Marisol Touraine : «L’hôpital public est le seul à être présent sur tous les fronts»
27 juin 2012 à 21:16
Marisol Touraine, à l’Elysée, sortant du Conseil des ministres, le 13 juin. (PHOTO JULIEN DANIEL.MYOP pour Libération)
INTERVIEW La ministre des Affaires sociales et de la Santé compte mettre fin à la convergence tarifaire entre le secteur public et le secteur privé :
Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, est intervenue, hier, à un colloque sur «l’hôpital et sa mission», organisé par Didier Tabuteau, qui dirige la chaire santé à Sciences-Po. Pour Libération, elle dévoile sa politique hospitalière.
La loi Hôpital patient santé territoire (HPST), votée par la droite il y a trois ans, parlait de missions de service public, et non plus de service public pour l’hôpital. Une bonne idée ?
Non. L’hôpital public est un des piliers de notre système de santé, et remettre en cause l’idée même qu’il y ait un service public hospitalier, c’est remettre en cause la spécificité de l’hôpital public.
N’est-ce pas une position exagérée ?
L’hôpital public est unique. Il soigne, accueille tout le monde, et prend en charge toutes les pathologies, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il ne se contente pas de soigner, il forme, il fait de la recherche. Bref, il est normal qu’à ce grand service public corresponde un financement particulier, mais aussi une reconnaissance particulière. Il ne s’agit pas de nier l’importance des établissements privés, qui sont des acteurs à part entière du système de soins, mais ils n’ont pas les mêmes caractéristiques. Et la notion de service public est essentielle.
Mais dans certains territoires, il n’y a pas d’hôpital public. Etait-ce saugrenu de déléguer certaines missions à des établissements privés ?
Ce n’est pas contradictoire. Je pense que le service public de santé doit être accompli par des acteurs divers, mais ce qui fait la différence avec l’hôpital public, c’est que ce dernier est le seul à prendre en charge l’ensemble des missions. Il est sur tous les fronts, et cela pour tous les malades.
Qu’en est-il alors du financement des hôpitaux, par le biais de la T2A, la tarification à l’activité ?
Sur la question du financement, nous mettrons d’abord fin à la convergence tarifaire entre le public et le privé. Concernant la T2A, il s’agit de la faire évoluer, et de ce fait de revoir le financement du service public hospitalier. Nous le ferons, très vite, à l’occasion du débat sur le PLFSS [projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ndlr] à l’automne. Il s’agit de compléter la T2A par une meilleure prise en compte des exigences du service public, avec ses missions, mais aussi ses particularités.
Plus précisément ?
L’objectif est simple : permettre à chacun de se soigner à un coût accessible. Le public reçu à l’hôpital et les pathologies qui y sont traitées ne sont pas les mêmes que dans le secteur privé. Ils nécessitent un encadrement, une orientation et un suivi spécifiques. Les modes de tarification doivent être adaptés.
Faut-il une nouvelle loi hospitalière ?
Nous verrons, mais en tout état de cause, les dispositions ne seront pas uniquement d’ordre législatif. Par exemple, pour les dépassements d’honoraires, nous avons appelé les partenaires conventionnels à se saisir de la question : si aucun accord n’est trouvé, nous prendrons nos responsabilités. De toute façon, nous réformerons le financement, avec le souci de l’égalité, de la proximité, en plaçant la notion de parcours de soins au cœur de nos politiques.
La loi HPST était centrée aussi sur une nouvelle gouvernance à l’hôpital. «Il faut un et un seul patron à l’hôpital», répétait Sarkozy…
La loi HPST a marqué le summum du mépris à l’égard des professionnels de santé. Si le malaise est si fort dans le monde hospitalier, c’est parce que le personnel soignant - médecins comme infirmières - a eu le sentiment d’être traité comme la cinquième roue du carrosse. L’hôpital a besoin d’apaisement. Nous devons travailler afin que la communauté soignante soit un partenaire mieux identifié et mieux reconnu. Quand les relations sont bonnes, les choses avancent. De fait, l’hôpital ne manque pas de patron, il lui faut surtout un cap et un projet. Un hôpital qui n’a pour horizon que la contrainte financière, est un hôpital qui a le blues et n’avance plus.
La moitié des hôpitaux sont pourtant en déficit…
Il y a des hôpitaux en déséquilibre financier, mais il faut noter que ces déficits sont concentrés sur certains hôpitaux. Quoi qu’il en soit, ce déficit n’est pas une bonne chose. Dans la refonte du financement, il faudra que les missions de service public soient mieux identifiées et mieux prises en charge.
