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mardi 27 avril 2010
















Le fichage en psychiatrie – Lyon 29 mai 2010

Les fichiers prolifèrent et leurs « croisements » se multiplient, sous prétexte de « sécurité » individuelle ou collective, mais souvent au mépris du respect des libertés individuelles et du droit à la vie privée. La collecte des données de santé et leurs traitements ne peuvent plus être considérées sur leurs aspects uniquement techniques, et la psychiatrie n’échappe pas à la règle.

Face à une situation qui ne fait que s’aggraver, l’association DELIS Santé Mentale Rhône-Alpes a décidé de consacrer une journée de réflexion au fichage en psychiatrie.

A la suite d’une présentation sommaire de cette rencontre, nous reprenons un article d’Odile Morvan, « L’informatisation en psychiatrie », publié en juillet 2004, dans Hommes & Libertés, revue de la Ligue des droits de l’Homme. Les mêmes problèmes continuent à se poser... mais avec une acuité croissante.

Voir en ligne : le RIM-Psy – Recueil d’Information Médicalisée en Psychiatrie

DELIS
DROITS ET LIBERTÉS FACE A L’INFORMATISATION DE LA SOCIÉTÉ
Santé Mentale Rhône-Alpes

FICHAGE EN PSYCHIATRIE
LYON LE 29 MAI 2010


Dans notre société les fichiers et leurs « croisements » ne cessent de proliférer, sous prétexte de « sécurité » individuelle et collective, au mépris du respect des libertés individuelles et du droit à la vie privée.
Dans ce contexte, le recueil des données de santé (recueil de l’information médicale, dossiers médicaux et futur DMP – dossier médical personnel –, « identito-vigilance ») ne peut plus être considéré comme une pratique purement technique et neutre, au bénéfice du suivi des patients et du calcul des tarifications des prestations de soins.
En psychiatrie tout particulièrement, ce recueil nominatif concerne des données sensibles (diagnostics, modalités d’hospitalisation…), qui s’accumulent dans les établissements de santé et les départements d’information médicale.
Beaucoup de soignants s’inquiètent de ce recueil obligatoire qu’ils doivent effectuer maintenant depuis 2007 sur tout le territoire pour chaque personne, enfant ou adulte, consultant en psychiatrie : pourquoi comme citoyen, participer à cette vaste entreprise de fichage, qui de plus altère et attaque notre travail relationnel (l’autre devient objet à identifier et étiqueter d’emblée dans un modèle réducteur, qui ne tient aucun compte de l’intersubjectivité) ?

Les autorités refusent jusqu’à présent de considérer cela comme un problème, malgré les positions du CCNE, les déboires du DMP, les alertes de la Cour des comptes sur le système d’information hospitalier… et toute la mobilisation contre les fichiers, Base-élève et Edvige en tête.
Que pouvons-nous faire ? Quels moyens d’action sont possibles et quelles sont leurs conséquences (refuser de « coder » par exemple) ? Pouvons-nous mobiliser les professionnels, les usagers et leurs associations ?

Discutons-en ensemble, samedi 29 mai 2010, à Lyon

Notre association propose une journée d’information et de réflexion, pour réunir tous les groupes, personnes, associations, syndicats… sensibilisés à ces questions.
 
Lieu : 147 avenue Général Frère, Lyon 8 ème
Repas : pouvant être pris sur place pour la somme de 10 euros.
Coût : Participation aux frais libre.

Programme :

8 h 30 : Accueil
9 h : Intervention Claire Gekiere et Olivier Labouret : État des lieux du fichage en psychiatrie (concret).
9 h 45 : 3 expériences d’équipes en face des dossiers à remplir et des diagnostics. (Collectif 13 et Dole sollicités).
11 h : Discussion avec la salle
11 h 45 : Intervention de Mireille Charpy, membre du « Collectif National de Résistance à Base- Elève ».

12 h 30 : Repas

14 h 30 : Evelyne Sire-Marin (Magistrate, fondation Copernic) : les fichiers, la justice et la psychiatrie.
15 h 30 : Jean-Claude Vitran (Ligue des Droits de l’Homme, responsable du groupe de travail "Libertés et technologies de l’information et de la communication") : l’enjeu des fichiers dans notre société.
16 h 30 : Quelles actions mener ?
17 h 30 : Synthèse de la journée

Discutant : Dr Bernard ODIER, psychiatre, Attaché de recherche au DIM, ASM 13, Paris
Modérateur : Pierre DAMESIN, psychologue, Chambéry (73).

Sites internet :

    * DELIS : http://www.delis.sgdg.orghttp://www.delis.sgdg.org/
  *Santé Mentale Rhône-Alpes : http://delis.smra.free.frhttp://delis.smra.free.fr/


L’informatisation en psychiatrie
Enflure et démesure
Quels enjeux et pour qui ?


Il est urgent de s’interroger sur les changements radicaux en psychiatrie, au regard de l’utilisation envahissante de l’informatique.
Qui sait ce que sont le PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information), la centralisation du dossier patient, les projets Fieschi, Babusiaux etc. ? Toutes modifications d’importance dans l’éthique du soin et sa qualité, l’évolution de la conception du soin. Aucune étude sérieuse n’a été menée par les gestionnaires pour en envisager les retombées, considérées a priori comme positives, et les négatives.
Quelles évolutions subit le secret médical du fait de l’utilisation extensive de l’informatique, du fait des multiples dérogations légales ?

Le secret médical et professionnel

Les conditions du secret sont-elles réunies, garanties par le code civil :" Chacun a droit au respect de sa vie privée", le code de déontologie médicale :" Le secret professionnel s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi" (souligné par nous), ou le serment médical : " admis (e) dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me sont confiés." ?
Pas sûr ! Il a bien fallu, que les personnels paramédicaux, sociaux aient accès à certains secrets : ce fût le secret médical partagé. Ceci a multiplié l’éparpillement des dits secrets. Tout est toujours et réellement pensé pour le soin optimum. On peut souhaiter qu’une vigilance toujours renouvelée permette de parer aux dérives inhérentes à tout système. Bien souvent un seul soignant ne peut suffire à soigner un patient, personne n’est tout puissant, si quelqu’un le croyait, il serait "fou" et dangereux pour lui-même et pour autrui.
Les secrétaires partagent le secret médical, pourtant ce ne sont pas des soignants, et désormais le personnel de maintenance et de conception informatique, en privé comme en public. Que dire des personnels des organismes d’assurance maladie qui voient défiler des feuilles de soin avec les diagnostics en cas d’arrêt de travail ! On a ainsi glissé du secret médical au secret partagé, aux dérogations légales au secret médical (les textes de Loi sont très précis à cet égard). Le nombre d’individus qui se trouvent de fait dans ce qui n’est plus une confidence d’un patient à un soignant prend des proportions considérables. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur l’individu, sur le soignant, sur le cadre de soin ?

La psychiatrie
Chacun peut être amené à rencontrer la psychiatrie en de multiples circonstances à tout âge de la vie. Il importe de ne jamais perdre de vue la spécificité du soin en psychiatrie qui s’appuie sur le respect de la personne dans ce qu’elle a de plus intime : ses pensées, désirs, souffrances, angoisses, questionnements par rapport à sa vie actuelle, passée, à venir, tout ce qui n’est pas objectivable (à la différence de ce qu’il peut en être en MCO-médecine, chirurgie, obstétrique). L’intimité de la personne, si elle concerne certes le corps, est encore plus sensible pour la pensée. Pourquoi s’inquiéter du devenir du secret médical qui est bien la pierre angulaire du soin en psychiatrie puisque il est tout à fait impossible de rencontrer un patient dans ce qu’il a de plus intime si les conditions de cette rencontre : confiance, confidentialité, ne sont pas assurées ?
En souffrance psychique, nos limites sont mises à mal, à divers niveaux. Les limites, c’est ce qui fait que nous sommes des sujets différents les uns des autres, différents des objets et du monde extérieur, non engloutis ou menacés perpétuellement de l’être. La souffrance psychique, qu’elle vienne de l’extérieur, de l’intérieur, plus précisément de l’interaction extérieur intérieur, fait effraction dans nos limites, entame nos capacités à distinguer fantasmes et réalité nous fragilise. C’est donc très essentiellement à la consolidation, à la reconstruction ou à la construction de ces limites que le soignant en psychiatrie s’efforce d’aider le patient.
Le cadre de soin doit être protecteur, ne pas faire effraction dans l’espace psychique du sujet. Ce cadre est dépendant de lois qui régissent l’exercice et les conditions du soin, de la capacité du soignant à être le garant des limites. Avoir des limites c’est pouvoir avoir une identité, un nom, des secrets, une filiation, des origines, une histoire. Avoir des limites c’est aussi décider à qui l’on fera partager ces différents aspects de soi-même.

Le PMSI Psy

Le 27 juillet 1994 paraissait un décret relatif aux systèmes d’informations médicales et à l’analyse de l’activité des établissements publics et privés et modifiant le code de la santé publique. C’était la naissance du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d’information). Il est actuellement en expérimentation pour la psychiatrie, et déjà actif en MCO par exemple. Obligation est faite aux soignants de recueillir et colliger l’identité, le diagnostic, diverses données sensibles dont environnementales etc. pour chaque patient. Le temps passé à remplir des grilles PMSI est considérable et grève d’autant le temps clinique si précieux. Ces données sont transmises au DIM (Département d’Information Médicale) de chaque établissement ou structure, pour l’intra comme pour l’extra hospitalier. Elles sont ensuite anonymisées et transmises aux autorités de tutelle à des fins gestionnaires. Ainsi :

   * tout le personnel de chaque hôpital qui doit rentrer les données concernant le patient a accès au nom de tous les patients pris en charge par l’institution, à quelque registre que ce soit !
   * tout le personnel de chaque service a accès à l’intégralité des données enregistrées pour le PMSI, ce qui constitue un nombre non négligeable de personnes selon les lieux de travail.
   * des données indirectement nominatives sortent de l’hôpital. Ne nous arrêtons pas sur les risques de piratages, les utilisations et pressions abusives de la part d’assurances, employeurs... sur les patients pour avoir accès aux données qui leur seraient communiquées (droit d’accès du patient), mais quand même !

