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dimanche 26 septembre 2010




24.09.10

L'art brut obtient enfin un espace permanent dans un musée français

La réouverture du musée de Villeneuve-d'Ascq, dénommé désormais LaM, le 26 septembre, est un événement pour la métropole lilloise. Elle est d'autant plus marquante que les travaux d'agrandissement, qui ont duré quatre ans, répondent à une décision que l'on pourrait dire historique sans exagération. Pour la première fois en France, un musée d'ampleur nationale, financé et géré par des institutions publiques, présente une collection de cet art que l'on dit "brut" depuis que Jean Dubuffet a popularisé le terme.

Aux Etats Unis, on dit plutôt "outsider art" pour désigner ces créateurs dont le seul point commun est de n'être passé par aucune école d'art. Certains étaient ou sont enfermés dans des asiles.
D'autres ont vécu dans leur ferme, un pavillon de banlieue ou un coron. Les uns dessinent, les autres sculptent, beaucoup assemblent. Tous sont mus par le besoin de s'exprimer, hors de tout système artistique. Leurs travaux sont parfois admirables et, toujours, d'une singularité inexplicable.

Le monde de l'art a commencé à s'intéresser à certains de ces outsiders - ceux des asiles, les fous selon le vocabulaire du temps - il y a un siècle. Les premières collections, ont alors été réunies par des médecins aliénistes. Des artistes (Klee, Kandinsky) et des poètes (Breton, Eluard) ont été sidérés parce qu'ils y ont découvert. Après la Seconde guerre mondiale, Dubuffet s'est saisi du sujet, a fait de cet art brut une arme contre les artistes professionnels et a constitué une immense collection. Elle est visible à Lausanne, ville à laquelle Dubuffet l'a donnée en 1971. A cette époque, aucun musée français ne la jugeait digne d'être accueillie.

Il a donc fallu attendre trente-neuf ans de plus pour qu'une autre collection, celle de L'Aracine, soit exposée de façon permanente dans un musée et dans des salles conçues pour elle. L'Aracine est une association franco-belge créée en 1982 sans grands moyens par deux amatrices, Marguerite Lommel et Claire Tellier, et un artiste, Michel Nedjar. En 1984, ce qu'ils avaient réuni s'ouvre au public dans 70 m2 à Neuilly-sur-Marne. En 1986, la Direction des musées de France s'y intéresse enfin et suggère à L'Aracine de déposer sa collection au musée de Villeneuve-d'Ascq. En 1999, L'Aracine donne à celui-ci ses 3 500 oeuvres dont environ 400 seront exposées en permanence. C'est donc pour elles que l'architecte Manuelle Gautrand a ajouté 3 200 m2 au bâtiment initial.

Cette reconnaissance muséale, si elle est tardive, est réussie. Étant donné la variété des supports, des matériaux et des dimensions, il fallait des salles assez vastes pour que l'on puisse circuler autour des vitrines qui protègent les pièces sculpturales. Il fallait un accrochage assez au large pour que des manières de peindre ou dessiner extrêmement différentes ne se cognent pas les unes contre les autres. Et, parce que l'ordre chronologique a peu de sens pour des oeuvres qui ne s'inscrivent pas dans la succession habituelle des mouvements et des avant-gardes, il importait que la circulation soit libre : que le visiteur ait le sentiment de roder et la chance de se perdre. Sur ces points, le travail de Manuelle Gaudrand, en liaison avec les conservateurs chargés de cette collection, est exemplaire. Il privilégie la fluidité, ménage des surprises et respecte la singularité de chaque créateur.

Quelques personnalités sont, depuis longtemps, des figures célèbres. C'est particulièrement le cas d'internées et internés, Aloïse Corbaz dont est présenté un rouleau dessiné aux crayons de couleur de 14 mètres de long, ou Adolf Wöffli, interné à 31 ans, mort à 66 après avoir couvert des milliers de pages de schémas et de cartes cosmiques. Pas loin de là, les statues et constructions de bois d'Auguste Forestier, enfermé pour avoir fait dérailler un train en 1914, démontrent une imagination plastique au-delà du surréalisme. On n'est pas moins pris au dépourvu par les dessins de Georgine Hu, qu'elle considérait comme des billets de banque.

La section des œuvres liées au spiritisme s'organise autour d'une suite de toiles d'Augustin Lesage, mineur devenu peintre. Possédé par les démons de la symétrie et de l'ornement, il est le virtuose absolu des diagrammes symboliques. Emile Ratier ou Theo Wiesen, hommes du bois que l'on taille, colle et cloue, ne sont pas moins imprévisibles que Pascal-Désir Maisonneuve, l'homme des coquillages, Jean Lefèvre, récupérateur de machines électriques, et André Robillard, qui fabrique obsessionnellement de faux fusils avec des débris de toutes sortes.

Des questions reviennent : comment cela a-t-il été possible ? Par quels cheminements mentaux et matériels ? En inventant quelles techniques ? La remarquable exposition temporaire, qui accompagne la réouverture, "Habiter poétiquement le monde", associe des artistes "bruts" à des plasticiens actuels. On en reparlera.

Lille métropole Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut (LaM), 1, allée du Musée, Villeneuve- d'Ascq (Nord). Tél. : 03-20-19-68-68. De 7 € à 10 €. Sur le Web : Musee-lam.fr.

Philippe Dagen

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