Rétrospective 2011 en psychiatrie
Publié le 04/01/2012 |
Exercice obligé en cette période de l’année, les éditorialistes de The American Journal of Psychiatry reviennent sur certains des articles ayant le plus marqué dans cette revue « l’année psychiatrique » écoulée. Pour le cru 2011, six thèmes sont retenus :
1) Approche pharmacogénétique contre l’alcoolisme
L’approche pharmacogénétique représente désormais « un objectif pour tous les domaines de la médecine » : dans l’idéal, on pourrait délivrer un traitement sur la base de « caractéristiques individuelles du malade, y compris son génotype. » En 2011, une étude sur un médicament bloquant les récepteurs sérotoninergiques constitue « l’une des premières tentatives sérieuses de tester une stratégie génomique personnalisée pour une maladie psychiatrique » (en l’occurrence l’addiction à l’alcool), sur la base d’un génotype du gène transporteur de la sérotonine. Si ces tentatives visant à utiliser l’information génétique pour la sélection des médicaments ne sont pas « nécessairement prématurées », les médecins et leurs patients doivent réaliser que ce domaine, le projet d’une « médecine personnalisée » est « encore en évolution. »
2) Un traitement avec un nouveau mécanisme d’action
On constate que les neuroleptiques actuels dérivent de molécules identifiées « depuis longtemps » et que le nombre de mécanismes d’action disponibles aujourd’hui reste « très faible.» Le plus souvent, le progrès réside alors dans une meilleure efficacité avec moins d’effets secondaires, et non dans un nouveau mécanisme d’action. Un défi majeur pour la psychiatrie est donc le développement de traitements basés sur de nouvelles approches pharmacologiques. C’est pourquoi l’auteur salue l’arrivée d’une molécule traversant la barrière hémato-encéphalique (la 7,8-dihydroxyflavone) aux « effets bénéfiques sur l’apprentissage émotionnel. » Cette innovation thérapeutique lui semble « particulièrement intéressante » car elle présente une activité agoniste des récepteurs TrkB [1] permettant ainsi de mimer les effets du facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF)[2].
3) Et un précurseur
L’auteur retient un court article sur Richard Steele, un journaliste et politicien britannique (1672-1729), connu aussi pour être l’une des sources de Daniel Defoe pour son célèbre roman Robinson Crusoe. Richard Steele fut orphelin très jeune et sa description du traumatisme infantile « longtemps avant Freud et même avant la psychiatrie » lui confère un statut de précurseur remarquable : « L’esprit dans l’enfance ressemble à l’embryon dans le corps, écrit Steele, et reçoit des sensations si fortes qu’elles sont aussi difficiles à être effacées par la raison qu’une marque de naissance. » Il est bon de rappeler que la psychiatrie s’enracine ainsi dans l’humain, par son aspect littéraire, et pas seulement dans une dimension matérialiste ou scientiste.
4) La nouvelle vision des troubles du spectre autistique
Parmi les informations psychiatriques importantes de l’année 2011, l’auteur retient une étude sud-coréenne déjà évoquée sur Jim.fr (cf. Préciser la prévalence de l’autisme). En montrant notamment les taux « relativement élevés » de l’autisme, en pratique « bien plus élevés que les estimations antérieures », cette recherche confirme l’intérêt des « études épidémiologiques bien conçues » et change « la manière de percevoir » les troubles de type autistique. Ceux-ci ne peuvent plus être considérés aujourd’hui comme une problématique rare mais doivent nous inciter, vu leur fréquence, à mieux les comprendre et mieux assurer leur diagnostic.
5) Conceptions affinées pour les études longitudinales
L’auteur estime que nous devons « repenser la façon dont nous concevons la recherche longitudinale. » Si certaines affections laissent une « empreinte clinique » sur toute la vie, il est rare qu’une enquête prospective puisse s’étaler sur plusieurs décennies. Par conséquent, les conclusions résultent souvent de « données transversales ou réparties dans plusieurs groupes d’âge sur une période plus courte. » S’appuyant sur l’exemple d’une étude publiée en 2011 sur les rapports entre l’apolipoprotéine E ε4, l’épaisseur du cortex entorhinal[3] et la maladie d’Alzheimer, l’auteur rappelle que des « approches plus fines » sont donc requises pour comprendre l’évolution des maladies neuro-psychiatriques, «depuis leurs prodromes jusqu’à leur expression à un âge avancé. »
6) Surveillance en temps réel par les patients
Le dernier thème retenu par les éditorialistes de The American Journal of Psychiatry a également été abordé sur Jim.fr (cf.Palm pour la recherche) : il s’agit de l’usage des ordinateurs de poche (Personal Digital Assistant) pour obtenir des informations en temps réel sur l’état du patient (computerized ambulatory monitoring technique, méthode informatisée de surveillance ambulatoire). Si ces recherches sont encore limitées, elles ouvrent probablement une nouvelle voie d’accès à des informations jusque-là indisponibles, comme ici « des liens spécifiques entre la consommation de drogues et la schizophrénie. »
[1] http://en.wikipedia.org/wiki/TrkB_receptor
[2] http://en.wikipedia.org/wiki/Brain-derived_neurotrophic_factor
[3] http://en.wikipedia.org/wiki/Entorhinal_cortex
Dr Alain Cohen
Freedman R et coll.: 2011 in review. Am J Psychiatry 2011 ; 168 : 1141–1244.
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