Ces données sont accessibles à des personnes qui ne sont pas des soignants du patient, voire pas du tout des soignants. Si le patient en est informé, il est de fait dépossédé de données biographiques, qui lui sont propres, à des fins gestionnaires.
Bien sûr, le travail des gestionnaires est de tout faire pour que les préoccupations de financement, le souci de la collectivité ait des retombées sur l’individu, et même si parfois la réalité nous incite à une grande prudence, pour le moins ne pouvons-nous pas blâmer a priori de louables intentions.
MAIS ce travail ne saurait se faire à n’importe quel prix, n’importe comment, et sans en mesurer les conséquences sur le patient et la qualité, les conditions du soin.

Avec le PMSI, il y a illusion d’une "vision patient", de la possibilité de suivi de la « trajectoire » patient. Des "morceaux", des "bribes" du patient viennent ainsi fabriquer une espèce de néo-identité à des individus bien souvent en quête, en mal d’identité. Une pseudo- biographie vient se substituer à une histoire à construire, reconstruire. Le nom, l’identité, accolé au diagnostic, constituent une effraction intolérable pour le patient. Nous connaissons les limites et la subjectivité très forte des diagnostics en psychiatrie, ils ne sont souvent que le reflet d’un instant T mais dans les faits se trouvent parfois réifiés.
Le nom c’est la filiation : je suis fils, fille de.., parent de... Quelqu’un aurait-il l’outrecuidance d’affirmer que le regard porté sur la maladie mentale s’est apaisé, atténué ? Affirmer que le malade mental est un malade comme les autres ne revient pas à changer la réalité de la différence et celle du regard d’autrui sur la souffrance psychique et ses conséquences. Reconnaître la spécificité de la psychiatrie c’est avoir pour chaque individu le respect qui lui est dû. La dignité humaine passe par le respect. Le respect de l’identité et de la pensée doivent être au cœur de la psychiatrie. Il ne faut pas les enfermer stigmatiser les patients dans les ghettos des fichiers.

Il y a une hypocrisie dans la Loi qui doit être encadrante et devient en réalité liberticide : le patient est informé que des données sont recueillies, centralisées au sein de chaque établissement, avec toutes les garanties de confidentialité et ne sortiront qu’anonymisées de l’hôpital. Point n’est question des données indirectement nominatives, nde la qualité et du nombre de personnes qui auront accès à leur identité, aux données recueilles dans le cadre du PMSI.

Aucune possibilité n’est laissée au patient de refuser ce recueil des données. La loi prévoit que les personnes "ont le droit de s’opposer pour des raisons légitimes (souligné par nous) au recueil et au traitement des données nominatives les concernant", sans définition des raisons légitimes. Peut-être cela renvoie t-il aux cas où l’anonymat est garanti (déclaration de séropositivité, accouchement sous x, cas de la toxicomanie). Cliquez sur la rubrique droit d’opposition du site de la CNIL, vous y trouverez : "il n’existe pas pour de nombreux traitements du secteur public." ! On imaginera aisément l’énergie qu’il faudrait pour s’opposer au recueil des données nominatives, et ce d’autant plus si l’on enfermé dans sa souffrance, ayant besoin de toute son énergie pour vivre si ce n’est survivre (même en MCO cela est vrai). Comment résister à cette force d’inquisition, particulièrement lorsque l’on demande de l’aide, A résister on se verrait potentiellement refuser l’accès aux soins dans le service public. On craindrait d’être encore plus traité de bizarre, soupçonneux, paranoïaque. Lorsque l’on souffre, l’autre est investi de pouvoirs, et en réalité en possède. La situation est très compliquée en psychiatrie. Si la loi sur les droits des malades est forte et importante, elle est par certains côtés hautement démagogique.

Divers arguments sont amenés par les tenants du PMSI

Premier argument : « après tout pourquoi pas ? » Cette remarque est redoutable ! Elle témoigne d’une méconnaissance profonde de l’enjeu du soin en psychiatrie. Un seul exemple : qui pourrait être serein face à cette question imaginée dans le regard des autres : il est malade mental, qu’ont donc fait ses parents, qu’a t-il fait, que va t’il transmettre à ses enfants, que pourrait-il me faire ? La honte n’est pas loin. Ne faisons pas les outragés, cela existe au tréfonds de chacun d’entre nous. La maladie mentale fait peur comme nous fait peur notre inconscient.

Second argument : « donner tous renseignements sur le patient serait le prix à payer par ce dernier pour être suivi "aux frais" de la collectivité. » C’est la médecine à deux vitesses. La préoccupation de la qualité du soin ne doit même pas se poser elle est donnée pour acquise.

Enfin : « cela n’empêche pas le patient de parler » ! Il est possible de penser qu’une effraction de l’intimité du patient n’est pas toxique et coûteuse pour son économie psychique interne : c’est opérer un véritable déni à la mesure du traumatisme subi (au sens du Petit Robert).

Une solution ?

Ceci est d’autant plus inquiétant et énigmatique qu’une solution technique simple existe, acceptée dan un premier temps par la Chef de mission du PMSI puis refusée par le Directeur de la Direction de l’Hospitalisation et des Soins se "repliant" derrière le Code de Santé Publique. C’est l’anonymisation à la source au sein de chaque unité fonctionnelle des données transmises au DIM qui limite considérablement le nombre de personnes concernées par la levée ou le « partage » de la confidentialité. Néanmoins il faut réexaminer de très près la question des données indirectement nominatives : l’anonymisation à la source ne règle pas tous les problèmes.
Le gestionnaire n’a nul besoin des noms, pourquoi les réclame-t-il ? L’argument de la recherche de doublons ne tient pas face à la technicité de l’anonymisation. Quid des doublons au niveau national ?

Toutes ces réflexions valent, de façon tout aussi aigüe et dramatique pour la centralisation et l’informatisation des dossiers patients, les contraintes et les retombées de la Loi Perben en psychiatrie, etc. Il est grand temps de nous réveiller, ce qui travaille en sourdine est ce qu’il y a de plus sournois et de plus dangereux lorsque des questions essentielles liées à la liberté de penser et de vivre sont concernées.

La centralisation du dossier patient

Notre grande opposition au PMSI, pour ce qui concerne la confidentialité, est tout aussi vive par rapport à la centralisation du dossier patient, mêmes remarques, mêmes propositions, les données recueillies sont bien plus nombreuses.

Idem pour les réseaux de soin. Dernièrement le rapport FIESCHI : « Les données du patient partagées : propositions pour l’expérimentation » - toujours sous couvert d’une meilleur e gestion, efficacité (soignante et du coût), affichant la maîtrise du patient sur ses données de santé- balise la piste pour la constitution d’une véritable cartographie du patient constituée à partir de tous les éléments recueillis par tous les professionnels de santé, accessibles à terme à toutes les professions exécutantes aux données de prescription, mélangeant allègrement les établissements hospitaliers, les professionnels hospitaliers et libéraux, les organismes d’assurance maladie et les régimes complémentaires. Ceci s’inscrit dans le même sens que la carte Vitale Sesam 2. Toutes les remarques supra sont valables au premier chef pour ce projet. Nous sommes au cœur de l’interconnexion des fichiers.
Ces problèmes concernent aujourd’hui 1 150 000 patients adultes et 432 317 enfants consultants ou hospitalisés (seulement pour les établissements publics en 2002, chiffres de la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques), soit environ 80% de l’ensemble de la population consultante dans les établissements psychiatriques.

Hannah Arendt avait décrit la banalité du mal. Dans l’Allemagne nazie, les fichiers ont été d’une terrifiante efficacité, l’informatique n’existait pas. On sait le sort réservé aux malades mentaux par les nazis. L’informatique en elle-même n’est évidemment pas nocive, son utilisation, du fait de la multiplication considérable des champs d’application l’est déjà trop souvent. Seules la réflexion et l’extrême prudence face aux nouvelles technologies et à la constitution de fichiers nominatifs peuvent nous garder toujours vigilants sans être obtus sans refuser tout progrès technique de façon bornée. Il faut poser des limites sans concession aucune.

Les choses allant très vite, c’est maintenant le dossier patient partagé (à vie, la trajectoire et la traçabilité des patients fascine les gestionnaires) qui est également à l’ordre du jour, et dans les textes préparatifs au projet de Loi sur la prévention de la délinquance (version 8), la perspective de constitution d’un fichier national des hospitalisations psychiatriques… Les patients n’ont aujourd’hui que le droit de consentir (et il est écrit « consentement libre et éclairé ! »), drôle de conception du partage, de la liberté. Nous n’avons qu’à bien nous tenir ou à porter le débat, et en premier lieu, l’information, avec tous ceux qui sont concernés. Il nous faudra en parler plus longuement.

Odile Morvan






Mort de Brahim - La faillite du système psychiatrique
Samy Mouhoubi     
27/04/10

Praticiens et magistrats dénoncent un cruel manque de moyens et d’effectifs dans les structures existantes.


C’est une pomme de discorde qui revient à intervalles réguliers, opposant pêle-mêle les responsables politiques, le monde judiciaire et l’univers médical. Le meurtre apparemment « gratuit » survenu ce week-end à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) relance une nouvelle fois le casse-tête de la prise en charge des individus présentant des troubles mentaux – qu’ils soient encore en milieu carcéral ou qu’ils fassent l’objet d’un suivi thérapeutique une fois libérés.

Selon plusieurs acteurs de cette chaîne médico-légale, la problématique psychiatrique en prison et hors les murs sitôt une libération acquise demeure un « véritable désert ». « En pratique, les hôpitaux n’ont pas toujours les moyens qu’il faudrait pour soigner les détenus et ceux qui sortent », affirme d’un euphémisme choisi Philippe Carrière, ex-médecin psychiatre à Châteauroux (Indre) et à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor). Un état des lieux où règne l’indigence, souligne Virginie Valton, secrétaire nationale à l’Union syndicale des magistrats (USM). « Il y a un manque criant de praticiens en milieu carcéral en France. Et comme de plus en plus de personnes présentent de tels troubles, parfois aggravés par des problèmes de dépendance à l’alcool ou aux stupéfiants, on a une réelle carence de psychiatres capables de traiter des détenus ou des personnes qui ne sont pas encore concernées par des décisions de justice. »

En contacts fréquents avec les experts judiciaires, elle fustige un manque de concordance entre les moyens légaux à disposition et la réalité, tout autre. Il existe bien, en théorie, des services spécialisés censés permettre le traitement de détenus purgeant leur peine ou ceux tout juste élargis, tels les unités hospitalières sécurisée interrégionales (UHSI), créées en 2000, les services médicaux psychologiques régionaux (SMPR), fondés en 1986, et les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), émanant d’une loi de 2002.

