Hôpital Sud Francilien : les collectivités ne peuvent plus se passer des PPP
| 23.01.12
Avec huit mois de retard, l'hôpital sud-francilien, en lisière de Corbeil-Essonne et Evry, a accueilli ses premiers patients lundi 23 janvier. Avec 1 017 lits, vingt blocs opératoires, une chaufferie au bois, il devient le plus grand hôpital de France, supplantant Georges-Pompidou, à Paris. L'ouverture a dû êtrerepoussée en raison des 8 000 réserves émises lors de la réception, ce qui est classique pour un tel équipement, et des travaux supplémentaires exigés par l'hôpital. Mais ce retard a nourri la polémique sur le choix du contrat de partenariat public-privé (PPP) conclu entre l'établissement public hospitalier et la société Eiffage.
Ce PPP prévoit qu'Eiffage finance et construise l'établissement puis en assure la maintenance pour les trente ans à venir, en contrepartie d'un loyer de 40 millions d'euros, une somme que beaucoup juge exorbitante. A tel point que le président de l'hôpital, le maire PS d'Evry, Manuel Valls, veut dénoncer le contrat.
L'hôpital sud-francilien est devenu le symbole des ratages des PPP, alors que les collectivités et l'Etat semblent ne plus pouvoir s'en passer. L'année 2011 a ainsi été riche en gros contrats puisqu'il en a été conclu pour 6 milliards d'euros, voire 14 milliards d'euros en incluant la future ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, remportée par Vinci. D'énormes contrats s'annoncent encore en 2012, comme la ligne ferroviaire Nîmes-Montpellier, attribuée à Bouygues, le nouveau palais de justice de Paris, sur le terrain des Batignolles, pour 1 milliard d'euros, également remportée par Bouygues, le plan Campus, qui prévoit la rénovation de douze universités. Sans compter 24 000 nouvelles places de prison d'ici 2017.
>>> Voir le portfolio "PPP: des chantiers pharaoniques à la rentabilité incertaine"
- Quel est l'intérêt des PPP ?
Cette formule créée par l'ordonnance du 17 juin 2004 permet à une administration ou une collectivité locale de confier à un seul et même opérateur privé le financement, la construction, la maintenance et l'exploitation d'un équipement. En contrepartie de la construction de ces collèges, prisons, stades, lignes à grande vitesse..., le commanditaire public doit payer un loyer pendant des dizaines d'années (jusqu'à cinquante-cinq ans pour les grandes infrastructures). L'opérateur privé est souvent une société créée pour l'occasion, associant un constructeur, un banquier ou un fonds d'investissement et des prestataires, pour la maintenance. Au terme du bail, la personne publique récupère la propriété de l'ouvrage en bon état.
La France a une longue tradition, qui remonte au XIXe siècle, de recours au privé pour ses services publics par le biais des concessions, dans les domaines de l'eau ou des transports. Dans une concession, l'exploitant assume le risque "commercial" et se rémunère surtout auprès des usagers. Ce n'est pas le cas d'un PPP où le loyer payé par le commanditaire de l'ouvrage est sans lien avec son exploitation, rentable ou non.
La mission d'appui aux partenariats public-privé (MAPPP) a, en cinq ans d'activité, recensé 118 contrats de partenariat, pour 11,8 milliards d'euros dont 28 conclus par l'Etat. "Le contrat de partenariat est loin d'être majoritaire, puisqu'il n'a représenté que 6 milliards d'euros en 2011, année record, là où l'investissement public total représente autour de 90 milliards d'euros par an",détaille François Bergère, directeur de la MAPPP.
- Qui décide du recours au contrat de partenariat ?
