DIACRITIK
Lydia Flem : « une rue, dix maisons, cent romans » (Paris Fantasme)
Paris Fantasme est plus qu’un roman : cartographie intime de la rue Férou, tentative d’épuisement d’une rue parisienne, « autobiographie au pluriel », archives et déploiement d’un imaginaire des lieux et des êtres, le nouveau livre de Lydia Flem échappe à ce genre comme aux autres. À son origine, une question : comment « habiter tout à la fois son corps, sa maison et le monde ? », quel lieu à soi trouver quand on est hantée par le sentiment d’un exil ? Cet espèce d’espaces sera ce livre, qui tient de Balzac, de Woolf comme de Perec, tout en demeurant profondément singulier.
Paris est « la ville aux cent mille romans », écrivait Balzac dans Ferragus et sa Comédie humaine déploie en effet un nombre impressionnant de scènes parisiennes ou de trajectoires de personnages aimantés par la « tête du monde » ; pas un quartier qu’il n’ait mis en récit. Chez Perec, l’échelle est tout autre : un immeuble pour dire la vie moderne, une place pour épuiser un lieu. Son regard n’est plus celui du démiurge et Prométhée, créant une société fictive à l’image de l’existante, mais celui d’un « usager de l’espace », l’espace même de « notre vie » qui n’est donc « ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ? ». Pour Woolf enfin, citée en épigraphe de Paris Fantasme, c’est dans une rue que tout se rassemble, une rue qui nous hante parce qu’il est « là » possible d’« habiter » le corps et les pensées d’autres personnes ». Ce « là », note de musique comme topographie, sera la rue Férou pour Lydia Flem, une rue à la fois familière et étrange, un espace avec lequel « faire corps » pour qu’enfin s’apaise, sinon cesse, ce sentiment d’« exils et errances à travers l’Europe » et que soit trouvé « un lieu libre et solide, un port franc ».