« Que sur le papier… »

Or chacune de ces structures ne peut absorber la demande. Les SMPR, en principe à même de traiter des cas particuliers, ont trop peu de lits pour prendre en charge davantage de patients. Tandis que les UHSA, censées soigner des pathologies spécifiques, comme la pédophilie, viennent tout juste de voir le jour, huit ans pourtant après avoir été créées par la loi…

Ces unités ont en outre bien du mal à recruter des psychiatres exerçant, souvent, à coups de vacations espacées, pas forcément bien rétribuées, au détriment du suivi des prisonniers, voire des détenus libérés. « Peu de médecins veulent aujourd’hui travailler avec la justice. Ils estiment ne pas être rémunérés en conséquence », explique Catherine Vandier, vice-présidente de l’USM. « Ce n’est pas une absence de considération pour le suivi des détenus ou de ceux qui sortent, mais un vrai problème d’effectifs », déplore-t-elle.

Les deux magistrates pointent également un manque de personnel chargé, entre autres, d’épauler les juges d’application des peines (JAP). « Pour que nous puissions contrôler correctement les suivis psychiatriques, il faudrait que nous puissions étoffer les services de contrôle de probation », observe Mme Vandier.

Autre constat dont font état les magistrats : de moins en moins de personnes sont déclarées pénalement irresponsables car, selon certains psychiatres, il faut que ces dernières soient « confrontées à la loi ». Comme le remarque Matthieu Bonduelle, le secrétaire général du Syndicat de la magistrature (SM), « c’est pour certains d’entre eux une manière de thérapie ». « Or, attention à ne pas faire la confusion entre ce qui relève de la justice et ce qui incombe à la médecine. »

La création, par une loi de 1998, de médecins coordonnateurs assurant l’interface entre les juges et les praticiens chargés du suivi des ex-détenus, ce afin de contourner le sacro-saint secret médical, est en outre loin d’avoir fait ses preuves. En juillet 2009, 40 tribunaux (sur 175) en étaient encore dépourvus. « On crée des outils magnifiques, mais ce sont de magnifiques vitrines dont nous n’avons pas la clé ! » dénonce Virginie Valton, peu optimiste quant à une prochaine amélioration de la psychiatrie pendant et après la détention. « On a beau avoir des services spécialisés, tout ça n’existe, hélas, que sur le papier… »









PSYCHIATRIE : NON À LA CRIMINALISATION DES MALADES !


lundi 26 avril 2010


Claude Louzoun, Jean-Pierre Martin (psychiatres USP1) et Jean Vigne (infirmier Sud Santé sociaux) sont membres du collectif Non à la politique de la peur. Ils analysent le projet de loi sur l’hospitalisation psychiatrique.

Une nouvelle loi est en préparation sur l’hospitalisation psychiatrique ; dans quel contexte intervient-elle ?
Depuis le discours du 2 décembre 2008 du président de la République sur la psychiatrie, le gouvernement avance vers une réforme à visée sécuritaire du soin psychiatrique. Un projet de loi modifiant sur le fond la loi du 27 juin 1990 est en voie de validation. Ce texte complète un processus sécuritaire déjà très avancé.
Mais c’est aussi une « psychiatrie industrielle » qui se dessine, concevant le patient comme un objet de soins « rentables » dans le cadre du plan Hôpital 2007 et de la loi Bachelot.

Pouvez-vous en préciser les principales dispositions ?
Ce texte introduit surtout deux nouveautés : le traitement obligatoire dans la communauté et la possibilité de rétention pour évaluation de 72 heures dans le cadre hospitalier. Il réorganise le soin psychique autour du « soin sans consentement », avec un pouvoir accru du préfet et du directeur d’hôpital. Il confirme le passage des psychiatres sous les fourches caudines des préfets chargés de s’assurer de la compatibilité de la levée des mesures d’internement avec les impératifs d’ordre et de sécurité publics. Le directeur d’hôpital, de son côté, devient omniscient puisqu’en charge de décider des suites à donner en cas de non-observance du soin sans consentement ambulatoire.
Ce projet de loi introduit également des modifications diverses pour les hospitalisations d’office et sur demande d’un tiers2 et prévoit un régime spécial pour les personnes en cas d’antécédent d’internement en Unités pour malades difficiles3, ou déclarées pénalement irresponsables à la suite d’actes graves.

Quelle analyse faites-vous de ces mesures ?
Les « soins sans consentement », notamment ceux hors de l’hôpital psychiatrique, font du domicile et des espaces d’hébergement associatifs des lieux de contrôle et de contrainte au nom du soin, et nous placent au cœur d’une société de surveillance et d’une « psychiatrie criminelle » voulue par le chef de l’État. Ajoutons que « soins sans consentement » est une formulation qui consacre une fusion automatique et pourtant discutée et discutable entre traitement et détention ou limitation de liberté.
Il s’inscrit dans la lignée d’une remise en cause d’une psychiatrie portée par l’exigence de la qualité de malade et de sujet de droit du patient psychiatrique dans le cadre de la politique de secteur4. Nous dénonçons l’exploitation politique à des fins sécuritaires de la souffrance des malades et de ceux qui en sont parfois aussi les victimes. Nous dénonçons le manque de moyens et la perte de culture de ce soin spécifique, à travers les réformes et autres restrictions budgétaires de ces dernières années, avec pour conséquence la disparition de la politique publique de secteur psychiatrique et l’abandon de nombreux patients à leurs seules ressources ou à celles de leur entourage.

Face au tout sécuritaire, quelle alternative pour la psychiatrie ?
Les mesures de contrainte sanitaire à la personne ne peuvent être fondées sur la dangerosité sociale – pierre angulaire des lois liberticides dites de « tolérance zéro » criminalisant les « fous », les SDF, les jeunes (surtout de banlieue), etc. – mais sur l’état de nécessité clinique.
Toute loi dont le propos relève d’une contrainte, même de soins, doit être une loi de protection de la personne et non une loi de police donnant lieu à une mesure de sûreté sous la houlette du préfet. Le recours à toute privation de liberté nécessite la supervision et l’aval de la justice en matière de protection des citoyens. La législation psychiatrique ne doit plus être une législation d’exception. En aucun cas, la décision, l’application et la gestion d’une telle disposition ne peuvent relever du préfet.

La mobilisation est difficile sur ces questions, comment se dessine-t-elle ?
Face à ce retour d’un « grand renfermement », notre lutte est un enjeu politique de défense des libertés et des services publics dans la perspective d’un mouvement pour une psychiatrie démocratique.

1. Union syndicale de la psychiatrie.
2. Hospitalisations faites sans le consentement du patient (13 % des hospitalisations) contrairement aux hospitalisations libres.
3. Unités d’enfermement renforcé, ultra sécurisées (il en existe aujourd’hui cinq en France et bientôt neuf).
4. Cette politique vise à soigner la personne sans la couper de son environnement. L’hôpital n’étant plus qu’un recours le plus bref possible, dans les moments de crise.

Propos recueillis par Jean-Claude Delavigne




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PUBLIÉ LE 27/04/2010 | A.B.

Patrick Estrade, infirmier psy : « Assez de dérive sécuritaire »interview express


La coordination régionale CGT santé et action sociale organise aujourd'hui en partenariat avec les Cemea (formation en éducation, santé) et Erasme (formation continue) les premières rencontres de psychiatrie en Midi-Pyrénées à l'hôpital Marchant.


Questions à Patrick Estrade, infirmier au centre psychothérapique Philippe Pinel à Lavaur.

Vous faites le lien entre gestion hospitalière et déviance sécuritaire. Pouvez-vous préciser ?

Tous les hôpitaux sont déficitaires, et soumis à des pressions constantes pour réaliser des économies. L'hôpital psychiatrique n'échappe pas au phénomène et comme ailleurs, les coupes sombres se font sur le budget personnel. Mais nous ne sommes pas une entreprise marchande. Nous sommes des soignants qui ont de moins en moins de moyens pour prendre en charge le patient.

Concrètement, cela se traduit comment ?

On nous demande de plus en plus de devenir des gardiens alors que nous sommes des soignants. Mais chaque fois qu'il se produit un passage à l'acte dramatique, le discours sécuritaire se durcit. Il y a quelques mois, on a même parlé au plus haut niveau de l'État de bracelets électroniques. Une unité très encadrée va d'ailleurs ouvrir à Albi, et pour ça, il y a de l'argent. Reste que notre métier repose sur la prise en charge relationnelle. Mais on la sacrifie.

Vous attendez beaucoup de monde aujourd'hui.
Trois cents personnes environ ; des infirmiers, des psychologues, des psychiatres, des éducateurs. Le besoin de réfléchir ensemble, à nos pratiques est manifeste.





Culture 26/04/2010

Le divan dans de beaux draps

Par MICHEL CRÉPU Écrivain directeur de la Revue des deux mondes

Qu’est-ce que la psychanalyse a fait au ciel pour mériter d’être défendue par Élisabeth Roudinesco et vilipendée par Michel Onfray ? Il est impossible de faire un pas dans le secteur freudien sans tomber sur Mme Roudinesco. Elle est la surveillante générale qui vous alpague du fond du couloir. Vous pensiez avoir la paix, travailler tranquille, mais non, elle vous demande ce que vous faites là. Élisabeth Roudinesco est comme une veuve de grand écrivain qui se mêle de tout, sans l’aval de qui rien ne se prononce valablement sur Freud. N’y a-t-il donc personne, dans cette baraque freudienne, qui puisse faire entendre une autre voix ?

