Culture 26/04/2010
Le divan dans de beaux draps
Par MICHEL CRÉPU Écrivain directeur de la Revue des deux mondes
Qu’est-ce que la psychanalyse a fait au ciel pour mériter d’être défendue par Élisabeth Roudinesco et vilipendée par Michel Onfray ? Il est impossible de faire un pas dans le secteur freudien sans tomber sur Mme Roudinesco. Elle est la surveillante générale qui vous alpague du fond du couloir. Vous pensiez avoir la paix, travailler tranquille, mais non, elle vous demande ce que vous faites là. Élisabeth Roudinesco est comme une veuve de grand écrivain qui se mêle de tout, sans l’aval de qui rien ne se prononce valablement sur Freud. N’y a-t-il donc personne, dans cette baraque freudienne, qui puisse faire entendre une autre voix ?
Cela est d’autant plus curieux et exaspérant que la psychanalyse n’a jamais eu autant besoin d’être défendue que dans la période actuelle, où pullulent les gourous de toutes sortes, conseillers, soutiens, sherpas, communicants, astrologues et tutti quanti, tous frottés de Freud, à leur sauce, et quel cuisinier saura en dire le vrai ? Machine datant du XIXe siècle et servant à dévoiler les rouages de l’illusion que l’espèce s’invente pour tenir le coup, la psychanalyse est devenue une religion en soi ou plus exactement : la source d’un nouveau cléricalisme. Tout de même, cela vaut la peine de se demander pourquoi. Sans doute, Élisabeth Roudinesco est-elle consciente de cela. On entend son inquiétude, c’est celle d’une ancienne élève des Lumières, éduquée dans la foi aux exigences de la Raison, consternée à la vue du chaos qui s’annonce, qui est déjà là (et que dans ce chaos de la subjectivité, l’Elysée sentimental fasse symptôme, qui le niera ?). On la comprend, on serait même prêt à descendre dans la rue sur son ordre pour la cause du divan, à offrir nos poitrines aux balles de l’obscurantisme triomphant mené désormais par Michel Onfray. Il faut dire que Michel Onfray prête au soulèvement de boucliers. Ce professeur nietzschéen est devenu, avec les années, une sorte de petit père Combes en tee-shirt de la philosophie. S’appuyant sur un argumentaire de base qui parle à tout le monde (sus au judéo-christianisme, matrice de toutes nos névroses, mère de tous nos vices), il a fini par se tailler l’audience d’un libre-penseur national. Jamais un Deleuze, un Foucault, un Barthes n’eussent fait montre d’une telle grossièreté dans le maniement des concepts. Passer de Deleuze à Onfray, c’est comme de passer de Beethoven aux violons d’André Rieu. Cela ferait rire si, dans l’intervalle, nous n’y perdions autant de munitions précieuses. A vrai dire l’essentiel : à savoir l’exercice sans filet du doute et de la construction, à mesure, d’une pensée digne de ce nom. Avec Onfray, il ne reste plus que les grumeaux, le brouet que forment à la longue les raccourcis : Hitler est déjà dans Platon, Eichmann dans les Dix Commandements, le camp de concentration dans la tribu, etc. Les raccourcis philosophiques sont à la pensée ce que sont les antidépresseurs à la psyché : de la pharmacie, rien de plus.
Freud a dédicacé en 1933 l’un de ses ouvrages à Benito Mussolini et il montre dans son texte Pourquoi la guerre ? outre une aversion pour la masse, un fort penchant à l’élitisme peu regardant sur les mérites de la démocratie. Tout cela est très mal, naturellement. Mais Pourquoi la guerre ? est aussi une réponse du moment (1933 !) au pacifisme défendu par Einstein : qui était le plus avisé, alors, de ces deux géants ? Cela dit, on ne voit pas pourquoi Freud bénéficierait d’un statut à part dans la discussion ambiante. Pendant qu’on s’expliquait avec Marx, il se tenait discrètement à l’abri, l’air de rien, glissant même des petits mots à l’appui du démontage en règle. On ne dira jamais assez ce que la réflexion antitotalitaire doit à Freud. Que maintenant, vienne son tour, c’est dans l’ordre. Mme Roudinesco n’en peut mais, c’est qu’elle n’est pas habituée.
Sauf que l’affaire ici est autrement plus tordue et le procureur Onfray, comme à son habitude, déguisé en Saint-Just pressé de régler ses comptes. Or des millions de gens, à ce jour, sont passés par le divan et n’ont pas l’air d’avoir à s’en plaindre comme d’autres, rescapés du Goulag, en dépit de certain Livre noir. L’inconscient, comme son nom l’indique, résiste au slogan, à l’idéologie. Mais Michel Onfray n’a cure de ces petites merveilles qui font pourtant tout le suc de la vie de l’esprit. Il leur oppose une philosophie de maître nageur vexé - et Dieu sait, le ciel nous en est témoin, que nous n’avons rien contre les maîtres nageurs. Très peu d’intelligence, beaucoup de muscle, de désir de vengeance, de ressentiment, d’hystérie vitale, solaire, sans la moindre finesse, la moindre jouissance réelle. Néanmoins, et sans doute pour cette raison même, Michel Onfray fait symptôme. De quoi ? On dirait d’une forme moderne d’obscurantisme. Obscurantisme d’une haine pseudo-libertaire de la loi, d’une croyance éperdue dans les pouvoirs de l’organique, tout cela dans un sabir néo-XIXe siècle qui convient semble-t-il à la population. Encore une histoire de gogos.
