C’est l’histoire de J.P., premier patient dont l’étude a montré que des lésions précoces du cortex préfrontal peuvent avoir des conséquences dramatiques sur l’adaptation sociale et le raisonnement moral. L’adaptation sociale peut être définie par la capacité d’un individu à se rendre apte à appartenir à un groupe, notamment à vivre et travailler harmonieusement avec les autres et à s’engager dans des interactions et relations sociales.
J.P. a été suivi durant de nombreuses années par deux chercheurs de l’université de Louisville (Kentucky, États-Unis), Spafford Ackerly, psychiatre, et Arthur Benton, neuropsychologue. En 1947, ces deux chercheurs ont rapporté son cas à la réunion de l’Association for Research in Nervous and Mental Disease et publié leur premier article l’année suivante, il y a donc 75 ans.
Dans cette publication historique, Ackerly et Benton concluaient que les lobes frontaux sont essentiels au développement des capacités nécessaires à un fonctionnement social normal, et en particulier à l’intégration des expériences sociales au cours de l’enfance, ce qui est nécessaire au développement normal de la personnalité. Ce cas clinique a marqué l’histoire de la neuropsychiatrie.
C’est l’histoire du patient J.P. que je vais vous raconter, à la lumière de nouveaux éléments rapportés par des chercheurs de la faculté de la Chan School of Medicine de l’université du Massachusetts (Worcester). Ils ont été publiés en janvier 2023 dans un long article de la revue Cortex.
J.P. est né le 12 décembre 1912 à Louisville (Kentucky), après un accouchement difficile, qui a nécessité 22 heures de travail. La délivrance a nécessité des manœuvres instrumentales qui ont entraîné de sévères lacérations chez la mère. Neuf jours après sa naissance, le bébé, qui a dû mal à se nourrir et fait une jaunisse, a perdu 2,7 kg.
À 2 ans et demi, il erre sans crainte de se perdre, sans aucune anxiété
Par la suite, le développement de J.P. se déroule normalement. À un an, il commence à marcher et à parler. Mais voilà qu’à l’âge de deux ans et demi, il se met à fuguer, s’éloignant parfois de plus d’un kilomètre et demi de la maison, sans ressentir la peur de s’être perdu, sans éprouver la moindre anxiété. Il est parfois ramené chez lui par la police. Il n’a alors que trois ans.