Le défi prévention que Michèle Delaunay lance à la profession
Le Généraliste. Comment percevez-vous l’état d’esprit de ce secteur, 150 jours après avoir été
Michèle Delaunay. Je le connaissais déjà un peu, puisque j’étais vice-présidente à la politique de l’âge dans le « shadow cabinet » de Jean-Marc Ayrault à l’Assemblée et que, sur la dépendance, nous avons auditionné beaucoup d’acteurs de ce champ. Je les ai retrouvés avec plaisir. C’est un domaine où il y a un grand champ à la fois de compétence et d’expertise. Et l’avancée en âge est de plus en plus objet de recherche, sur la prévention ou sur l’Alzheimer, par exemple. Ce qui est aussi pour moi un encouragement quotidien est de voir l’engagement considérable des équipes dans les établissements d’accompagnement ou à domicile. Il y a vraiment dans ce secteur des gens qui prennent leur travail très à c?ur !
Au vu des bilans de l’épisode de la canicule d’août et de la vague de froid intense de février dernier, quelles leçons tirez-vous pour l’organisation du système de soins ?
M.D. La canicule n’a pas été très longue et cela doit être pris en considération pour en faire le bilan, mais cela s’est bien passé. Il y a eu une très bonne mobilisation citoyenne et professionnelle. Et les chiffres nous confirment qu’il n’y a pas eu de surmortalité. Quant à la vague de froid que vous évoquez, il est vrai qu’il y a eu cet hiver une surmortalité chez les personnes âgées. Cela nous incite donc à une réflexion sur la prévention des risques du froid. Un élément me semble notamment très préoccupant : à la faveur de telle ou telle croyance, de plus en plus de gens âgés échappent à la vaccination antigrippale. Or une grippe peut tuer. Il faut le répéter. Et il faut vraiment que les personnes âgées se mobilisent. Elles reçoivent un bon pour se faire vacciner gratuitement : elles doivent l’utiliser. Sans qu’il y ait matière à discuter de l’utilité de cette vaccination.
Le dossier de la maltraitance des personnes âgées vous tient à c?ur : comment va se concrétiser cette priorité ?
M.D. En soi, je n’aime pas beaucoup le terme. Toutes les formes de maltraitance sont en fait un non-respect des droits fondamentaux de la personne humaine et des droits des malades. Je travaille sur ce point dans deux directions : d’une part au niveau international à l’élaboration d’une convention du droit des âgés. Et, d’autre part, à un projet de loi qui pourrait prendre corps dans la première moitié du quinquennat, autour de ce qui accompagne la liberté d’aller et venir, d’entrée et de sortie des établissements. Enfin, je réfléchis à la création d’un Défenseur des personnes âgées. Le paradoxe de la situation actuelle est que des personnes viennent vous voir dans votre permanence d’élu en se sentant « maltraité », mais en n’étant plus en mesure d’affirmer leurs droits. Je voudrais qu’en France on incarne mieux ces droits.
Cet été, vous avez alerté aussi sur le phénomène du suicide des personnes âgées : que comptez-vous faire sur ce sujet ?
M.D. Effectivement, je suis frappée par la fréquence du suicide chez les personnes âgées et du caractère extrêmement dramatique des passages à l’acte. Les suicides d’âgés ne sont pas des appels au secours. C’est vraiment une volonté d’en finir avec la vie. Or la dépression des personnes âgées ne me semble ni bien reconnue, ni bien identifiée. Très souvent ces cas ne sont pas diagnostiqués. C’est pourquoi j’appelle particulièrement à la vigilance des médecins traitants. Nous allons faire des actions auprès du personnel d’aide à domicile pour qu’il sache alerter les médecins traitants sur telle ou telle personne qui donne des signes de dépression. Nous allons ainsi diffuser l’an prochain auprès de ces personnels intervenant à domicile la « mallette Mobiqual » qui rassemble des fiches explicatives sur les signes d’alerte de la dépression et sur ce qu’il faut faire.
Les contrats que doivent signer les médecins généralistes en Ehpad continuent de faire polémique dans la profession. Qu’en pensez-vous ?