Etes-vous pour la suppression du secteur privé à l’hôpital public, comme le demandent un certain nombre de médecins hospitaliers ?
Dans le cadre des discussions sur les dépassements d’honoraires qui vont s’ouvrir, cette question sera abordée. Il faut que tout cela soit régulé au sein de l’hôpital public, et je le redis, il y a des abus scandaleux qui ne doivent plus perdurer.
A l’hôpital, la démocratie sanitaire, - et avec son corollaire, la place du patient -, parait en panne… Est-ce votre sentiment ?
C’est un grand débat que nous devons avoir. La démocratie sanitaire doit progresser. Même s’il est inexact de dire que rien n’a été fait : il y a eu la loi de 2002. Les patients ont des droits : participation, information, transparence. Cette loi a marqué un tournant, mais des inégalités persistent et le droit à l’information reste embryonnaire. Une nouvelle étape doit être engagée, notamment sur la question des droits collectifs.
Marisol Touraine : «L’hôpital public est le seul à être présent sur tous les fronts»
27 juin 2012 à 21:16
Marisol Touraine, à l’Elysée, sortant du Conseil des ministres, le 13 juin. (PHOTO JULIEN DANIEL.MYOP pour Libération)
INTERVIEW La ministre des Affaires sociales et de la Santé compte mettre fin à la convergence tarifaire entre le secteur public et le secteur privé :
Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, est intervenue, hier, à un colloque sur «l’hôpital et sa mission», organisé par Didier Tabuteau, qui dirige la chaire santé à Sciences-Po. Pour Libération, elle dévoile sa politique hospitalière.
La loi Hôpital patient santé territoire (HPST), votée par la droite il y a trois ans, parlait de missions de service public, et non plus de service public pour l’hôpital. Une bonne idée ?
Non. L’hôpital public est un des piliers de notre système de santé, et remettre en cause l’idée même qu’il y ait un service public hospitalier, c’est remettre en cause la spécificité de l’hôpital public.
N’est-ce pas une position exagérée ?
L’hôpital public est unique. Il soigne, accueille tout le monde, et prend en charge toutes les pathologies, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il ne se contente pas de soigner, il forme, il fait de la recherche. Bref, il est normal qu’à ce grand service public corresponde un financement particulier, mais aussi une reconnaissance particulière. Il ne s’agit pas de nier l’importance des établissements privés, qui sont des acteurs à part entière du système de soins, mais ils n’ont pas les mêmes caractéristiques. Et la notion de service public est essentielle.
Mais dans certains territoires, il n’y a pas d’hôpital public. Etait-ce saugrenu de déléguer certaines missions à des établissements privés ?
Ce n’est pas contradictoire. Je pense que le service public de santé doit être accompli par des acteurs divers, mais ce qui fait la différence avec l’hôpital public, c’est que ce dernier est le seul à prendre en charge l’ensemble des missions. Il est sur tous les fronts, et cela pour tous les malades.
Qu’en est-il alors du financement des hôpitaux, par le biais de la T2A, la tarification à l’activité ?
Sur la question du financement, nous mettrons d’abord fin à la convergence tarifaire entre le public et le privé. Concernant la T2A, il s’agit de la faire évoluer, et de ce fait de revoir le financement du service public hospitalier. Nous le ferons, très vite, à l’occasion du débat sur le PLFSS [projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ndlr] à l’automne. Il s’agit de compléter la T2A par une meilleure prise en compte des exigences du service public, avec ses missions, mais aussi ses particularités.
Plus précisément ?
L’objectif est simple : permettre à chacun de se soigner à un coût accessible. Le public reçu à l’hôpital et les pathologies qui y sont traitées ne sont pas les mêmes que dans le secteur privé. Ils nécessitent un encadrement, une orientation et un suivi spécifiques. Les modes de tarification doivent être adaptés.
Faut-il une nouvelle loi hospitalière ?
Nous verrons, mais en tout état de cause, les dispositions ne seront pas uniquement d’ordre législatif. Par exemple, pour les dépassements d’honoraires, nous avons appelé les partenaires conventionnels à se saisir de la question : si aucun accord n’est trouvé, nous prendrons nos responsabilités. De toute façon, nous réformerons le financement, avec le souci de l’égalité, de la proximité, en plaçant la notion de parcours de soins au cœur de nos politiques.
