Dans la peau de Tintin
Jean-Marie Apostolidès
Jean-Marie Apostolidès n’en est pas à son premier livre sur Tintin. Cela fait presque trente ans qu’il psychanalyse le personnage et ses aventures. Une démarche qu’Hergé lui-même aurait sans doute suivi avec intérêt : si le dessinateur ne s’est jamais prononcé sur les interprétations que les savants et les curieux ont donné à son œuvre, il s’est lui-même passionné pour la psychanalyse et l’ésotérisme, autorisant involontairement les manipulations posthumes les plus surprenantes.
Pour son troisième livre sur le sujet, passionnant et passionné, Jean-Marie Apostolidès a concentré son approche sur les rapports entre Tintin et la vie réelle : rapports mouvants et ambigus. Entre le personnage et le créateur d’abord, selon la façon dont Hergé a pu s’investir dans son œuvre tout au long de sa vie ; le tintinophile décrypte les aléas de sa biographie qu’on peut y lire en miroir, depuis la rivalité avec le frère cadet jusqu’à l’installation en joyeux propriétaire. Mais il se penche aussi sur le mythe Tintin, sur la religion totémique qu’il a pu susciter chez ses fans, et sur la gestion affairiste ou cultuelle des ayants droit après la mort d’Hergé.
Le programme est vaste. C’est donc un livre somme, de la part d’un érudit qui a beaucoup écrit, et beaucoup lu, sur le jeune homme à la houppette. Apostolidès fait référence à tous ses confrères, il fait le point sur les théories existantes, et propose finalement un essai qui se rapproche de la synthèse entre biographie, interprétation et journalisme contemporain. Dès lors le lecteur lambda, plus habitué aux hors séries de magazines sur Tintin qu’à la recherche universitaire, sera ravi d’en apprendre autant sur l’icône de la ligne claire. Les moments de crise sont particulièrement mis en valeur : les relations tumultueuses entre l’abbé Wallez, Georges Rémi et celle qui va devenir sa femme, ou les conflits entre Nick Rodwell et les médias.
Mais il n’est pas question ici de faire un simple travail de compilation. L’auteur ose de nombreuses interprétations, nous raconte à sa manière des événements qu’on croyait connaître, éclaire des moments mal interprétés. Bien sûr, on aimerait parfois plus de clarté, ou plus de chronologie dans le cheminement. Axer les rêveries d’Hergé sa vie durant sur un double fantasme, la gémellité et la petite fille, paraît un peu gratuit, même s’il permet quelques idées neuves comme le regard porté sur Les Bijoux de la Castafiore.
Mais le plus souvent, on est vraiment frappé par le brio des analyses de Jean-Marie Apostolidès. Il tente par exemple un éclairage chronologique des aventures de Jo et Zette, passant du petit Jo confronté avec sa jumelle à la violence des hommes au jeune adolescent à même de faire des projets. Il redonne aussi toute sa force au personnage du capitaine Haddok, apparu dans le désir et la cruauté avant de s’assagir. Ou encore il démonte la construction de la légende hergéenne, y compris du vivant du maître, avec le retour de Tchang, et l’élaboration de ce qu’il appelle le Moi médiatique. On pourrait citer de nombreux autres points, ne serait-ce que le retour récurrent des thèmes de la folie et de l’orphelin.
On croyait connaître Tintin. Mais il semble bien qu’il reste bien des choses à dire, et bien des choses à apprendre sur le héros le plus célèbre de la bande dessinée belge.
Clément Lemoine
Pour son troisième livre sur le sujet, passionnant et passionné, Jean-Marie Apostolidès a concentré son approche sur les rapports entre Tintin et la vie réelle : rapports mouvants et ambigus. Entre le personnage et le créateur d’abord, selon la façon dont Hergé a pu s’investir dans son œuvre tout au long de sa vie ; le tintinophile décrypte les aléas de sa biographie qu’on peut y lire en miroir, depuis la rivalité avec le frère cadet jusqu’à l’installation en joyeux propriétaire. Mais il se penche aussi sur le mythe Tintin, sur la religion totémique qu’il a pu susciter chez ses fans, et sur la gestion affairiste ou cultuelle des ayants droit après la mort d’Hergé.
Le programme est vaste. C’est donc un livre somme, de la part d’un érudit qui a beaucoup écrit, et beaucoup lu, sur le jeune homme à la houppette. Apostolidès fait référence à tous ses confrères, il fait le point sur les théories existantes, et propose finalement un essai qui se rapproche de la synthèse entre biographie, interprétation et journalisme contemporain. Dès lors le lecteur lambda, plus habitué aux hors séries de magazines sur Tintin qu’à la recherche universitaire, sera ravi d’en apprendre autant sur l’icône de la ligne claire. Les moments de crise sont particulièrement mis en valeur : les relations tumultueuses entre l’abbé Wallez, Georges Rémi et celle qui va devenir sa femme, ou les conflits entre Nick Rodwell et les médias.
Mais il n’est pas question ici de faire un simple travail de compilation. L’auteur ose de nombreuses interprétations, nous raconte à sa manière des événements qu’on croyait connaître, éclaire des moments mal interprétés. Bien sûr, on aimerait parfois plus de clarté, ou plus de chronologie dans le cheminement. Axer les rêveries d’Hergé sa vie durant sur un double fantasme, la gémellité et la petite fille, paraît un peu gratuit, même s’il permet quelques idées neuves comme le regard porté sur Les Bijoux de la Castafiore.
Mais le plus souvent, on est vraiment frappé par le brio des analyses de Jean-Marie Apostolidès. Il tente par exemple un éclairage chronologique des aventures de Jo et Zette, passant du petit Jo confronté avec sa jumelle à la violence des hommes au jeune adolescent à même de faire des projets. Il redonne aussi toute sa force au personnage du capitaine Haddok, apparu dans le désir et la cruauté avant de s’assagir. Ou encore il démonte la construction de la légende hergéenne, y compris du vivant du maître, avec le retour de Tchang, et l’élaboration de ce qu’il appelle le Moi médiatique. On pourrait citer de nombreux autres points, ne serait-ce que le retour récurrent des thèmes de la folie et de l’orphelin.
On croyait connaître Tintin. Mais il semble bien qu’il reste bien des choses à dire, et bien des choses à apprendre sur le héros le plus célèbre de la bande dessinée belge.
Clément Lemoine
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