M.D. Les clauses qui figurent dans ces contrats me semblent extrêmement modérées et peu nombreuses. On demande, par exemple, au médecin généraliste qui se rend dans ces établissements de ne pas venir au moment des repas. Ce qui est logique : il est important que chacun fasse un effort vis-à-vis du travail de l’autre. Les médecins libéraux ne doivent pas y être réticents. C’est un contrat d’organisation des soins qui leur est proposé et je pense que cela ne peut être que bénéfique pour tout le monde.
D’une manière générale, quelle place assignez-vous au généraliste dans la prise en charge des personnes âgées ?
M.D. Le PLFSS 2013 prévoit l’expérimentation de parcours de soins des personnes âgées qui concernent les réseaux gérontologiques, les médecins libéraux, les Ehpad, les réseaux d’aide à domicile et tous les professionnels paramédicaux. Il faut absolument réussir leur mise en place. L’objectif est de mettre les acteurs en phase et de développer les bonnes pratiques qui feront qu’on n’hospitalisera plus que lorsque cela sera nécessaire et, si oui, dans le bon service, sans engorger les urgences. Le PLFSS 2013 a prévu de financer des expérimentations dans trois ou quatre territoires. Des expériences intéressantes sont d’ores et déjà en cours dans le nord de Paris et dans le sud de la Mayenne. Le but est de voir si cela marche, et ensuite de formaliser et d’étendre cette dynamique.
Il faut aussi que le généraliste puisse être un acteur de la prévention et puisse détecter les signes de fragilités qui indiquent qu’une personne âgée risque de tomber dans une dépendance non réversible. Ces signes sont maintenant connus : incapacité à la marche rapide, perte de poids sans explication, fatigabilité anormale, plainte de sa mémoire... Il est très important que le médecin traitant de cette personne la considère comme fragile et ne la traite pas comme les autres. Je considère ainsi qu’il ne serait pas illégitime de réfléchir à la création d’un acte long de prévention pour le grand âge. Ce n’est qu’une piste de réflexion personnelle. Tout ce que l’on peut affirmer, c’est qu’environ 30% des personnes âgées n’ont plus tout à fait les mêmes capacités qu’un adulte, sans être encore dépendantes, c’est-à-dire sans éprouver de perte d’autonomie irréversible. Et qu’il est possible de faire remonter ces personnes dans le train précédent grâce à la prévention.
Concernant la dépendance, pensez-vous tenir votre engagement d’une réforme à la mi-quinquennat, avec la contribution additionnelle de solidarité à l’autonomie (CASA) instaurée par le PLFSS pour les retraités et sans recours au privé ?
M.D. Ce ne sera pas qu’une simple réforme de la dépendance puisque nous avons fait le choix de couvrir tout le champ de l’avancée en âge, de la sortie de la vie professionnelle à la fin de vie. Le futur projet de loi comportera ainsi trois volets, ce que j’appelle souvent « le triple A ».
Le premier volet portera sur l’anticipation et la prévention. C’est fondamental et notre objectif est de prolonger le plus longtemps possible le maintien à domicile. Le deuxième volet du texte regroupera tout ce qui concerne l’adaptation de la société à l’avancée en âge, c’est-à-dire tout ce qui touche aux transports, au logement, à la domotique, à l’urbanisme, etc. Enfin, le troisième volet portera sur l’accompagnement de la perte de l’autonomie, avec l’ambition de diminuer le reste à charge dans les établissements pour les familles de classe moyenne. À partir du 1er janvier 2014, la CASA ira contribuer au financement de la loi sur l’autonomie. Elle équivaudra à ce que les salariés paient aujourd’hui avec la journée de solidarité, mais ce ne sera pas le seul mode de financement. Cette loi sera effectivement opérationnelle avant la fin de la première moitié du quinquennat, et sans recours aux assurances privées obligatoires.
Certains se sont émus du plafonnement des niches fiscales à 10 000 euros l’an prochain, arguant du fait que cela risquait de dissuader l’emploi à domicile bien utile aux personnes âgées ? Qu’en pensez-vous ?
M.D. Je crois qu’il est dans notre obligation de justice sociale de plafonner sévèrement les niches fiscales.
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Propos recueillis par Caroline Laires-Tavares et Jean Paillard, redaction@legeneraliste.fr
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