La loi HPST était centrée aussi sur une nouvelle gouvernance à l’hôpital. «Il faut un et un seul patron à l’hôpital», répétait Sarkozy…
La loi HPST a marqué le summum du mépris à l’égard des professionnels de santé. Si le malaise est si fort dans le monde hospitalier, c’est parce que le personnel soignant - médecins comme infirmières - a eu le sentiment d’être traité comme la cinquième roue du carrosse. L’hôpital a besoin d’apaisement. Nous devons travailler afin que la communauté soignante soit un partenaire mieux identifié et mieux reconnu. Quand les relations sont bonnes, les choses avancent. De fait, l’hôpital ne manque pas de patron, il lui faut surtout un cap et un projet. Un hôpital qui n’a pour horizon que la contrainte financière, est un hôpital qui a le blues et n’avance plus.
La moitié des hôpitaux sont pourtant en déficit…
Il y a des hôpitaux en déséquilibre financier, mais il faut noter que ces déficits sont concentrés sur certains hôpitaux. Quoi qu’il en soit, ce déficit n’est pas une bonne chose. Dans la refonte du financement, il faudra que les missions de service public soient mieux identifiées et mieux prises en charge.
Etes-vous pour la suppression du secteur privé à l’hôpital public, comme le demandent un certain nombre de médecins hospitaliers ?
Dans le cadre des discussions sur les dépassements d’honoraires qui vont s’ouvrir, cette question sera abordée. Il faut que tout cela soit régulé au sein de l’hôpital public, et je le redis, il y a des abus scandaleux qui ne doivent plus perdurer.
A l’hôpital, la démocratie sanitaire, - et avec son corollaire, la place du patient -, parait en panne… Est-ce votre sentiment ?
C’est un grand débat que nous devons avoir. La démocratie sanitaire doit progresser. Même s’il est inexact de dire que rien n’a été fait : il y a eu la loi de 2002. Les patients ont des droits : participation, information, transparence. Cette loi a marqué un tournant, mais des inégalités persistent et le droit à l’information reste embryonnaire. Une nouvelle étape doit être engagée, notamment sur la question des droits collectifs.
Secteur privé, T2A, gouvernance : Touraine précise ses plans pour l’hôpital
lequotidiendumedecin.fr 28/06/2012
Dans un entretien à Libération publié ce jeudi, la ministre des Affaires sociales et de la Santé expose les grandes lignes de sa politique hospitalière. Extraits.
• Missions de service public
Comme au salon Hôpital Expo, Marisol Touraine réaffirme les spécificités d’un hôpital public « seul à être présent sur tous les fronts ». « L’hôpital public est unique. Il soigne, accueille tout le monde, et prend en charge toutes les pathologies, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il ne se contente pas de soigner, il forme, il fait de la recherche. Bref, il est normal qu’à ce grand service public corresponde un financement particulier, mais aussi une reconnaissance particulière. Il ne s’agit pas de nier l’importance des établissements privés, qui sont des acteurs à part entière du système de soins, mais ils n’ont pas les mêmes caractéristiques. Et la notion de service public est essentielle ».
• T2A
La ministre confirme strictement les engagements de François Hollande mais précise l’agenda. « Sur la question du financement, nous mettrons d’abord fin à la convergence tarifaire entre le public et le privé. Concernant la T2A, il s’agit de la faire évoluer, et de ce fait de revoir le financement du service public hospitalier. Nous le ferons, très vite, à l’occasion du débat sur le PLFSS [projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ndlr] à l’automne. Il s’agit de compléter la T2A par une meilleure prise en compte des exigences du service public, avec ses missions, mais aussi ses particularités ».
• Une nouvelle loi hospitalière ?
Interrogée sur l’opportunité d’une nouvelle loi hospitalière (évoquée parFrançois Hollande), Marisol Touraine reste prudente. « Les dispositions ne seront pas uniquement d’ordre législatif. Par exemple, pour les dépassements d’honoraires, nous avons appelé les partenaires conventionnels à se saisir de la question : si aucun accord n’est trouvé, nous prendrons nos responsabilités. De toute façon, nous réformerons le financement, avec le souci de l’égalité, de la proximité, en plaçant la notion de parcours de soins au cœur de nos politiques ».