Cela est d’autant plus curieux et exaspérant que la psychanalyse n’a jamais eu autant besoin d’être défendue que dans la période actuelle, où pullulent les gourous de toutes sortes, conseillers, soutiens, sherpas, communicants, astrologues et tutti quanti, tous frottés de Freud, à leur sauce, et quel cuisinier saura en dire le vrai ? Machine datant du XIXe siècle et servant à dévoiler les rouages de l’illusion que l’espèce s’invente pour tenir le coup, la psychanalyse est devenue une religion en soi ou plus exactement : la source d’un nouveau cléricalisme. Tout de même, cela vaut la peine de se demander pourquoi. Sans doute, Élisabeth Roudinesco est-elle consciente de cela. On entend son inquiétude, c’est celle d’une ancienne élève des Lumières, éduquée dans la foi aux exigences de la Raison, consternée à la vue du chaos qui s’annonce, qui est déjà là (et que dans ce chaos de la subjectivité, l’Elysée sentimental fasse symptôme, qui le niera ?). On la comprend, on serait même prêt à descendre dans la rue sur son ordre pour la cause du divan, à offrir nos poitrines aux balles de l’obscurantisme triomphant mené désormais par Michel Onfray. Il faut dire que Michel Onfray prête au soulèvement de boucliers. Ce professeur nietzschéen est devenu, avec les années, une sorte de petit père Combes en tee-shirt de la philosophie. S’appuyant sur un argumentaire de base qui parle à tout le monde (sus au judéo-christianisme, matrice de toutes nos névroses, mère de tous nos vices), il a fini par se tailler l’audience d’un libre-penseur national. Jamais un Deleuze, un Foucault, un Barthes n’eussent fait montre d’une telle grossièreté dans le maniement des concepts. Passer de Deleuze à Onfray, c’est comme de passer de Beethoven aux violons d’André Rieu. Cela ferait rire si, dans l’intervalle, nous n’y perdions autant de munitions précieuses. A vrai dire l’essentiel : à savoir l’exercice sans filet du doute et de la construction, à mesure, d’une pensée digne de ce nom. Avec Onfray, il ne reste plus que les grumeaux, le brouet que forment à la longue les raccourcis : Hitler est déjà dans Platon, Eichmann dans les Dix Commandements, le camp de concentration dans la tribu, etc. Les raccourcis philosophiques sont à la pensée ce que sont les antidépresseurs à la psyché : de la pharmacie, rien de plus.

Freud a dédicacé en 1933 l’un de ses ouvrages à Benito Mussolini et il montre dans son texte Pourquoi la guerre ? outre une aversion pour la masse, un fort penchant à l’élitisme peu regardant sur les mérites de la démocratie. Tout cela est très mal, naturellement. Mais Pourquoi la guerre ? est aussi une réponse du moment (1933 !) au pacifisme défendu par Einstein : qui était le plus avisé, alors, de ces deux géants ? Cela dit, on ne voit pas pourquoi Freud bénéficierait d’un statut à part dans la discussion ambiante. Pendant qu’on s’expliquait avec Marx, il se tenait discrètement à l’abri, l’air de rien, glissant même des petits mots à l’appui du démontage en règle. On ne dira jamais assez ce que la réflexion antitotalitaire doit à Freud. Que maintenant, vienne son tour, c’est dans l’ordre. Mme Roudinesco n’en peut mais, c’est qu’elle n’est pas habituée.

Sauf que l’affaire ici est autrement plus tordue et le procureur Onfray, comme à son habitude, déguisé en Saint-Just pressé de régler ses comptes. Or des millions de gens, à ce jour, sont passés par le divan et n’ont pas l’air d’avoir à s’en plaindre comme d’autres, rescapés du Goulag, en dépit de certain Livre noir. L’inconscient, comme son nom l’indique, résiste au slogan, à l’idéologie. Mais Michel Onfray n’a cure de ces petites merveilles qui font pourtant tout le suc de la vie de l’esprit. Il leur oppose une philosophie de maître nageur vexé - et Dieu sait, le ciel nous en est témoin, que nous n’avons rien contre les maîtres nageurs. Très peu d’intelligence, beaucoup de muscle, de désir de vengeance, de ressentiment, d’hystérie vitale, solaire, sans la moindre finesse, la moindre jouissance réelle. Néanmoins, et sans doute pour cette raison même, Michel Onfray fait symptôme. De quoi ? On dirait d’une forme moderne d’obscurantisme. Obscurantisme d’une haine pseudo-libertaire de la loi, d’une croyance éperdue dans les pouvoirs de l’organique, tout cela dans un sabir néo-XIXe siècle qui convient semble-t-il à la population. Encore une histoire de gogos.
Les Livres de Psychanalyse

Claude Dorgeuille : Textes et confidences. Les épousailles parfaites de la psychanalyse et de la musique










Claude Dorgeuille
Éd. Association Lacanienne Internationale
- 2010
- 30.00 €

Ont été réunis dans cet ouvrage en hommage à Claude Dorgeuille les textes principaux de ses écrits et interventions. Ils portent le témoignage du désir qui était le sien de transmettre l’enseignement de Freud et de Lacan.
Il a été membre de l’École freudienne de Paris dès sa fondation en 1964 jusqu’à sa dissolution en 1980.

Après la disparition de Jacques Lacan, il a écrit La seconde mort de Jacques Lacan.

En 1982, il a été avec Charles Melman, l’un des membres fondateurs de l’Association freudienne – devenue l’Association lacanienne internationale depuis 2001 – et en a été le premier président.

Claude Dorgeuille dont les travaux psychanalytiques sont nombreux était aussi musicien. Il a écrit des traités spécialisés de technique pianistique et de flûte. Deux maîtres ont guidé sa pratique; l’un en musique, le flûtiste René Le Roy, l’autre en psychanalyse, Jacques Lacan.

Dans la préface de son ouvrage Textes sur la musique et les instruments, voici ce qu’il écrit : “Les textes sont disposés dans l’ordre chronologique de leur rédaction avec une exception notable. J’ai placé en tête l’exposé fait à Rome en 1974, La musique dans le champ de la psychanalyse, que je considère comme fondateur quant à l’articulation des deux expériences, celle de la musique avec celle de la psychanalyse./.../ Bien entendu, ces textes ne valent qu’en tant qu’ils constituent des réponses aux questions posées par une pratique qui est à la fois musicale et psychanalytique de façon absolument indissociable”.

LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE

LUNDI 19 AVRIL 2010

Un mystère plus lointain que l’inconscient
Alain Didier-Weil




 





 
Parution : avril 2010
Edition : Aubier
Coll. Psychanalyse
Prix : 22 €


Qu’y a-t-il dans le regard étonné que le nouveau-né pose sur le monde ? dans le « pourquoi » insistant de l’enfant ? dans la sidération de l’adulte à l’écoute d’une note, d’un rythme, d’un trait d’esprit inouïs ? dans le vol suspendu du danseur ? Le surgissement d’un nouveau radical qui va bien au-delà du renouveau lié à la remémoration d’un signifiant refoulé, tel que Freud l’avait formulé. Il est la clé d’un lieu auquel le mot ne donne pas accès et que Lacan situait « plus loin » que l’inconscient.

Mais comment s’approcher d’un tel lieu ? L’acte de création semble y mener lorsqu’il offre à notre perception de quoi appréhender l’invisible, l’inouï. Et n’y a-t-il qu’une réponse à cet étonnement ? Quelles instances psychiques met-il en jeu ? Pour répondre à ces questions, la religion offre une piste intéressante : le choix inconscient que provoque le nouveau radical sera celui de l’hérétique (qui veut que l’étonnement subsiste) ou celui de l’inquisiteur (qui veut le voir abdiquer). C’est ainsi que certains philosophes contemporains – tel Alain Badiou – sont conduits, au nom du dogme chrétien inventé par saint Paul, à ne voir qu’une imposture dans l’étonnante universalité des lois de la Parole données par Moïse.

L’étonnement est ce qui cesse avec le dogme : lorsqu’il est la voie par laquelle le sujet entre en résonance avec la loi et l’outrepasse ; lorsqu’il rend le complexe d’Œdipe plus complexe en le renvoyant à son ancêtre Dionysos, dieu de ce qui sonne et résonne ; lorsqu’il donne accès au radicalement nouveau délivrable par le réel.

Ancien psychiatre, psychanalyste, Alain Didier-Weill a été élève de Jacques Lacan et conférencier à son séminaire en 1975, 1976 et 1980. Il est notamment l'auteur de : Les Trois Temps de la Loi (Seuil, 1995 ; rééd. 2008), Incantations. Dionysos, Moïse, saint Paul et Freud (Calmann-Lévy, 1998) et Quartier Lacan (Denoël, 2001 ; rééd. Flammarion, 2004).




25 abril, 2010

Le Journal du Congrès N° 13


Posteado por A.A.delaR. a domingo, abril 25, 2010











Le Journal du Congrès

Association Mondiale de Psychanalyse
26, 27, 28, 29 et 30 avril 2010
Palais des Congrès, Paris


Editorial n°13

Les semblants de l’hystérie et notre choix éthique

Quelle est donc la grande perturbation du sujet qui répond au trou dans l’Autre ? Que produit ce recouvrement de deux manques, qui peut se décrire comme un plein ou un « vrai trou ». Nous avons vu comment la dépression, comme maladie de l’idéal, s’est portée candidate. Elle a été retenue par Big Pharma comme la plus facile à appareiller à des molécules dont la diffusion de masse peut s’effectuer sans effets secondaires. Pour les névroses, leur recul est clair. On le constate à partir d’hypothèses très différentes : le déclin de l’image du père, l’assouplissement du surmoi maternel, le recul des interdits, le changement de statut de la culpabilité. Il faut remarquer que ces caractéristiques s’appliquent davantage à la névrose obsessionnelle qu’à l’hystérie.

Du côté de la psychose, on se souvient que Deleuze et Guattari avaient essayé de faire de l’axe schizophrénie-paranoïa le cadre de la maladie moderne. Certes, ils parlaient de la schizophrénie comme processus, et pour eux la paranoïa était cristallisation, arrêt du processus. Ils avançaient que la schizophrénie, comme processus, avec sa terrible ironie, « c’est notre maladie à nous hommes modernes. La fin de l’histoire n’a pas d’autre sens ». Leur tentative s’inscrivait à la suite de l’enseignement de Lacan qui avait fait de la paranoïa la maladie la plus profonde de l’être humain, « l’état natif » du sujet. Lacan rejoignait Mélanie Klein qui avait fait de la « position schizo-paranoïde » la première cristallisation du Moi. L’hypothèse paranoïaque prend toute sa valeur dans l’interprétation qu’en donne le cours de Jacques-Alain Miller de cette année. Comme la science partage avec la paranoïa un point de forclusion, le scientisme est une variante de la grande paranoïa contemporaine. La description de l’Autre comme un grand équilibre paranoïaque a été rénovée par la réduction cognitive du lien social à la théorie des jeux. Les modèles mathématiques mis en circulation par le complexe militaro-industriel à l’époque de la Guerre Froide se sont transmis comme méthode de gestion à l’administration civile. Quels que soient les affrontements et les déchirements des démocraties, on pouvait concevoir une politique conduisant à l’équilibre. Même si chacun ne coopérait avec personne, si chacun était seul contre tous, un « équilibre de Nash » pouvait être atteint. Cette conception du lien social a conquis la technostructure. Elle témoigne de la grande force de séduction de la paranoïa.

