a un rôle thérapeutique au moins aussi important que le psychiatre." L’expert est parti et je ne l’ai plus jamais revu.»
La Borde est toujours là, unique, accompagnant avec chaleur des centaines de grands malades : «Mais qu’est-ce qu’ils savent, ces experts, des grands schizophrènes? a poursuivi Jean Oury. Allez, ils n’en savent rien… Ces gens-là ne sont même pas méchants. C’est pire, ils sont simplistes.»
Tonnerre d’applaudissements. Moments de grâce. Mais cela sera-t-il suffisant pour inverser une tendance impressionnante qui traverse la société française, et qui veut marginaliser la psychanalyse dans l’univers de la psychiatrie ?
Place. Dernière offensive en date, le troisième plan autisme qu’a présenté, le mois dernier, le gouvernement avec des propos ahurissants de la ministre chargée des Personnes handicapées, Marie-Arlette Carlotti. «En France, depuis quarante ans, a-t-elle dit, l’approche psychanalytique est partout. Aujourd’hui, elle concentre tous les moyens. Il est temps de laisser la place à d’autres méthodes pour une raison simple : ce sont celles qui marchent, et qui sont recommandées par la Haute Autorité de santé.» La ministre ajoutant même : «Que les choses soient claires, n’auront les mo yens pour agir que les établissements qui travailleront dans le sens où nous leur demanderons de travailler.»
«Cette attaque est grave et stupide, a estimé le Dr Hervé Bokobza, coordonnateur du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire à l’origine de ces assises. Nous avons dû changer le déroulement de ces assises pour faire un meeting et lancer un appel pour le retrait du plan autisme 2013.» Ainsi, ce week-end à Villejuif, il y avait une ambiance de lutte. Pendant deux jours, psychiatres, psychologues, infirmiers, mais également malades et proches ont débattu de ces questions. L’air du temps est difficile, entre abattement et lassitude. Dans les hôpitaux psychiatriques, les pratiques se durcissent, mais il y a aussi la montée en puissance des thérapies comportementalistes ou cognitives, ainsi que l’omniprésence des médicaments.
«Il faut balayer devant nos portes,a lâché avec force l’historienne Elisabeth Roudinesco. La psychanalyse a été dominante pendant cinquante ans, et aujourd’hui elle est en voie de marginalisation. Pourquoi ? Certains d’entre nous portent une lourde responsabilité.» Et de prendre un exemple de ces rendez-vous ratés : «Regardez les homosexuels ! Ils ont gagné, car ils se sont battus contre les psys qui les prenaient pour des malades. Ils ont créé de vraies luttes politiques. Aujourd’hui, cela ne suffit pas de protester, il faut se réveiller, faire de la vraie politique, il faut penser à de nouvelles relations, par exemple avec les patients.»
Visite. Peu après, le Pr Pierre Delion - psychiatre attaqué par des associations de parents d’enfants autistes pour la pratique dupacking (1) - a décrit une ambiance détestable. Racontant comment, le mois dernier, un psychiatre de la Pitié-Salepêtrière a eu la surprise d’avoir, dans son service, la visite d’un comité de lutte contre la torture «parce qu’il pratiquait le packing». «Accusé de torture ! Où en somme nous ? a-t-il poursuivi. Dans certaines régions, des agences de santé veulent retirer de l’argent à des centres qui ne suivent pas les recommandations officielles.» «Il faut arrêter de nous enfermer dans nos citadelles, a argumenté un jeune psychiatre, Mathieu Bellahsen. Il faut aller là où l’on a besoin de nous, par exemple dans le médicosocial.» A l’issue des assises, un appel pour le retrait du plan autisme a été signé par près d’une centaine d’organisations.
(1) Utilisé sur des autistes s’automutilant, le packing consiste à les envelopper temporairement de linges froids et humides, puis à les accompagner.
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