• Encadrement du secteur privé à l’hôpital
Ce point sensible fera bien partie des négociations tripartites (CNAM, complémentaires santé, médecins) qui commenceront le 25 juillet.« Dans le cadre des discussions sur les dépassements d’honoraires qui vont s’ouvrir, cette question sera abordée. Il faut que tout cela soit réguléau sein de l’hôpital public, et je le redis, il y a des abus scandaleux qui ne doivent plus perdurer ».
• Un seul patron à l’hôpital ?
Marisol Touraine reprend à son compte les critiques récurrentes de la communauté médicale, qui demande d’être davantage associée à lagouvernance hospitalière. « La loi HPST a marqué le summum du mépris à l’égard des professionnels de santé. Si le malaise est si fort dans le monde hospitalier, c’est parce que le personnel soignant - médecins comme infirmières - a eu le sentiment d’être traité comme la cinquième roue du carrosse. L’hôpital a besoin d’apaisement. Nous devons travailler afin que la communauté soignante soit un partenaire mieux identifié et mieux reconnu ».
› C.D.
Le dialogue et la fermeté
Dans l’entretien qu’elle a accordé au « Généraliste », la ministre des Affaires sociales et de la Santé a annoncé « des révisions importantes » sur les deux grandes réformes sanitaires du précédent quinquennat. Sur le DPC, elle temporise pour trouver le consensus. Et, concernant l’accès aux soins, elle veut jouer la concertation. Mais, attention ! Si les négociations devaient s’enliser, la ministre pourrait bien s’impatienter.
Le Généraliste. Vous êtes depuis plusieurs années responsable des questions sociales et de la santé au parti socialiste. Pourquoi votre intérêt pour ces sujets ?
Marisol Touraine. Je suis engagée en politique depuis maintenant plus de vingt ans et je vois bien que les questions sociales préoccupent les Français au quotidien. Si les questions de santé ont parfois du mal à s’installer dans le débat politique, elles restent une priorité pour nos concitoyens. C’est pourquoi j’ai été amenée à m’intéresser à ces sujets qui font partie du combat pour l’égalité. Je suis une femme de gauche et, pour moi, l’enjeu essentiel, c’est celui de la justice, du recul des inégalités. La question sociale, de ce point de vue, est donc cruciale.
En matière de santé, deux réformes majeures ont marqué le précédent quinquennat : loi « HPST » et loi sur la sécurité sanitaire. Faut-il s’attendre à des retouches sur ces deux réformes ?
M.T. Plus que des retouches, il y aura des révisions importantes ! La loi « HPST » ne donne pas aujourd’hui satisfaction. Les inégalités en matière d’accès aux soins se sont creusées et les inégalités financières se sont accrues. Un Français sur trois déclare renoncer à des soins parce qu’il n’en a pas les moyens. De leur côté, les médecins sont inquiets ; ils ne sont plus qu’un sur dix à s’installer en libéral dès la première année à la fin de leurs études. La situation existante n’est satisfaisante ni du point de vue des patients, ni du point de vue des professionnels. Des évolutions seront donc nécessaires dès le PLFSS 2013 en matière d’accès aux soins et de reconnaissance de la médecine générale et, au-delà, de proximité. Sur la sécurité sanitaire, la loi a été votée et nous verrons comment aller plus loin, notamment sur les dispositifs médicaux. Cette loi a marqué un progrès. Pour autant, je ne la considère pas comme un aboutissement.
Dans votre grand ministère social, vous êtes épaulée de plusieurs ministres délégués, mais aucun en charge de la Santé. Est-ce le signe que vous faites des questions de la santé une priorité et une affaire personnelle ?
M.T. C’est d’abord le choix du président de la République et du Premier ministre de m’avoir confié un ministère qui regroupe à la fois les Affaires sociales et la Santé. Les questions liées au handicap, à l’exclusion, à la famille et aux politiques de l’âge sont essentielles pour les Français. Je suis heureuse et fière d’avoir à mes côtés pour m’accompagner dans cette mission trois ministres déléguées de talent. Concernant la santé, j’ai suivi ces questions à l’Assemblée nationale pendant de nombreuses années, durant lesquelles je me suis forgée une conviction : la santé n’est pas une affaire personnelle, mais bien celle de tous les Français.
Le Généraliste. Vous avez reçu les présidents des syndicats de médecins libéraux, puis rencontré samedi dernier les médecins généralistes à Nice. Dans quel état d’esprit sentez-vous les médecins libéraux et leurs représentants ?