C’est pourquoi le rappel du dernier numéro de la revue Quarto a tout son sens. Elle affirme la « tentation de l’hystérie » comme il y avait la « tentation de l’Occident ». La revue formule cette tentation sous la forme d’une question pour le 21ème siècle: « Comment les civilisations vont-elles supporter qu’il n’y ait pas La femme » ? L’hystérie pour le Lacan du Séminaire 18, c’est celle qui soutient le désir des femmes, à partir de ce qui n’est pas pour toute femme. « C’est pourquoi ce désir se soutient d’être insatisfait ». L’hystérique, dit en raccourci Jacques-Alain Miller, cité par Quarto, c’est « tout le monde ». C’est « être comme tout le monde ». En ce sens, c’est l’hystérie qui se révèle comme la grande névrose de l’époque. Certes, il faut la prendre dans toute sa complexité, celle que, dans les termes de son enseignement classique, Lacan distingue du « mécanisme hystérique », qui révèle la structure commune du désir. « On fait de l’hystérie la névrose la plus avancée, parce que la plus proche de l’achèvement génital. Il nous faut, selon cette conception diachronique, la mettre au terme de la maturation infantile, mais aussi à son départ, puisque la clinique nous montre qu’il nous faut bien, dans l’échelle névrotique, la considérer au contraire comme a plus primaire, car c’est sur elle que s’édifient les constructions de la névrose obsessionnelle. D’autre part, les relations de l’hystérie avec la psychose, avec la schizophrénie, sont évidentes, et ont été soulignées. »

L’hystérie comme discours reprend cette distinction entre l’hystérie mécanisme et l’hystérie névrose. Elle inclut la multiplicité de ces perspectives et de ces points de vue. Elle interroge aussi les frontières et les recouvrements de domaine moins avec la schizophrénie qui a perdu son pouvoir descriptif qu’avec la « psychose ordinaire », au sens où nous utilisons ce terme. Il faudrait ajouter enfin pour le sujet contemporain, les efforts pour fixer sa représentation dans les nouvelles maladies de la mentalité, les symptômes pulsionnels addictifs, et l’épidémie d’autisme, réalisant le dénouage entre le pur corps machine et le signifiant-chiffre, sans rapport avec l’autre imaginaire. Par cette pluralité même, il nous faut sans doute renoncer à la définition d’une seule « grande névrose narcissique ».

Lacan, considérait que le recouvrement de la structure du sujet et celle des impasses dans l’Autre ne nous laisse qu’un choix éthique. Il nous faut choisir « entre la folie et la débilité ». Si l’on admet le développement précédent, cela définit parfaitement l’état de notre civilisation. Quel est le meilleur choix du point de vue du sinthôme ? Nous le verrons bientôt, le Congrès commence lundi. Chacun y présentera son choix.

Demain, ce sera le dernier numéro du Journal du Congrès.
A demain,
 
Eric Laurent, le 22 avril 2010

samedi 24 avril 2010





ACTUALITÉS
23/04/2010

Psychiatrie : les grandes lignes de la réforme

L'avant-projet de refonte du dispositif d’hospitalisation contrainte en psychiatrie prévoit des changements, salués pour certains, contestés pour d’autres.

Cela faisait longtemps que la loi de 1990 devait être mise à jour (1). Le premier pas est fait : un avant-projet de loi a été remis aux représentants des personnels hospitaliers ainsi qu’aux associations de patients en psychiatrie le 25 mars. Voici les principales nouveautés contenues dans ce texte de douze articles, qui devrait être voté d’ici à la fin de l’année.

• Le vocabulaire change : les « hospitalisations sur demande d’un tiers » (HDT) deviennent des « soins sans consentement sur demande d’un tiers » et « les hospitalisations d’office » (HO) sont qualifiées de « soins sans consentement sur décision de l’autorité publique sous la forme d’une hospitalisation complète ».
• Des soins sans consentement en ambulatoire sont définis. Cette « nouvelle » modalité implique qu’un patient qui ne se présente pas à son rendez-vous thérapeutique sans raison valable fait immédiatement l’objet d’une convocation.
• Un délai d’observation de soixante-douze heures est fixé entre « l’admission » du patient à l’hôpital et son hospitalisation éventuelle en « soins sans consentement », contre vingt-quatre heures dans la loi de 1990 (article L. 3212-4).
• Il ne faut plus qu’un seul « certificat médical circonstancié » pour une HDT, au lieu de deux certificats médicaux.
• Les commissions départementales des hospitalisations psychiatriques (CDHP), jouant un rôle de contre-pouvoir, doivent être informées « de toute décision d’admission en soins sans consentement, de tout renouvellement et de toute levée de décision ». Si elles sont saisies par les patients, ces commissions devront forcément examiner leur situation. Elles devront le faire à nouveau pour toutes les personnes soignées sous contrainte au-delà d’un an.
• Un collège « pluridisciplinaire », constitué de deux psychiatres et d’un cadre de santé, est consulté pour la sortie de patients ayant déjà été suivis en unité pour malades difficiles ou réputés « dangereux ».

Carole Ivaldi

1- Loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation, en ligne ici.

 

 « Une judiciarisation incomplète  »

Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (Fnapsy), nous livre ses premières réactions :

« Le renforcement des CDHP est un élément positif. La période d’observation de soixante-douze heures avant une éventuelle hospitalisation va dans le sens de la judiciarisation telle qu’on la souhaitait. Mais cela ne va pas jusqu’au bout : la Fnapsy était pour que seul le juge puisse décider de la privation de liberté. Malheureusement, c’est toujours le médecin ou le préfet qui en décident dans ce projet de loi. Concernant l’exigence d’un seul certificat pour une HDT, nous sommes contre. Ce deuxième certificat était une “sécurité” pour les personnes souffrant de maladies mentales. Les soins sans consentement en ambulatoire équivalent, pour nous, aux “sorties d’essai” d’aujourd’hui. Enfin, nous sommes contre ce collège pluridisciplinaire dans le sens où il faut que ce soient les mêmes personnes qui décident de l’internement et de la sortie du patient. »

Sur papier. Cet article paraîtra dans L'Infirmière magazine n°260 et L'Infirmière magazine n°259, qui arriveront chez les abonnés très prochainement.




Débat autour des soins psychiatriques sous contrainte
LE MONDE | 20.04.10 |

Jusque-là cantonnés à l'hôpital psychiatrique, les soins sous contrainte pourraient être élargis à la ville. C'est là l'évolution principale de l'avant-projet de loi "relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques", qui modifie la loi de 1990 sur l'hospitalisation sans consentement. Annoncée depuis des années, cette réforme fait actuellement l'objet d'une concertation entre le ministère de la santé, les syndicats de psychiatrie, les patients et leurs familles.

Est-il possible d'obliger une personne atteinte de troubles psychiques à se soigner, en dehors de l'enceinte de l'hôpital ? De nombreuses inquiétudes s'expriment et le débat fait rage. Rien de plus normal, selon le docteur Yvan Halimi, le président de la Conférence des présidents des commissions médicales d'établissements des centres hospitaliers spécialisés (CME-CHS) : "La psychiatrie est la seule discipline médicale où l'on peut soigner quelqu'un contre son gré, et porter ainsi atteinte aux libertés individuelles", rappelle-t-il.

Le contexte de cette réforme est particulier. C'est en effet après le drame de Grenoble, où un malade ayant fugué de l'hôpital avait poignardé un étudiant, que le président de la République avait demandé, fin 2008, une réforme des règles d'hospitalisation dans un sens plus sécuritaire. Certes, le fait que le projet de loi soit porté par le ministère de la santé et non celui de l'intérieur a rassuré les professionnels de la santé, mais beaucoup estiment que l'objectif n'est pas uniquement sanitaire.

Concrètement, le texte prévoit la mise en place, à l'arrivée d'un malade à l'hôpital, d'une période d'observation de son état de 72 heures maximum. Sera alors décidé s'il peut rentrer chez lui, s'il sort mais avec une obligation de se soigner, ou s'il reste hospitalisé, sous le régime de l'hospitalisation libre ou sans consentement. En cas de sortie sous contrainte, un calendrier sera fixé avec l'hôpital pour que le malade y soit régulièrement suivi par un psychiatre. En cas d'écart, la direction préviendra le représentant de l'Etat. Une réhospitalisation pourra s'ensuivre.

Les familles de malades mentaux demandaient cette extension, en ambulatoire, de la prise en charge sous contrainte. Parce que tout le monde n'a pas besoin d'être hospitalisé, mais aussi parce que hors structure psychiatrique, le suivi des malades a besoin d'être amélioré. "Nous savons tous que la nécessité de soins sans consentement se fait sentir quand nos proches sont dans une situation de souffrance extrême ou de risque", explique Jean Canneva, président de l'Union nationale des amis et familles de malades psychiques (Unafam), en faisant référence aux appels au secours de la mère du jeune schizophrène qui a poussé, début avril, un passager sur les voies du RER.

Autre disposition du texte, il permet de faciliter la prise en charge sans consentement d'un malade par le seul corps médical, sans l'accord d'un tiers. Un point qui séduit, car parfois aucun proche du malade ne voulait signer l'autorisation d'hospitalisation sous contrainte, de peur de se le voir reproché.

Globalement, les représentants des familles (Unafam) et des usagers (Fédération nationale des patients en psychiatrie-Fnapsy) voient dans le texte "des avancées indéniables". Le délai de 72 heures d'observation est considéré comme une garantie contre les internements abusifs, comme le renforcement du rôle du juge judiciaire qui pourra être saisi pour ordonner la levée de la contrainte. Néanmoins, les familles et les usagers ont demandé des précisions sur les modalités de retour à l'hôpital, avec une répartition claire des rôles entre acteurs (soignants, pompiers, ambulanciers, policiers) et sur les cas qui seront concernés par le soin contraint hors hôpital.

Les psychiatres, de leur côté, sont loin d'être tous favorables à la future loi. Les avis divergent sur l'impact de l'élargissement du soin contraint. Selon le ministère de la santé, il n'y aura pas d'augmentation du nombre de prises en charge sans consentement : elles ne devraient être proposées que quand l'état du malade le permettra. D'un avis totalement opposé, le collectif La nuit sécuritaire juge que le texte aboutira à un "contrôle social des individus". Farouche opposant au projet de loi, le docteur Hervé Bokobza, membre du collectif, redoute une perte de confiance entre les psychiatres et certains patients, comme les SDF. "Le psychiatre sera mis dans une position d'expert en ordre public, et non plus de soignant", juge-t-il.

