Ce jeudi 10 novembre, le tribunal, réuni en chambre des comparutions immédiates, a jugé un homme placé sous camisole chimique. C’était incroyablement violent mais d’une violence pleine de sollicitude et d’euphémismes, comme notre époque l’aime.
En juillet 2021, il était reproché à ce prévenu si difficile (lire les articles* en lien sous l’article) d’avoir, on cite, « arrêté son traitement pour (!) l’impulsivité » ... A l’UHSA de Lyon-Vinatier, il s’est trouvé un médecin pour tarir toutes les sources vives en ce jeune homme. C’est ainsi que des gendarmes ont assuré le transfert d’un homme éteint, et c’est donc cet homme-là qui est jugé. Y a-t-il des limites à ce qu’un tribunal peut accepter ? Ça fait près de quinze ans qu’on suit des audiences et ce n’est pas la première fois qu’on voit un détenu ou un accusé sédaté, alors on va dire que ça dépend des magistrats.
Qu’il sache bien pourquoi il sera condamné
Dès le début la présidente Berthault manifeste, avec vivacité, son intention que tout soit bien clair pour ce prévenu. Elle se lance dans des lectures « détaillées » des préventions, qu’il sache bien pourquoi il sera condamné : pour avoir mis le feu une nuit au matelas de sa cellule (avec quoi, ça n’est pas précisé), d’avoir cassé lavabo, toilettes, table et « bloc prise de téléphone » dans sa cellule un autre jour, et puis d’avoir tenu des propos menaçants et insultants à l’encontre du chef du quartier disciplinaire où forcément il a atterri, en l’absence de ce dernier. Des propos qui furent rapportés, donc. Maître Peleija plaidera la relaxe sur ce point.
« J’ai du mal à parler »
Le prévenu avait reconnu les faits, sauf les menaces de crimes, mais ce jeudi : « Je ne reconnais rien. » Il explique : « J’ai du mal à parler. » Pourquoi ? La présidente ne le lui demande pas. La voix du jeune homme est excessivement pâteuse, son débit très lent, sa motricité aussi. La présidente insiste, « vous ne voulez pas faire un petit effort ? » Le prévenu : « J’en ai fait assez comme ça. J’ai du mal à parler. » La présidente insiste, encore, longuement, signifiant au jeune homme qu’elle a bien compris que s’il met le feu et casse, « c’est des appels à l’aide », « vous exprimez un mal-être ». Et si on lui demande de parler alors qu’il y parvient mal, « c’est pour essayer de comprendre, mais si vous n’avez pas envie. »
« Monsieur, vous semblez un peu shooté. On vous donne un traitement à l’UHSA ? »
C’est peut-être pas qu’il n’a pas envie, c’est peut-être qu’il est drogué jusqu’à la garde et qu’il n’est pas en capacité de. Maître Peleija lève le voile qui semblait boucher les oreilles du tribunal : « Monsieur, vous semblez un peu shooté. On vous donne un traitement à l’UHSA ? - Du Loxapac. - C’est un anxiolytique ? - Oui. » Non, en fait, non : le Loxapac est un neuroleptique aux effets importants, et a fortiori quand il est prescrit pour assommer quelqu’un plutôt qu’avec des visées de soins.
« Son attitude », quelle qu’elle soit, ne va jamais
La présidente ne se démonte pas (surtout si elle croit elle aussi que le Loxapac est un anxiolytique, ndla) : « C’était important, pour expliquer votre attitude aujourd’hui, de savoir qu’il y a un traitement. Vous êtes à l’UHSA. » Ce qu’on retient, à ce stade, c’est que « son attitude », quelle qu’elle soit, ne va jamais. C’est comme ça. Il s’énerve, ça ne va pas, il est assommé par les médocs, ça ne va pas non plus. Il dit qu’il a du mal à parler, il dit pourquoi, et on s’adresse à lui comme s’il disposait d’un esprit éveillé et réceptif, tout en lui mâchant les consignes parce qu’on sait qu’il est analphabète.
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