Aloïse Corbaz, folles variations sur le corps, la danse et son amour pour Guillaume II
LE MONDE |
La simultanéité des expositions Soutter à Paris et Aloïse à Lausanne est fortuite. Elle offre néanmoins l'occasion de vérifier combien les processus de création sont différents. Leur seul point commun : une oeuvre prolifique.
Aloïse Corbaz (1886-1964) naît à Lausanne dans une famille modeste, peu cultivée, marquée par l'alcoolisme. Elle veut devenir cantatrice mais est gouvernante d'enfants. Elle rêve d'amour et prend pour amant son voisin, un prêtre défroqué. Sa soeur aînée, soucieuse de morale, l'envoie à Berlin, encore comme gouvernante, et Aloïse se prend de passion pour l'empereur Guillaume II, qu'elle a entrevu une fois. De retour en Suisse en 1913, elle présente peu après des symptômes délirants et un comportement incohérent. Internée en 1918, elle est placée en 1920 à l'asile psychiatrique de la Rosière. Après un temps de mutisme et d'enfermement en elle-même, elle commence à écrire et à dessiner - et continue jusqu'à sa mort. Elle emploie des crayons de couleur sur des feuilles, d'abord récupérées, puis fournies par le personnel de l'asile. Dans les premiers temps, en effet, elle se cache pour dessiner, puis renonce au secret. Dans les dernières années de sa vie, quand sa notoriété se répand grâce à l'intérêt que lui manifestent Jean Dubuffet et André Breton et au travail du docteur Jacqueline Porret-Forel, elle reçoit des pastels.
La conjonction d'une longue rétrospective au Musée cantonal des beaux-arts et d'un accrochage aussi dense à la Collection de l'art brut permet de mesurer l'ampleur de l'oeuvre et de vérifier combien elle repose sur un style fixé dès le début et un nombre très restreint de figures et de situations.
Les figures sont au nombre de trois. Il y a principalement la femme aux courbes serpentines, à la poitrine généreuse et souvent dénudée, aux grands yeux ovales. Elle révèle sa beauté majestueuse dans des robes de soirée ou de couronnement, ornées de fleurs à profusion. Souvent son corps lui-même devient fleurs en boules. Quand elle est nue, son sexe est un fruit ouvert, grenade ou abricot. Elle s'appelle Marie Stuart, Marie-Louise, la reine Elisabeth ou Cléopâtre : Aloïse trace leurs noms de son écriture ronde.
Près de l'héroïne superbe, il y a l'homme, seigneurial, culotte blanche, bottes, uniforme, brandebourgs. Il est Napoléon, pape, de Gaulle ou empereur. La troisième figure, dont la présence est moins régulière, est un enfant, plutôt un homoncule de sexe féminin.
Les situations, ce sont approches, étreintes, caresses, pas de danse, enlèvements. Ce qu'il pourrait rester de sous-entendus est dissipé quand Aloïse figure explicitement le sexe masculin ou féminin. Ces scènes sont tantôt traitées sur des feuilles isolées, tantôt cousues ou collées en rouleaux qui peuvent être longs d'une dizaine de mètres. Des collages enrichissent le dessin, images de Noël, cartes postales, photos prises dans les journaux.
L'abondance de l'exposition - entre trois cents et quatre cents oeuvres réunies - accentue ce qu'il y a de manie dans le processus. Aloïse répète, avec peu de variations, une scène fantasmatique, sans doute celle de ses amours avec l'empereur Guillaume II - auquel elle adresse en 1917 une lettre passionnée. Le dessin et les rehauts des couleurs font l'éloge du corps féminin et du plaisir érotique - interdit dans sa vie et retrouvé par ce moyen. Jusqu'à la fin, elle n'a pas d'autre sujet ni d'autre tonalité. Autant le dessin de Soutter est multiple, varié, changeant, autant il est systématique chez Aloïse. Le sentiment d'être englouti dans une obsession fait de la visite une expérience étrange, qui finit par être douloureuse.
"Aloïse, le ricochet solaire", Musée cantonal des beaux-arts, 6, place de la Riponne, Lausanne. Tél. : 00-41-21-316-34-45. Du mardi au jeudi de 11 heures à 18 heures, du vendredi au dimanche de 11 heures à 17 heures. Entrée : CHF 10. Jusqu'au 28 août.
Collection de l'art brut, 11, avenue des Bergières, Lausanne. Tél. : 00-41-21-315-25-70. Tous les jours de 11 heures à 18 heures en juillet et août, du mardi au dimanche de 11 heures à 18 heures le reste du temps. Entrée ; CHF 10. Jusqu'au 28 octobre.
Sur le Web : www.musees.vd.ch et www.artbrut.ch.
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