Par Robin Richardot Publié le 14 mars 2024
Un enfant est tué tous les cinq jours, en France, dans le cadre familial. Presque toujours, les enquêtes montrent que ces crimes sont précédés d’alertes, que la société ne veut pas ou ne sait pas prendre en compte. Pour comprendre cette défaillance collective et systémique, « Le Monde » a retracé trois histoires d’infanticide.
Un appel téléphonique à 4 heures du matin est rarement porteur de bonnes nouvelles, surtout quand il vient du major de la gendarmerie. Dans la nuit du 23 au 24 septembre 2023, Jérôme Pasco, maire (sans étiquette) de Conches-en-Ouche (Eure), décroche : le résumé de la situation est bref, mais l’élu sent bien, au son de sa voix, que son interlocuteur est sous le choc. Ce soir-là, les pompiers viennent d’être appelés pour venir en aide à une petite fille de 3 ans en arrêt cardiorespiratoire. Jérôme Pasco ne prend connaissance des détails de « l’horreur de la situation » qu’en début de matinée. « Les pompiers qui sont intervenus sont sonnés. Ils ont vu des choses horribles mais là, ça dépasse l’entendement. Le corps est tellement marqué, sauvagement abîmé. Les gars ont vu l’enfer, vraiment. » La piste de l’infanticide fait très vite peu de doute.
Cinq mois après le meurtre, il n’y a pas une semaine où Jérôme Pasco ne pense pas à la petite Lisa. Le genre d’histoire qui marquera « à vie » le maire de la petite commune de 5 000 habitants. Ce crime aurait-il pu être évité ? « Bien sûr qu’il y avait des signaux. Ils n’ont pas été pris en compte », déplore l’élu. Le début de l’enquête a laissé apparaître l’isolement du beau-père et de la mère, âgés respectivement de 29 ans et 27 ans – tous deux mis en examen pour « meurtre sur mineur » après avoir avoué des violences répétées sur la fillette –, autant que les problèmes de consommation d’alcool et de drogue, sur fond de précarité. Pour le maire, impossible de ne pas souligner une « responsabilité collective » dans la mort de cet enfant.
Combien de mineurs la société a-t-elle laissés mourir ainsi ? Impossible à dire, il n’existe aucun chiffre officiel concernant les infanticides en France. Les différents observateurs s’accordent à dire qu’un enfant est tué tous les cinq jours dans le cadre familial. Un chiffre sans doute sous-estimé.
« Les gens n’ont pas envie qu’on vienne voir chez eux »
Pour comprendre ces dysfonctionnements, Le Monde a retracé trois histoires d’infanticide : Lisa (3 ans), Louka (5 ans) et Mathéïs (3 mois). Trois récits singuliers, aux signaux d’alerte allant crescendo. Tous mettent en lumière, à différents échelons, les défaillances du système pour protéger ces enfants. Contrairement aux féminicides, les infanticides restent vus comme de simples faits divers, non politisés, où la responsabilité de la société est peu interrogée. « Trop souvent, alors qu’on se demande comment on en est arrivé là, l’analyse des affaires révèle des dysfonctionnements systémiques aux conséquences tragiques », note pourtant l’avis de la commission nationale consultative des droits de l’homme du 13 décembre 2023 sur les morts violentes d’enfants dans le cadre familial.