M.T. Je les sens en attente, échaudés par une politique assez erratique au cours des dernières années. Une politique parfois brutale qui a été marquée, me semble-t-il, par la défiance à leur égard. Je les sais aussi disposés à travailler et à construire, tout en étant pleinement conscients des préoccupations des Français. L’accès aux soins, le coût des soins, les déserts médicaux : voilà les sujets quotidiens sur lesquels les Français nous ont interpellés pendant les campagnes présidentielle et législative. Sans doute le fait que je sois ministre en charge de la Santé a-t-il amené les habitants de mon département (l’Indre-et-Loire, ndlr) à me parler de ces questions. Mais il n’y a pas un déplacement lors de ma campagne législative où l’on ne m’ait parlé de déserts médicaux, de délais d’attente pour avoir des rendez-vous, de la place de l’hôpital par rapport aux médecins de proximité… C’est donc un sujet majeur et je sens les médecins prêts à relever les défis et à travailler avec moi dès lors que ce travail se fait dans l’écoute et le dialogue. Il est nécessaire d’être pragmatique ; je crois qu’il faut élaborer des solutions répondant aux attentes des Français et tenant compte aussi de la demande légitime des professionnels, que soit reconnu leur rôle et respecté leur travail. C’est dans cet esprit-là que je m’inscris. Je suis une femme de dialogue, mais ferme sur ses convictions et attentive aux enjeux de justice.
Quelle mission attribuez-vous à la médecine générale ? Peut-on s’attendre à ce que les règles du jeu qui régissent son exercice continuent à changer dans les cinq ans à venir ?
M.T. La médecine générale, c’est le socle de notre système de soins et, au-delà de la médecine générale, je parle volontiers de médecine de proximité. Il est absolument évident que nous devons conforter, renforcer, mieux reconnaître la place de cette médecine de proximité et de la médecine générale en particulier. Cela se fera par le dialogue. Mieux valoriser certaines fonctions et responsabilités, inciter à l’installation dans les territoires qui ne sont pas spontanément attractifs : tout cela doit se poursuivre parce que telles sont les attentes de nos concitoyens.
À votre avis, quelle incidence a la féminisation croissante de la profession ?
M.T. Il y a de plus en plus de femmes médecins comme il y a de plus en plus de femmes qui occupent des postes traditionnellement réservés aux hommes. L’image de la profession s’est transformée, mais je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que la féminisation est, comme on le dit parfois, un problème. Les femmes anticipent souvent les évolutions de la société. Par exemple, mieux concilier vie professionnelle et vie familiale est une demande croissante chez les hommes aujourd’hui. De même, il n’y a pas que les femmes qui aspirent à des modes d’exercice différents, plus ouverts, en équipe. Je sais qu’il y a une nouvelle génération plus féminine et, au-delà de la place des femmes, c’est cette génération qui veut faire évoluer les relations avec l’hôpital et les patients. C’est une génération qui, au fond, est pleinement partie prenante de la société du XXIe siècle.
Pendant la campagne, François Hollande avait promis « un plan d’urgence pour l’installation des jeunes médecins ». Avez-vous déjà une idée de la façon dont il pourrait se construire et prendre forme ?
M.T. Je veux faciliter l’installation des jeunes médecins. Ils sont évidemment au c?ur du système de santé que nous voulons construire. Ce n’est pas contre eux qu’il faut envisager l’avenir, mais avec eux. Pour cela, nous allons leur simplifier les démarches administratives. Nous allons aussi renforcer l’attractivité de la médecine libérale, sans exclure la médecine salariée, et surtout, ne pas opposer l’une à l’autre. Il nous faut évidemment soutenir, plus que cela n’a été fait par le passé, les pratiques innovantes, l’exercice en groupe, pluridisciplinaire et travailler à la coopération entre les différents professionnels. La médecine n’est pas une île isolée au milieu de l’océan. Il doit y avoir davantage de coopération, de coordination, y compris avec l’hôpital. Je ne veux pas opposer l’hôpital et la médecine libérale. Chacun a sa place et son rôle. Chacun doit s’ouvrir sur l’autre. L’hôpital ne peut pas se substituer à la médecine de proximité et ne doit pas nécessairement suivre les patients une fois qu’ils sont sortis de ses murs. C’est pourquoi la confiance entre l’hôpital et le médecin de proximité est indispensable. Et à l’autre bout de la chaîne, il faut une meilleure coordination, ainsi qu’une meilleure permanence des soins, qui permette de ne pas faire de l’hôpital le point d’entrée. C’est encore trop souvent le cas dans notre système de santé.
