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dimanche 11 avril 2010





L’individu à l’épreuve d’un monde sans courage
 
Le nouveau livre de Cynthia Fleury s’interroge sur la rupture contemporaine de la politique et de la morale. La philosophe y scrute les figures exemplaires de l'homme courageux.











La fin du courage de Cynthia Fleury.
Éditions Fayard, 2010,
208 pages,
14 euros.

 
Cynthia Fleury a perdu « le courage comme on égare ses lunettes » ! écrit-elle dans l’introduction de son tout récent ouvrage « La fin du courage ». Cette chute, rédigée à la première personne du singulier, lui semble plus poétique que celle, « gluante », de l’humanité dépourvue de courage qui n’aurait plus qu’à s’en remettre à « quelques individus prêts à s’extraire de la glu » (comme des héros surgissant de la plèbe) pour en sortir. La société qui l’entraîne vers le fond l’aide malgré tout - le courage étant là « comme le ciel est à portée de regard » - avec la « venlafaxine » (antidépresseur) à portée de main ! Son ouvrage prend acte d’une « fin du courage » de toute la société comme un moment de dépression peut toucher chaque individu. Mais le « courage collectif » n’est-il que la somme des courages individuels ? Où se fabrique-t-il ?
 
Cynthia Fleury s’interroge en philosophe sur ce qui manque à l’individu, son incomplétude, ce qui n’est pas fini, ce qu’il doit acquérir ; de même quelle vertu manque-t-il aujourd’hui à la démocratie ? « L’étude du courage politique et moral » dit « la norme par son absence et sa rareté … ». L’étudier dit « tout de l’histoire personnelle et collective des hommes » si l’on considère que l’addition des vertus des sujets est celle de la collectivité.
 
Cet essai qui relève plutôt de la Morale vise à « reformuler une théorie du courage » pour notre époque. Dans cette optique, Cynthia Fleury formule une sorte d’archéologie de cette vertu. Elle interroge l’existence de corrélations allant de l’individu au collectif ; le courage politique s’articule, selon l’auteur, sur le courage moral. Le courage, et surtout la posture qui fait « Le courageux » (sujet générique abstrait), sont passés en revue au travers de penseurs divers, en dehors de toute chronologie : Giorgio Agamben avec sa définition du « contemporain » qui devient « Le courageux » en affrontant les peurs générées par le dernier millénaire en date. Elle retourne à Aristote et à sa distinction du vrai et du faux courage. Elle cite également Montaigne pour qui le courage est tout simplement d’apprendre à vivre plutôt qu’à mourir.
 
Le courage consiste pour Cynthia Fleury à « ne pas regarder trop loin ». Le grand théoricien de l’ « Alerte » devant la peur, c’est Nietzche, alarme qui laisse la possibilité de se mettre à l’abri. Quand Napoléon III sévit, Victor Hugo ne s’exile-t-il pas à Jersey ? Le téméraire, en ce sens, n’est pas un courageux. Seul celui qui éprouve l’effort quotidien de Sisyphe et la peur du diable est courageux.
 
Le courageux a de multiples facettes car il s’agit d’une manière d’être, d’une trajectoire : « On ne naît pas homme, on le devient ». C’est la maxime de l’humaniste Érasme qui est invoquée là pour aboutir à « la nécessité de fonder une nouvelle métaphysique, d’atteindre la transcendance sans le dogme ». Le sujet qui s’affirme par son acte de courage trace un chemin qui relie les hommes entre eux chez Jankélévitch. Avec Cynthia Fleury, nous sommes dans une réalité surplombée par un mouvement linéaire, sans conflit ni solidarité, sans pouvoir, sans dominé ni dominant, un rêve d’abolition des antagonismes ! Pour décrire cette continuité du courage politique et du courage moral, Cynthia Fleury se réfère à Michel Foucault et à son épistémologie du « franc parler » où s’entendent la vérité, la liberté et l’acte de dire. Un jour peut-être…
 
Citant le philosophe Axel Honneth qui dirige à soixante ans ce qui reste de l’Ecole de Francfort, l’auteure montre que la non reconnaissance, l’invisibilité des individus par la société actuelle relève d’une « société du mépris » (dernière théorie critique en date) et « signe la fin du courage » parce que « l’oppression et la domination du système capitaliste sont bien plus sournoises aujourd’hui qu’hier dans la mesure où elles travestissent l’idéal d’émancipation propre aux régimes socio-démocrates (sic), eux mêmes relevant d’un capitalisme plus régulé ». Sur le caractère fatal de la fin du courage politique, l’idée n’est pas neuve car le fondateur de l’Ecole de Francfort, Theodor Adorno, voyait déjà disparaître dans le développement du capitalisme « la raison émancipatrice » et ne subsister que « le seul achèvement d’une conscience instrumentale gouvernée par un principe de domination ». Il n’a pas échappé à Cynthia Fleury que l’idéal d’émancipation s’était insidieusement transformé en un « hyper individualisme fortement fragilisé parce que découplé de forme collective de défense ». De même que Vichy avait nommé le lieu du peuple : la Résistance, Cynthia Fleury nomme « le lieu de l’éducation et de l’enseignement au courage » : l’époque de son naufrage.
 
Arnaud Spire

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