Beaucoup de craintes émergent sur l'impact de la réforme sur le travail des psychiatres. Angelo Poli, président du Syndicat des psychiatres d'exercice public, est favorable aux soins sous contrainte hors hôpital, mais il estime - et il n'est pas le seul - qu'il y aura un problème de manque de moyens pour suivre les malades, alors que "dans les dix ans à venir, 30 % des psychiatres vont partir à la retraite".

S'agit-il donc d'une loi sanitaire ? Ou plutôt d'une loi sécuritaire ? Olivier Boitard, pour l'Union syndicale de la psychiatrie, évoque un texte de "police sanitaire". Une formule qui résume bien l'inquiétude d'une partie de la profession.

Laetitia Clavreul

Les hospitalisations sans consentement

Les hospitalisations sans consentement, régies par la loi du 27 juin 1990, représentent 15 % des hospitalisations en psychiatrie.

L'hospitalisation à la demande d'un tiers (HDT) Elle est demandée par un proche d'une personne malade. L'état de santé du patient doit imposer des soins immédiats assortis d'une surveillance constante. La mesure empêche le patient de sortir librement. Elle est levée sur avis médical.

L'hospitalisation d'office (HO) Elle est prise par le préfet ou le maire pour les personnes qui compromettent l'ordre public ou la sûreté. Le malade ne peut quitter l'hôpital. La mesure est levée par le préfet sur proposition médicale ou le juge judiciaire.

Article paru dans l'édition du 21.04.10







"Les maladies psychiatriques se soignent très bien hors de l'hôpital"

Chat modéré par Cécile Prieur


Claude Finkelstein est présidente de la Fédération nationale des patients en psychiatrie.

guilmard : Comment concevoir une hospitalisation psychiatrique à domicile ? Quelle organisation ? Quels objectifs ? Pour quels types de maladies ?

Mme Claude Finkelstein : Pour moi, il n'y a pas d'hospitalisation psychiatrique à domicile, il y a des soins à domicile, des soins acceptés ou sous contrainte. Cela correspond à des visites à domicile d'infirmiers psychiatriques et/ou de psychiatres ; pour les soins sous contrainte, évidemment ce sera plutôt des molécules retard. Par exemple une injection par mois pour les maladies les plus difficiles.

L'objectif : des soins de meilleure qualité si le patient accepte qu'ils soient faits à domicile. Pour quels types de maladie ? Pour les maladies qui nécessitent des soins au long cours et réguliers, comme les psychoses : la schizophrénie, les troubles maniaco-dépressifs, etc.

NRF : Qu'appelle-t-on des molécules retard ?

Comme pour les autres pathologies, par exemple le diabète, il existe des molécules qui sont administrées une fois et qui font de l'effet pendant huit à quinze jours, voire un mois.

guilmard : Cela voudrait-il dire que, sur simple appel téléphonique d'un membre de l'entourage, que la personne soit majeure ou non, un psychiatre pourrait se déplacer au domicile de la personne en situation de mal-être ?

C'est déjà le cas. Souvent, pour les personnes qui sont en déni de maladie, l'entourage peut faire appel à un professionnel, qui décidera si oui ou non une hospitalisation sous contrainte doit être proposée.

Guest : L'hospitalisation "hors de l'hôpital", à défaut d'être "à domicile", n'est-elle pas déjà une réalité lorsque l'on voit le nombre de personnes que les hôpitaux psychiatriques ne "gardent" pas au-delà de quelques jours ?

Il faut faire la différence entre l'hospitalisation et les soins sous contrainte. Là, on parle de soins sous contrainte en ambulatoire. Je ne pense pas que l'hospitalisation hors de l'hôpital soit déjà une réalité. Ces maladies sont des maladies qui se soignent très bien hors de l'hôpital.

croisettes : Pensez vous réellement qu'un patient inconscient de ses troubles acceptera une prise en charge à domicile régulière ? N'y verra t-il pas au contraire une possibilité d'échapper à l'hospitalisation ?

Un patient peut être inconscient de ses troubles lors d'une crise, ce qui ne veut pas dire qu'il est totalement inconscient de la maladie qu'il subit. Certains accepteront cette prise en charge à domicile régulière afin de ne pas être dans un hôpital. C'est un choix personnel.

Alain : De moins en moins de lits, de moins en moins de professionnels, de moins en moins de moyens, de plus en plus de patients...comment faire ?

Je ne suis pas sûre que la réponse aux patients soit obligatoirement des lits. Ceux-ci sont la plupart du temps utilisés pour les patients dits "au long cours", qui devraient bénéficier de structures alternatives. Nous avons le plus fort taux de psychiatres au nombre d'habitants en Europe, et également un des plus forts taux de suicides. Il me semble que c'est plus une question d'organisation, et surtout de prévention.

guilmard : Faut-il, comme cela se passe actuellement, attendre les tentatives de suicides, pour que les malades, inconscients alors, soient enfin pris en charge, ou aient enfin un début de prise en charge...

C'est le grand problème : nous n'avons aucun système de prévention, aucun système de politique de santé publique sur la santé mentale, et une grande difficulté de réponse à la demande.

laurent : Est ce envisageable lors d'épisodes maniaques ?


D'abord il faut une hospitalisation à l'hôpital, avec une observation et une discussion avec la personne pour voir si un retour au domicile peut être envisagé avec prise de molécules.

leoniedas : Vous êtes donc pour la fermeture des centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie ?

Je l'étais, mais je le suis beaucoup moins depuis que j'ai visité régulièrement des services psychiatriques en hôpital général. Je suis pour de petites unités, genre cliniques publiques, à taille humaine, mais spécialisées en psychiatrie. Parce que dans les hôpitaux généraux, le service psychiatrique est le parent pauvre, on lui retire du personnel, on n'envisage pas de rénovation.

croisettes : La prise en charge hors les murs demande des moyens humains importants. Vont-ils être pris sur les moyens alloués à l'intra hospitalier ? Si oui où est le bénéfice ?

Pour l'usager, le bénéfice est important s'il accepte d'être soigné chez lui : pas de désocialisation, pas de stigmatisation... Je ne pense pas qu'actuellement il y ait plus de moyens donnés à la psychiatrie, comme aux hôpitaux généraux. C'est une question de société.

Ricardo 2009 : L'hospitalisation à domicile est-elle possible pour des patients psy ne voulant rien du tout, tels les SDF ? Qui pourrait assurer leur sécurité ? Les soignants, les flics ?


Toute hospitalisation ou soins sous contrainte est possible pour les personnes dangereuses pour elles ou pour les autres. Les soignants sont là pour assurer la sécurité, l'humanité et le soin.

Marguerite : Il y a quelques années, j'ai dû faire interner quelqu'un de ma famille pour des délires. Cette personne a eu ensuite des soins en centre ouvert et un traitement médicamenteux. Je n'ai jamais pu avoir de diagnostic de la maladie. Cela pose des problèmes car la famille ne sait pas comment se comporter et comment réagir à la suite de délires et
visions résurgentes. Que faire ?


La personne soignée peut demander l'accès direct à son dossier médical dans lequel il devrait en principe y avoir un diagnostic. Ce qui vous permettrait de faire des recherches sur la maladie. En psychiatrie, nous souffrons terriblement du manque d'information sur le diagnostic, sur la maladie. Les familles, les proches souffrent également de non-information sur ce qui se passe, sur ce qu'ils pourraient faire pour aider la personne. Je pense que c'est très grave.

Jackie : Nous sommes une association d'usagers (1991) de la psychiatrie, forte de plus de 120 membres, et nous n'avons même pas la possibilité d'être reconnu comme groupe d'entraide mutuelle (GEM). Pourquoi et comment faire ?

Un groupe d'entraide mutuelle est composé d'usagers en psychiatrie et fonctionne comme un club de soutien et d'entraide. Nous avons obtenu, par la loi du 11 février 2005, qu'une aide soit accordée à ce type de clubs. Cette subvention, d'un montant maximum de 75 000 euros par an, leur permet de trouver un local et d'avoir deux animateurs pour les aider dans la vie de tous les jours. Il en existe actuellement 343 sur toute la France, mais de nouvelles créations ne sont pas encore envisagées.

Ludovic : Comment la liberté des individus est-elle préservée dans le cadre d'une hospitalisation sous contrainte à domicile ?

Les soins sous contrainte sont une atteinte à la liberté "pour le bien du patient". C'est la difficulté en psychiatrie, justement, ces soins indispensables parfois qui touchent à la liberté de chacun. A domicile, pour nous, les soins sous contrainte ne peuvent être que proposés et acceptés par la personne qui est hospitalisée sans son consentement. Nous passons actuellement d'une loi qui permet l'hospitalisation sans consentement à une loi qui instaurerait les soins sous contrainte.

Marguerite : Quels sont les moyens proposés aux familles pour pouvoir aider leurs malades ? Pourquoi ce refus des psychiatres de parler aux familles ? Finalement ce sont eux qui font perdurer le "tabou" de la maladie. Quand un membre de la famille a une maladie grave ou autre, on est au courant, et là rien, le grand silence.... Si les points de vue du "public" ont évolué , celles des praticiens en aucune façon...

Les familles connaissent les maladies des personnes si celles-ci sont d'accord, et ce, quelle que soit la pathologie. En revanche, en cas d'hospitalisation psychiatrique, en cas de maladie et de crise, il serait indispensable que les psychiatres rencontrent les familles en dehors du patient et leur expliquent ce qu'est la maladie, les moyens de la combattre, et leur donnent un soutien.

FF38 : Pourquoi donner plus de moyens aux Unités pour malades difficiles (UMD) et aux Unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour les détenus alors que les schizophrènes qui prennent leur traitement en ont besoin aussi : appartements thérapeutiques, allocation autonomie handicapé (AAH) à laquelle ils ont droit mais qu'ils ont du mal à obtenir...

Les moyens ne viennent pas des mêmes "enveloppes". Il y a les moyens pour la santé et les moyens pour le social et le médico-social. Cela devrait s'arranger avec les agences régionales de santé (ARS). Je suis d'accord avec vous, mais il faut des unités pour malades difficiles dans certains cas.

