Psychiatrie : «Un bond des hospitalisations sous contrainte»
2 juin 2013
Rapporteur de la mission parlementaire sur la santé mentale, le député PS Denys Robiliard commente une hausse de près de 50% des internements sans le consentement du patient.
De l’aveu même du rapporteur de la mission parlementaire sur la santé mentale, le député socialiste Denys Robiliard, «c’est une hausse énorme». En cinq ans, le nombre d’hospitalisations en psychiatrie sans le consentement de la personne a augmenté de près de 50%. Ce chiffre impressionnant, inédit, a été révélé vendredi par la mission sur la santé mentale dans son pré-rapport. On peut se demander si les hôpitaux psychiatriques ne sont pas en train de redevenir des lieux fermés et de contrainte, quand on sait que jamais une telle hausse n’avait été observée en France.
Le travail de la mission parlementaire fait suite à la demande du Conseil constitutionnel qui avait exigé des changements dans la loi du 5 juillet 2011 sur les nouvelles règles d’hospitalisation sous contrainte en psychiatrie. Ce texte législatif, critiqué pour son arrière-fond répressif, a néanmoins institué un changement de taille, avec l’obligation de l’intervention d’un juge des libertés et de la détention (JLD) dès lors qu’un patient est hospitalisé contre sa volonté, au-delà de deux semaines.
Le rapporteur de la mission, Denys Robiliard, qui a participé ce week-end aux Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie à Villejuif (lire ci-contre), revient sur ses impressionnantes conclusions.
Dans votre rapport, vous évoquez des chiffres importants sur les hospitalisations sous contrainte en France…
Ces données sont troublantes. En l’espace de cinq ans, nous assistons à une très forte augmentation des hospitalisations sous contrainte, de près de 50%. C’est inquiétant. C’est énorme même, jamais nous n’avons assisté à une telle augmentation. Ainsi, en 2006, il y a eu 43 957 hospitalisations à la demande d’un tiers, c’est-à-dire sans l’accord du malade. En 2011, on est passé à 63 345. Soit un taux d’augmentation de 44%. Quant aux hospitalisations d’office, c’est-à-dire effectuées à la demande du préfet ou du maire, en 2006, il y en a 10 578. En 2011, 14 967. Soit une augmentation de 41%.
Comment expliquez-vous cette hausse ?
Il n’y a pas une réponse unique qui s’impose. Est-ce en raison d’un vent sécuritaire qui souffle dans la société ? Certains pointent la diminution du nombre de lits en psychiatrie, et le constat que si l’on veut hospitaliser quelqu’un, le faire sous contrainte vous permet parfois de trouver plus facilement un lit. D’autres évoquent une pratique des psychiatres pour protéger leur responsabilité. Mais quoi qu’il en soit, ces explications ne sont pas satisfaisantes, et cette augmentation nous paraît comme un signal fort qu’il nous faut décrypter.
Avez-vous d’autres inquiétudes en termes de liberté ?
Il y a la multiplication des chambres d’isolement, par exemple. Comme il y en a de plus en plus, on s’en sert de plus en plus. Faut-il protocoliser leur fonctionnement ? Mais si vous le faites, il y a un risque de légitimer les pratiques. De même, quand vous vous rendez dans un secteur de psychiatrie, le lieu est fermé : vous ne faites plus la différence entre un patient hospitalisé librement, et un autre qui est là contre sa volonté. Tout cela n’est pas sans nous interroger.
Comment jugez-vous la loi du 5 juillet 2011 ? Est-elle responsable de ces dérapages ?
D’abord, cette loi ne fonctionne pas si mal que ça, même si des améliorations sont nécessaires, et il n’y a pas eu de dysfonctionnements majeurs. Les points de difficulté sont essentiellement des lourdeurs administratives : les médecins disent passer, pour certains, plus de 20% de leur temps à remplir des papiers et à signer des certificats.
Cette loi impose la présence du juge qui doit statuer au bout de quinze jours d’hospitalisation sans consentement. Une bonne chose ?
C’est indéniablement un gain en terme de respect des libertés. Mais, en pratique, les situations sont variées et parfois un peu hypocrites. Exemple : la loi prévoit la présence d’un avocat si le patient le réclame, mais, dans les faits, l’avocat n’est pas suffisamment indemnisé pour travailler correctement.
Comment se passent ces audiences en présence d’un magistrat ?
Il y a trois possibilités : soit le juge se déplace à l’hôpital, soit c’est le patient qui se rend au palais de justice, soit cela se fait par vidéoconférence. Concrètement, dans deux tiers des cas, c’est le patient qui se déplace, et dans un tiers des cas, c’est le juge. La vidéoconférence est de fait très peu utilisée. Et c’est tant mieux, car c’est une très mauvaise idée : vous imaginez un patient qui entend des voix et que l’on doit filmer…
Plus généralement, il faut remarquer que la justice a réussi à faire face à cette nouvelle mission, alors que ce sont plus de 60 000 décisions nouvelles par an pour elles.
Proposez-vous des aménagements ?
Oui. Le délai de quinze jours avant l’arrivée du juge reste trop long pour le patient. La mission propose donc de modifier les conditions d’intervention du juge des libertés et de la détention, en le ramenant à cinq jours. Nous demandons aussi que l’audience se fasse au sein même de l’établissement de santé, et, enfin, nous proposons de rendre obligatoire l’assistance d’un avocat.
Donc, vous ne demandez pas le retrait du texte législatif de 2011 ?
Non. Il est vrai que cette loi de 2011 a été conçue au départ dans un très mauvais climat, avec un fort élément sécuritaire qui l’a déséquilibrée. Il faut le redire, les grands schizophrènes ne sont pas plus dangereux que n’importe qui.
Cette loi a été aussi mal interprétée, comme on le voit sur les sorties d’essai ; on va proposer, ainsi, que la décision d’une sortie pour un patient soit une responsabilité médicale et non pas celle du préfet. En tout cas, ne rallumons les feux de la guerre, entre les différentes tendances de la psychiatrie, car ce sont les malades qui en souffriraient.
Finalement, comment avez-vous trouvé l’état de la psychiatrie en France ? Effondrée, comme on le dit ?
Non. La situation est diverse, elle varie d’un secteur à l’autre, d’une région à une autre. On parle beaucoup d’un manque de moyens et c’est souvent vrai : il ne faut pas oublier que dans les dix années à venir, près de 40% des psychiatres vont partir à la retraite. Comment cela va-t-il se passer ? Quid du problème de leur répartition sur les territoires ?
Bref, les défis à venir sont nombreux, mais nous avons rencontré des gens qui travaillent avec un vrai professionnalisme. Et nous avons trouvé un milieu beaucoup moins déprimé qu’on ne le dit, mais un monde… en attente.
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