Le divan dans de beaux draps
Par MICHEL CRÉPU Écrivain directeur de la Revue des deux mondes
Qu’est-ce que la psychanalyse a fait au ciel pour mériter d’être défendue par Élisabeth Roudinesco et vilipendée par Michel Onfray ? Il est impossible de faire un pas dans le secteur freudien sans tomber sur Mme Roudinesco. Elle est la surveillante générale qui vous alpague du fond du couloir. Vous pensiez avoir la paix, travailler tranquille, mais non, elle vous demande ce que vous faites là. Élisabeth Roudinesco est comme une veuve de grand écrivain qui se mêle de tout, sans l’aval de qui rien ne se prononce valablement sur Freud. N’y a-t-il donc personne, dans cette baraque freudienne, qui puisse faire entendre une autre voix ?
Cela est d’autant plus curieux et exaspérant que la psychanalyse n’a jamais eu autant besoin d’être défendue que dans la période actuelle, où pullulent les gourous de toutes sortes, conseillers, soutiens, sherpas, communicants, astrologues et tutti quanti, tous frottés de Freud, à leur sauce, et quel cuisinier saura en dire le vrai ? Machine datant du XIXe siècle et servant à dévoiler les rouages de l’illusion que l’espèce s’invente pour tenir le coup, la psychanalyse est devenue une religion en soi ou plus exactement : la source d’un nouveau cléricalisme. Tout de même, cela vaut la peine de se demander pourquoi. Sans doute, Élisabeth Roudinesco est-elle consciente de cela. On entend son inquiétude, c’est celle d’une ancienne élève des Lumières, éduquée dans la foi aux exigences de la Raison, consternée à la vue du chaos qui s’annonce, qui est déjà là (et que dans ce chaos de la subjectivité, l’Elysée sentimental fasse symptôme, qui le niera ?). On la comprend, on serait même prêt à descendre dans la rue sur son ordre pour la cause du divan, à offrir nos poitrines aux balles de l’obscurantisme triomphant mené désormais par Michel Onfray. Il faut dire que Michel Onfray prête au soulèvement de boucliers. Ce professeur nietzschéen est devenu, avec les années, une sorte de petit père Combes en tee-shirt de la philosophie. S’appuyant sur un argumentaire de base qui parle à tout le monde (sus au judéo-christianisme, matrice de toutes nos névroses, mère de tous nos vices), il a fini par se tailler l’audience d’un libre-penseur national. Jamais un Deleuze, un Foucault, un Barthes n’eussent fait montre d’une telle grossièreté dans le maniement des concepts. Passer de Deleuze à Onfray, c’est comme de passer de Beethoven aux violons d’André Rieu. Cela ferait rire si, dans l’intervalle, nous n’y perdions autant de munitions précieuses. A vrai dire l’essentiel : à savoir l’exercice sans filet du doute et de la construction, à mesure, d’une pensée digne de ce nom. Avec Onfray, il ne reste plus que les grumeaux, le brouet que forment à la longue les raccourcis : Hitler est déjà dans Platon, Eichmann dans les Dix Commandements, le camp de concentration dans la tribu, etc. Les raccourcis philosophiques sont à la pensée ce que sont les antidépresseurs à la psyché : de la pharmacie, rien de plus.
Freud a dédicacé en 1933 l’un de ses ouvrages à Benito Mussolini et il montre dans son texte Pourquoi la guerre ? outre une aversion pour la masse, un fort penchant à l’élitisme peu regardant sur les mérites de la démocratie. Tout cela est très mal, naturellement. Mais Pourquoi la guerre ? est aussi une réponse du moment (1933 !) au pacifisme défendu par Einstein : qui était le plus avisé, alors, de ces deux géants ? Cela dit, on ne voit pas pourquoi Freud bénéficierait d’un statut à part dans la discussion ambiante. Pendant qu’on s’expliquait avec Marx, il se tenait discrètement à l’abri, l’air de rien, glissant même des petits mots à l’appui du démontage en règle. On ne dira jamais assez ce que la réflexion antitotalitaire doit à Freud. Que maintenant, vienne son tour, c’est dans l’ordre. Mme Roudinesco n’en peut mais, c’est qu’elle n’est pas habituée.
Sauf que l’affaire ici est autrement plus tordue et le procureur Onfray, comme à son habitude, déguisé en Saint-Just pressé de régler ses comptes. Or des millions de gens, à ce jour, sont passés par le divan et n’ont pas l’air d’avoir à s’en plaindre comme d’autres, rescapés du Goulag, en dépit de certain Livre noir. L’inconscient, comme son nom l’indique, résiste au slogan, à l’idéologie. Mais Michel Onfray n’a cure de ces petites merveilles qui font pourtant tout le suc de la vie de l’esprit. Il leur oppose une philosophie de maître nageur vexé - et Dieu sait, le ciel nous en est témoin, que nous n’avons rien contre les maîtres nageurs. Très peu d’intelligence, beaucoup de muscle, de désir de vengeance, de ressentiment, d’hystérie vitale, solaire, sans la moindre finesse, la moindre jouissance réelle. Néanmoins, et sans doute pour cette raison même, Michel Onfray fait symptôme. De quoi ? On dirait d’une forme moderne d’obscurantisme. Obscurantisme d’une haine pseudo-libertaire de la loi, d’une croyance éperdue dans les pouvoirs de l’organique, tout cela dans un sabir néo-XIXe siècle qui convient semble-t-il à la population. Encore une histoire de gogos.
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