Théoriquement, le contrat de partenariat ne peut être utilisé que dans le cas d'un projet complexe, urgent et, depuis 2008, si son bilan coût-avantage est favorable. En réalité, il peut être utilisé quasiment dans tous les cas car il est facile dedémontrer qu'un contrat de partenariat est avantageux, quitte à biaiser les données. "J'ai vu des études préalables délibérément faussées pour justifier le recours" aux PPP, se souvient Michel Klopfer, conseiller financier des collectivités locales. "J'ai vu des erreurs grossières sur les frais financiers ou qui attribuaient, sans raison, une économie sur les prestations techniques de 20 % à 25 %, en faveur du privé, poursuit-il. Tous les cabinets, juristes, conseillers financiers ont un intérêt évident aux PPP, qui leur assurent du travail pour des années."
- Les grands groupes industriels sont-ils favorisés ?
A l'évidence oui, notamment les majors du BTP. Ces groupes sont seuls capables de s'offrir le luxe d'avancer les frais d'études nécessitées par la compétition. Dans le cas de l'opération Balard, du ministère de la défense, surnommée "Pentagone à la française", seules Bouygues, Vinci et Eiffage, ont eu les reins assez solides pour dépenser de 15 à 20 millions d'euros d'études avec le risque de perdre le contrat. L'appel d'offres du nouveau tribunal de Paris ou de la ligne à grande vitesse Nîmes-Montpellier n'a vu que deux concurrents s'affronter : Vinci et Bouygues. Pour le réaménagement du zoo de Vincennes une seule offre a été formulée par le tandem Bouygues-Icade.
Selon nos calculs, sur les plus gros contrats (d'un montant supérieur à 40 millions d'euros recensés depuis 2006), Vinci s'est arrogé 8,9 milliards d'euros (49,8 %) - dont 7,8 milliards pour la seule ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux -, Eiffage, 3,7 milliards d'euros (21 %) et Bouygues 3,8 milliards d'euros (21,4 %). Dans les contrats d'énergie, c'est un autre trio, GDF-Suez, EDF et Veolia qui se partage les marchés.
- Les PPP engendrent-ils des économies ?
La formule permet de réels gains de temps de chantier et le temps c'est de l'argent ! Selon François Bergère, de la MAPPP, "sur 40 opérations analysées, 90 % ont été livrées à l'heure. Lorsque les délais sont tenus, les coûts le sont en général aussi". Les constructeurs sont intéressés au respect du calendrier car ils ne sont payés qu'à compter de la livraison. La contre-performance de la rénovation, menée par l'Etat, du campus de Jussieu, à Paris, qui s'éternise sur plus de quinze ans et dont le budget a été multiplié par dix, est pain bénit pour les tenants des PPP...
Sur le plan financier, aucune étude n'est encore capable de mesurer les économies réelles sur le long terme. Les frais financiers sont théoriquement moins élevés dans un contrat 100 % public car l'administration peut emprunter à des taux préférentiels. Le privé, lui, contracte des prêts à des taux plus élevés ou investit ses fonds propres avec une exigence de rentabilité entre 10 % et 15 %. Le succès des PPP s'explique donc moins par les économies supposées que par le report de l'investissement : les collectivités n'ont rien à financer avant la livraison.
- Les PPP constituent-ils une bombe à retardement financière ?
Jusqu'en 2010, ces engagements financiers à long terme, sous forme de loyers, n'étaient pas considérés, au plan comptable, comme une dette, évitant decreuser le déficit apparent de l'Etat ou des collectivités locales - d'où son attrait. Depuis le 1er janvier 2011, les collectivités locales sont obligées de l'inscrire à leur bilan. Le préfet et la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France l'ont, par exemple, fermement rappelé à la commune de Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne). Depuis le 1er janvier 2012, l'Etat est dans la même obligation.
Pour beaucoup d'observateurs, les PPP constituent une charge incompressible qui peut devenir, à l'avenir, difficilement supportable pour les finances publiques."Ces financements innovants permettent d'échapper à la rigueur budgétaire. Le cumul de ces loyers à payer à très long terme pourrait asphyxier nos finances",s'alarme le sénateur (UMP) Jean Arthuis. "Avec un crédit devenu rare et cher, les projets de PPP devront être sélectionnés avec plus de soin", admet François Bergère.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire