Malaise dans les Centres éducatifs fermés
10 août 2012
Suite à un entretien paru mardi 7 août dans Libération, la ministre de la Justice Christine Taubira a suscité une polémique, en mettant en doute l’efficacité des Centres éducatifs fermés (CEF). Au sein de l’action sociale, ce débat n’est pas récent. Depuis plusieurs années, de nombreux travailleurs sociaux témoignent du malaise régnant au sein de ces CEF. La plupart d’entre eux réclament une évaluation de l’action réalisée au sein de ces structures fermées.
Les CEF ont été mis en place suite à la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 (Loi Perben 1). Aujourd’hui, on dénombre sur le territoire français 44 CEF pour une capacité d’accueil d’environ 500 places. Selon la protection judiciaire de la Jeunesse (PJJ), chaque centre accueille en moyenne une douzaine de «mineurs» délinquants âgés de 13 à 18 ans en alternative à une incarcération. En théorie, ces jeunes en situation de marginalité avancée devraient être encadrés par des spécialistes de l’action sanitaire et sociale : éducateurs spécialisés, enseignants, mais également infirmiers, psychologues.
Mais force est de constater sur le terrain que, dans de nombreux établissements, cet encadrement s’avère être plus un désir qu’une réalité. A l’instar de M. Bendris, dans son état des lieux concernant la situation du Centre éducatif fermé de Savigny-Sur-Orge (voir le rapport sur le site de Libération), de nombreux travailleurs sociaux constatent «le fonctionnement hétérogène sans organisation structurée et sans pratique éducative contenante» au sein de ces structures. La plupart témoignent des dysfonctionnements majeurs mettant en péril la sécurité mentale et sociale des mineurs, mais également des encadrants.
Par exemple M. Saligny, ancien éducateur spécialisé dans un CEF du grand-ouest me soulignait récemment que l’encadrement des jeunes était assuré en partie par des anciens militaires, des étudiants en maîtrise de droit embauché non pas pour leurs qualifications, mais pour leurs physiques imposants. Certains d’entre eux occuperaient également en parallèle à cet emploi la fonction de videurs de boîte de nuit ! Il est indéniable qu’il est complexe d'employer des travailleurs sociaux formés (éducateur spécialisé ; assistante sociale, moniteur-éducateur…) dans ce type d’institutions. D’ailleurs, dès l’ouverture de la première structure de ce type en 2003, les CEF eurent mauvaise réputation auprès des travailleurs sociaux. Ils y déploraient la prégnance de la dimension répressive, l’impossibilité de mener un travail éducatif efficient dans une structure fermée auprès d’adolescents n’adhérant pas pour la plupart au placement. Comme le souligne M. Saligny, «Dans le CEF, les jeunes jouent à qui sera le plus délinquant, le plus caïd… Les éducs limitent la casse.» De plus, en tant qu’éducateur spécialisé, on sait pertinemment que le rassemblement de douze mineurs délinquants cumulant pour certains des problématiques toxicomaniaques, sociales, comportementales s’apparente à mettre sur le feu une cocotte-minute dont la pression ne serait pas relâchée.
Dès lors, il n’est pas illogique, comme le souligne M. Bendris, que les encadrants soient dépassés. Le turn-over constant du personnel ajouté à l’absence de formations communes en travail social de la plupart des encadrants fait qu’il devient impossible de construire ce que l’on nomme communément dans l’action sociale une «culture d’équipe» cohérente et structurante pour les mineurs accueillis. Le malaise des professionnels dans certaines de ces institutions est également lié aux logiques gestionnaires et normatives qui se diffusent dans l’ensemble du secteur sanitaire et social. En effet, les déqualifications de postes, le non-remplacement de salariés à la retraite, mais également les regroupements institutionnels pour des raisons financières sont légion. Le travail social se transforme de plus en plus en expertise sociale, se résumant à contrôler les comportements «anormaux» de «délinquants».
Face au «chaos» institutionnel, décrit par M. Bendris, la directrice du CEF de Savigny-sur-Orge, il convient de prendre acte de cet appel opportun afin qu’il participe à l’inspection d’évaluation de ces centres demandés par la garde des Sceaux. Ce diagnostic permettra (n’en doutons pas !) d’en révéler les dysfonctionnements mais également d’y susciter un remaniement des pratiques au-delà des logiques prescriptives et normatives. Cependant, nous ne pensons pas que la transformation de nombreux foyers ouverts en CEF, ni le développement de ces derniers au nombre d’un par département soit une solution pour lutter de manière efficiente contre la délinquance juvénile. Bien souvent, nous constatons que le passage en CEF de jeunes mineurs souvent très éloignés de leur domicile familial ne fait que renforcer leur marginalisation déjà avancée. En complément de ces structures fermées, il est indéniable qu’il devient nécessaire de renforcer tout le travail social en amont notamment au sein des quartiers populaires : des services de prévention spécialisée (éducateurs de rue) aux services éducatifs en milieu ouvert, en passant par le redéploiement des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased).
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