Ces derniers temps, certains, à l’Ordre ou du côté des doyens de faculté, ont réclamé plus de régulation des installations. Pensez-vous que l’on puisse échapper à un minimum de coercition au cours des cinq prochaines années ?
M.T. Je suis confiante. Les professionnels de santé comprennent que des évolutions sont nécessaires. L’objectif que j’ai fixé est l’accès aux soins pour tous, à un coût raisonnable, financièrement supportable, partout sur le territoire. Cela n’est pas négociable. Je me félicite que des voix jusque-là plus réservées s’élevent désormais pour dénoncer des dépassements d’honoraires inacceptables et des déserts médicaux préoccupants. Ces instances ont d’ailleurs un rôle à jouer. Elles peuvent prendre des sanctions sur les dépassements abusifs, par exemple. Mais je récuse ce qui vient opposer, au sein même de la profession, les jeunes aux moins jeunes. Nous devons travailler en bonne intelligence et je veux croire que ces voix qui se font entendre montrent que l’ensemble de la profession est maintenant prêt à s’engager de façon constructive. Je crois au dialogue et à la concertation, mais le dialogue ne doit pas être synonyme d’enlisement. La négociation ne peut pas être le prétexte à l’immobilisme. Je ferai tout pour que le compromis et le consensus l’emportent, mais, encore une fois, je ne reculerai pas devant l’attente des Français.
Les négociations sur les dépassements d’honoraires vont démarrer bientôt. Qu’en attendez-vous ?
M.T. Je souhaite qu’elles s’engagent dans un cadre conventionnel. J’ai évoqué la question avec les syndicats de médecins. Je vais donc saisir officiellement l’Assurance-maladie prochainement et des discussions pourront s’engager. Le processus se mettra en place dans le courant du mois de juillet. Le secteur optionnel, qui a été rejeté par une majorité des acteurs, ne me paraît pas être une solution. Nous devons travailler de façon globale, ne pas isoler certaines professions. L’objectif, c’est à la fois de mettre fin à des tarifs scandaleux, aussi bien à l’hôpital qu’en médecine de ville, et de garantir que personne ne renoncera à des soins pour des raisons financières.
Le congrès de la médecine générale de Nice était, cette année, centré sur la performance et la qualité. Pour vous, comment ces deux concepts peuvent-ils se décliner en terme de formation et/ou de mode de rémunération ?
M.T. Je n’aime pas beaucoup le mot de « performance », la qualité suffit. C’est un objectif partagé par tous que de faire en sorte que la qualité des prises en charge et la qualité des soins soient garanties. La qualité est liée à la formation. Aujourd’hui, plus personne ne récuse cela. La qualité, c’est également l’échange et la coopération. C’est encore une meilleure prise en charge de la prévention qui est un enjeu majeur. La prise en charge des malades chroniques, l’accompagnement du vieillissement de la population, l’intégration de l’éducation thérapeutique, tout cela fait partie de la qualité et doit être évidemment intégré dans la démarche des médecins et dans l’organisation du système de soins. Le mode de rémunération doit s’adapter à l’évolution de la prise en charge et du métier de médecin. Soigner, c’est aussi prévenir et accompagner. Tout cela doit se traduire dans la rémunération, le paiement à l’acte en restant le socle, mais la part de la rémunération forfaitaire qui a été introduite doit – et devra – s’élargir.
Dans le domaine de la formation continue, le précédent gouvernement a réformé le système. Le DPC semble long à mettre en place et il suscite des interrogations concernant l’association des médecins libéraux à son pilotage et concernant son financement. Comptez-vous revenir sur ce dispositif, voire le supprimer ?
M.T. Personne, aujourd’hui, ne remet en cause la nécessité d’un système de formation continue. Et, ce qui est certain, c’est qu’on a besoin d’un dispositif opérationnel et efficace. Je veux être certaine que le DPC constitue un réel levier pour la mise en ?uvre de mes priorités en matière de soins de proximité. Aujourd’hui, manifestement, il ne répond pas aux attentes et suscite des préoccupations. Je veux m’assurer que le système proposé soit la fois efficace et indépendant. J’ai donc demandé à l’administration de décaler la première réunion de la Commission scientifique indépendante, (CSI) qui doit lancer le processus pour que nous puissions trouver une solution consensuelle sur la composition de la commission et sur sa façon de travailler.
Propos recueillis par Jean Paillard et Caroline Laires-Tavares
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