Alexandre : Que pensez vous du modèle scandinave, qui sacrifie parfois l'hospitalisation à proprement parlé pour des soins à domicile 2.0 (avec Webcam et matériel domestique par exemple) ?

On y arrivera, je pense, mais nous ne sommes pas encore prêts. En psychiatrie, les moyens humains sont indispensables car il s'agit de maladies de l'être, la relation est primordiale.

Ludovic : Est-ce que ces médicaments ne servent pas simplement à annihiler la volonté de la personne malade ?

Vous parlez de la camisole chimique. Les médicaments sont parfois indispensables pour calmer la souffrance. Il ne faut pas l'oublier. En revanche, les effets secondaires sont souvent perçus comme une atteinte à notre liberté et à notre volonté. Il faudrait pouvoir discuter avec les soignants des molécules administrées.

Alexandre : Pensez vous que l'amélioration de la condition des malades soignés et de leur réinsertion doit aussi passer par une sensibilisation de ceux en bonne santé ?

Oui, dans l'absolu. Reste à savoir ce que c'est que d'être en bonne santé. Où est la frontière dans notre société ? En revanche, une campagne de déstigmatisation est indispensable. La société a toujours peur de la folie, de ce qui ne se maîtrise pas.









Soins psychiatriques sous contrainte
Publié le 21/04/2010

La loi de 1990 sur l’hospitalisation sans consentement est en passe d’être réformée en profondeur. Un avant-projet de loi relatif "aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques" fait l’objet d’une concertation entre le ministère de la Santé, les syndicats de psychiatres, les patients et leurs familles. A terme, cette réflexion pourrait "obliger une personne atteinte de troubles psychiatriques à se soigner en dehors de l’enceinte de l’hôpital", prévient Le Monde (page 10). Jusque-là cantonnés à l’hôpital, les soins sous contraintes seraient donc élargis à la ville.
L’origine de cette volonté de réforme remonte à 2008. En cette fin d’année, "après le drame de Grenoble, où un malade ayant fugué de l’hôpital avait poignardé un étudiant", le président de la République demande une modification des règles d’hospitalisation "dans un sens plus sécuritaire", rappelle le quotidien.

"Concrètement, poursuit Le Monde, le texte prévoit la mise en place, à l’arrivée d’un malade à l’hôpital, d’une période d’observation de son état de 72 heures maximum." Il sera alors décidé s’il peut rentrer chez lui, s’il sort mais avec une obligation de se soigner ou s’il reste hospitalisé sous le régime de l’hospitalisation libre ou sans consentement. "En cas de sortie sous contrainte, un calendrier sera fixé avec l’hôpital pour que le malade y soit régulièrement suivi par un psychiatre."

L’avant-projet de loi envisage une réhospitalisation du malade en cas de non-respect des visites. Il prévoit également de faciliter la prise en charge sans consentement d’un malade par le seul corps médical, sans l’accord d’un tiers. Cet aspect du texte semble d’ailleurs séduire "car parfois aucun proche du malade ne voulait signer l’autorisation d’hospitalisation sous contrainte, de peur de se le voir reprocher", précise le journal.

Les représentants des familles et des malades estiment que le texte comporte "des avancées indéniables". Le délai de 72 heures d’observation leur semble, par exemple, être une garantie contre les internements abusifs. Tout comme le renforcement du rôle du juge judiciaire, qui pourra être saisi pour ordonner la levée de la contrainte. En revanche, ils s’interrogent sur les modalités de retour à l’hôpital et sur la répartition des rôles de chacun des acteurs (soignants, pompiers, ambulanciers, policiers).

De leur côté, de nombreux psychiatres désapprouvent le texte, redoutant un élargissement du soin contraint. Au ministère de la Santé, on se veut rassurant, prétextant qu’"il n’y aura pas d’augmentation du nombre de prise en charge sans consentement", indique Le Monde. Certains praticiens redoutent que le manque de moyens nuise au suivi des malades. En effet, selon le président du Syndicat des psychiatres, Angelo Poli, "dans les dix ans à venir, 30% des psychiatres vont partir à la retraite".

La bonne santé des laboratoires

Le marché des médicaments est actuellement en pleine forme et cela devrait durer ! Par exemple, rapportent Les Echos.fr, Novartis "a plus que quintuplé les ventes de sa division vaccins et diagnostics au premier trimestre", augmentant ainsi son bénéfice de 49%. Ce succès, le laboratoire suisse le doit surtout à la fourniture de vaccins et d’adjuvants contre la pandémie de grippe A, dont les ventes ont augmenté de 25%, à 12,1 milliards d’euros. Dans cet élan, Novartis a confirmé qu’"il entendait finaliser au deuxième semestre le rachat de 52% du spécialiste de l’ophtalmologie Alcon", indique le site du journal. De la sorte, il en contrôlera 77%.

Mais c’est l’ensemble du marché pharmaceutique qui connaît une progression. Toujours selon Les Echos.fr, celui-ci devrait gagner de 5 à 8% par an jusqu’en 2014. Cependant, cette croissance aurait pu être bien plus élevée. En effet, d’après le cabinet IMS Health, "ce taux de croissance moyen annuel de 5% à 8% reflète l’impact de la perte de brevets protégeant des produits importants dans les marchés développés, ainsi qu’une forte croissance en général dans les pays émergents".

Pour les années à venir, ce sont surtout les domaines de l’oncologie, du diabète, de la sclérose en plaques et du VIH qui devraient connaître une croissance plus forte que les autres, notamment grâce à l’arrivée de nouveaux médicaments sur le marché. Selon toute vraisemblance, la Chine deviendra le troisième marché pharmaceutique en 2011, derrière les États-Unis et le Japon.

Frédéric Lavignette

vendredi 23 avril 2010




Réponse à Michel Onfray, par Pierre Delion

Pouvoir débattre de la psychanalyse et de ses limites en matière de système psychopathologique et/ou de réussite thérapeutique est une des possibilités offertes par le débat démocratique. A condition de le faire de façon informée et rigoureuse. Mais profiter de son aura médiatique pour en abuser et transformer le toujours nécessaire débat en caricature est une lâcheté. Et la démocratie actuelle, ravagée par sa dérive médiatique simplificatrice, n’a pas besoin de ce coup de pied de l’âne.
Si je me permets de prendre part au débat, c’est parce que certains oublient avec une désinvolture étrange, les progrès que la psychanalyse freudienne a permis de réaliser dans un monde étrange lui aussi, celui de la maladie mentale. Alors que les avancées de la réflexion de Pinel et Pussin avaient abouti à la création d’asiles départementaux à une époque de sinistre mémoire au cours de laquelle les fous étaient enchaînés dans les culs de basse fosse des prisons, les limites du grand renfermement avaient été vite trouvées dans ces lieux dédiés aux malades mentaux. Toute l’évolution du XIXe siècle n’y aurait rien fait si Freud, avec sa métaphore du cristal, n’avait permis de changer le vertex pour examiner les conditions présidant à la psychopathologie dès le début du XXe siècle, engageant dès lors la psychiatrie sur une voie radicalement différente, celle qui consiste à considérer le malade mental comme un frère en déshérence, capable de s’appuyer sur ses propres ressources et sur celles de la communauté  pour changer de trajectoire.

La relation thérapeutique avec les patients, conceptualisée par Freud sous le terme de « relation transférentielle », lui donnait une possibilité de modifier en profondeur leur destin tragique. Mais si Freud théorise ces points de vue éminemment dignes d’intérêt pour les personnes névrosées dès le début du vingtième siècle, il va falloir attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que des psychiatres, Tosquelles, Daumézon, Bonnafé et d’autres, ayant intériorisé de telles notions, puissent les proposer au pouvoir d’Etat pour les mettre en pratique, et notamment au service des personnes psychotiques.

La psychiatrie de secteur (circulaire du 15 Mars 1960), vraie révolution de la psychiatrie du siècle dernier, n’est que la transposition sous le terme de « continuité des soins » de la relation transférentielle freudienne dans un dispositif permettant d’accompagner tout au long de leur vie les patients présentant des troubles psychiques graves. On oublie souvent que c’est ce dispositif qui a permis de transformer radicalement les asiles en soignant les patients dans la cité, quitte à, dans certains cas, proposer une hospitalisation en psychiatrie. Je prétends que c’est Freud et ses successeurs, au rang desquels je place les fondateurs de la psychothérapie institutionnelle, qui ont, ensemble et à distance dans le temps, permis cette évolution formidable, en modifiant profondément les esprits des soignants.

Si aujourd’hui ces avancées sont ridiculisées à grands traits par certains « intellectuels » comme Michel Onfray, qui se pare à vil prix des atours de la vérité, ils contribuent à rendre le retour de la psychiatrie sécuritaire plus prégnant que jamais. En effet, c’est par la casse de cette psychiatrie à visage humain telle que la psychiatrie de secteur l’a promue, que la psychiatrie du XIXe siècle revient pour enfermer les fous qui ne peuvent être que dangereux, alors qu’ils sont moins dangereux que la moyenne des citoyens et, oh combien ! plus vulnérables. Or c’est précisément Freud qui avait grandement contribué à changer cette idée de la folie pour en faire un drame humain parmi d’autres, et à redonner espoir à ceux qu’elle concerne soit directement dans leur chair, soit en tant que psychiste professionnel.

Parce que je suis pédopsychiatre, j’ajoute que la pensée freudienne, approfondie par ses élèves, Melanie Klein, Anna Freud, et beaucoup d’autres en ce qui concerne les enfants, est ce qui permet de faire pièce aux seules prescriptions médicamenteuses et autres pratiques éducativo-comportementales qui sont aujourd’hui devenues la tendance dominante des pratiques pédopsychiatriques. Une prescription médicamenteuse ne doit se faire, quand elle est nécessaire, ce qui est rarement le cas en pédopsychiatrie, que dans un cadre adjuvant par rapport à la psychothérapie. Et les psychothérapies d’inspiration freudiennes sont, à ma connaissance, celles qui sont suivies d’effets lorsqu’elles sont pratiquées dans de bonnes conditions, c'est-à-dire par des gens formés et ouverts aux autres dimensions de la souffrance psychique des enfants, aussi bien aux aspects anthropologiques que socio-économiques.

Tirer sur le pianiste freudien par provocation et pour le seul plaisir de l’esthète mélancolique est une ânerie. Mais le faire en oubliant que les livres de Freud ont été brûlés par les nazis, est non seulement de la désinformation de bas étage, elle est un effort de plus en faveur de la déconstruction de la pensée complexe. Et là nous avons à faire à un champion.






ACTUALITE MEDICALE

Le mal être psychique à la lumière du passé…
Publié le 21/04/2010

Florissante aux États-Unis où elle fait l’économie de la nosographie et des structures mentales classiques, la « nouvelle psychiatrie » délaisse la psychanalyse pour les neurosciences, les enquêtes épidémiologiques, les TCC et le « sacro-saint » DSM. Mais paradoxalement, plus elle s’éloigne de l’héritage freudien, et plus cette nouvelle vision de la psychiatrie contribue parfois à le revaloriser ! En effet, l’apport de Freud peut se résumer par un modèle où les maladies mentales s’enracinent essentiellement dans l’enfance, le passé d’un sujet déterminant et éclairant son évolution future, comme les vicissitudes de l’Histoire permettent de comprendre l’actualité, à l’échelle des peuples. Or une étude portant sur un échantillon représentatif de 9 282 adultes (et fort coûteuse, puisque chacun de ces participants fut rémunéré 50 $ pour sa collaboration) permet de confirmer cette conviction évidente pour tout « psy à l’ancienne », à savoir que les aléas biographiques ayant émaillé l’enfance (childhood adversities) entraînent des séquelles psychiatriques !

Cette étude permet du moins de quantifier ce truisme : un vécu douloureux dans l’enfance est associé à environ « 45% des problèmes de santé mentale précoces et à près du tiers des troubles plus tardifs ». Les épreuves les plus marquantes dans l’enfance proviennent surtout des dysfonctionnements familiaux (que les auteurs désignent par l’expression explicite maladaptive family functioning : fonctionnement familial inadapté). Et sans surprise, ce contexte familial prédisposant comporte des antécédents de maladie mentale chez le père ou /et chez la mère, une addiction (alcoolisme, toxicomanie), un passé judiciaire. Autres facteurs, les épreuves concernant l’enfant lui-même : violence intra-familiale, maltraitance, carences éducatives, abus sexuels… Si des « associations significatives » entre ce type d’évènements dans l’enfance et une problématique psychiatrique à l’âge adulte sont documentées depuis longtemps, les études précédentes se focalisaient souvent sur un seul de ces aléas biographiques (par exemple le décès précoce d’un parent) et sur une seule conséquence pathologique dans l’évolution de l’enfant (généralement la dépression). L’intérêt de cette nouvelle étude consiste notamment dans son aspect multifactoriel : elle montre qu’il faut tenir compte de la globalité des épreuves traversées dans l’enfance, pour mieux cerner leurs interactions et leurs effets ultérieurs sans surestimer pour autant, comme certaines études antérieures, l’incidence d’un seul facteur isolé.

Dr Alain Cohen

Greif Green J et coll. : Childhood adversities and adult psychiatric disorders in the National Comorbidity Survey Replication I. Arch Gen Psychiatry 2010 ; 67 (2) : 113-123.

mardi 20 avril 2010

LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE
http://les-livres-de-psychanalyse.blogspot.com/

Proust-Joyce, Deleuze-Lacan : lectures croisées











Parution : mars 2010
Edition : l'Harmattan
Collection : Ouverture Philosophique
Prix : 13,50€


Proust et Joyce sont lus par Deleuze. Mais Joyce l'est aussi par Lacan : quels sont les principes mutuels de leur lecture ? Qu'est-ce qui réellement les oppose ? Pour tous les deux, il y a un point, point de fuite, qui est à l'origine de l'oeuvre littéraire, fuite du sens, non-sens. En quoi la " ligne de fuite " deleuzienne a-t-elle néanmoins besoin d'être re-élaborée dans son rapport à ce qui " fuit " ? Qu'en est-il de ce Réel que chacun invoque ? Et du littéral dont chacun se réclame ?


LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE
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Quelle politique pour la folie ? - Le suspense de Freud

Guy Dana











Paru le : 07/04/2010
Editeur : Stock
Collection : L'Autre Pensée
Prix : 20 €


C'est un nouvel espace d'hospitalité à la folie que ce livre tente de penser à partir de ce que l'auteur, psychiatre et psychanalyste, a pu créer au sein même du service qu'il dirige et dans les cures auprès des malades.

Partant des principes directeurs de la psychanalyse, l'idée tenace de ce livre est qu'une politique qui s'installe au coeur de la ville peut permettre de contourner la menace qui pèse actuellement sur le champ social dans son entier, et sur la psychiatrie en particulier : exigence de rendement et instrumentalisation de nos peurs, évaluation tronquée par les normes, culte de la performance et du résultat.

Dans ce contexte, l'isolement sécuritaire et la réponse médicamenteuse systématique peuvent-ils être évités ? Guy Dana répond, soutenu par l'inventivité de la psychanalyse, en privilégiant une solidarité indéfectible avec ceux qui sont au quotidien sur le terrain. Il montre, et l'idée est novatrice, que les impasses que l'on rencontre dans le traitement des psychoses sont aussi des balises pouvant ouvrir un nouvel horizon.

La psychanalyse, pense-t-il, revisitée par Freud, Lacan et Winnicott, est aujourd'hui l'antidote qui permet de proposer et d'initier de façon rigoureuse une autre approche de la folie et de la souffrance humaine. Malgré, ou avec, un certain suspense.

dimanche 18 avril 2010





IDÉES - TRIBUNE LIBRE - HISTOIRE
Article paru
le 16 avril 2010
Non à l’amalgame sécuritaire : schizophrénie égale danger !
 
PAR SERGE KLOPP, CADRE DE SANTÉ, CHARGÉ DE LA PSYCHIATRIE AU PCF, ANIMATEUR DU COLLECTIF DES 39 « CONTRE LA NUIT SÉCURITAIRE ».

Comment, au travers des malades mentaux, sont remis en question les fondements du Droit ?

Le drame terrible de cette personne poussée sous une rame du RER vient relancer une campagne médiatique sur la « pseudo-dangerosité » des schizophrènes. Une nouvelle fois sont montrées du doigt les équipes de psychiatrie « laxistes et irresponsables » qui laisseraient sans « surveillance » une foule de malades dangereux. Est-ce un hasard si cette campagne arrive au moment où le gouvernement vient de publier son projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques »  ? Projet de loi fondamentalement sécuritaire qui, contrairement à son énoncé, ne vise ni à protéger ces personnes ni à garantir leurs droits. Première remarque, sur la manière dont le gouvernement pose le débat  : il ne s’agit ni d’un débat juridique ni d’un débat scientifique, mais uniquement d’un débat idéologique qui s’appuie sur la méconnaissance de la réalité du problème et la peur de nos concitoyens. Peur et méconnaissance savamment amplifiées par des campagnes de presse visant à monter en épingle des faits dramatiques, mais isolés pour en faire des généralités.

En effet, l’action du chef de l’État s’appuie sur les présupposés idéologiques suivants : les schizophrènes seraient pour la plupart des criminels potentiels ; nous serions entourés de fous dangereux que la psychiatrie laisse en liberté ; on pourrait prédire scientifiquement quel malade est potentiellement dangereux et qui ne le serait pas. D’où les solutions suivantes  : internement de tout malade « susceptible » d’être dangereux – et non dont l’état présente un danger pour lui-même ou pour autrui  ; dans les services de psychiatrie, multiplication des chambres d’isolement et des UMD (unités pour malades difficiles) ; généralisation des bracelets électroniques ; obligation de soins ambulatoires.

Nous nous devons de porter le débat dans la société sur la folie qui sous-tend ce discours idéologique et qui vise, au travers des malades mentaux, à remettre en question tous les fondements du droit. Bien sûr que je considère que tous les citoyens ont droit à la sécurité et il ne s’agit pas de banaliser certains faits. Mais on ne doit pas non plus remettre en question les libertés fondamentales du plus grand nombre au prétexte que quelques individus peuvent être dangereux. Il faut savoir que, contrairement à ce que l’on pense, ou que l’on voudrait nous faire croire, les malades mentaux ne sont pas plus dangereux que le reste de la population, mais au contraire, ils sont plus exposés que le reste de la population.

Sur environ 50 000 crimes et délits, seuls environ 200 ont justifié une mesure d’irresponsabilité, soit 0,4 %, alors que les personnes souffrant de schizophrénie représentent un peu plus de 1 % de la population. Les violences conjugales auraient causé la mort de 161 personnes, alors que seules 5 personnes auraient perpétré un meurtre en raison d’un trouble mental. Les médias ont, chaque fois, relayé ces 5 drames durant plusieurs jours, donnant l’impression qu’il s’agit d’un risque majeur et que nous serions tous menacés au quotidien. Si les drames conjugaux étaient traités de la même manière, ce serait chaque semaine quatre nouveaux drames qui seraient relayés. Soit presque autant que le nombre annuel de drames causés par ces patients  ! Il est sûr que ce serait moins vendable, mais cela poserait pourtant là un vrai problème de société  ! Par contre, les malades mentaux, toutes pathologies confondues, sont 11 fois plus souvent victimes de crimes et 140 fois plus souvent victimes de vols  !

Cela montre bien que ces personnes devraient non seulement pouvoir continuer à bénéficier de soins dans le cadre du dispositif de psychiatrie, mais en plus qu’elles devraient faire l’objet d’une protection accrue de la société en ce qui concerne la protection de leurs biens et de leur personne  !

Il est vrai aussi que de nombreuses équipes de psychiatrie sont amenées à « abandonner » certains patients. Le plus souvent par manque de moyens humains correctement formés, mais aussi parce que le ministère – au nom de la rentabilité – leur demande de plus en plus de ne traiter que les symptômes les plus visibles et non plus de soigner et d’accompagner ces personnes en souffrance. C’est ainsi que sont systématiquement privilégiés les traitements cognitivo-comportementaux et les neurosciences au détriment de l’approche psychodynamique centrée sur la relation, prenant en compte chaque sujet dans sa globalité et sa singularité propres.

Face à cet abandon que ne cessent de dénoncer les associations de malades et de familles, plutôt que de vouloir imposer une généralisation des soins sous contrainte, y compris en ambulatoire, ne faudrait-il pas plutôt réaffirmer l’obligation de soins pour les équipes ? Ce qui pose par ailleurs l’obligation de moyens pour l’État !
Le débat est ouvert !