Faut-il élargir la loi sur l'aide médicale à mourir pour inclure les personnes qui souffrent de maladie mentale? Une majorité de sénateurs à Ottawa croient que « oui », et ils ont amendé le projet de loi du gouvernement Trudeau pour inclure, notamment, cet élargissement.
Les députés à la Chambre des communes devront décider cette semaine s'ils acceptent ou non les modifications du Sénat. Le débat est suivi de près par la communauté médicale au pays, mais aussi par des gens qui souffrent de maladie mentale.
Simon Courtemanche a 28 ans, la vie devant lui, mais, plusieurs fois déjà, il a eu envie de mourir. Il souffre d'anxiété généralisée et d'un trouble de la personnalité limite.
Aujourd'hui, il se porte beaucoup mieux. Il poursuit ses études et travaille également. Mais il croit qu'à n'importe quel moment, la grande souffrance pourrait revenir. Et il veut avoir une porte de sortie : l'aide médicale à mourir.
C'est une souffrance qui est indescriptible. C'est comme un vide intérieur, un mal-être qui m'envahit depuis des années, puis c'est vraiment souffrant. Même qu'à certains moments, j'ai fait de l'automutilation parce que la douleur physique était beaucoup plus supportable que la douleur interne que j'avais.
La pandémie est venue ajouter une couche d’anxiété à Nazuna Hashimoto, une jeune femme vivant à Osaka. Elle a perdu son emploi dans un centre d’entraînement, fermé pour prévenir la transmission du virus.
En juillet, elle a tenté de mettre fin à ses jours.
« J’ai souffert de dépression, confie la femme de 20 ans dans un courriel à La Presse. Je pense que le plus difficile a été de faire comprendre la maladie mentale aux gens. »
Elle a décidé de prendre la parole publiquement, racontant notamment son histoire au New York Times, pour tenter de briser le tabou entourant la santé mentale au Japon. Avec son amoureux, elle a mis sur pied une application pour faciliter l’accès à des professionnels.
Hausse du nombre de suicides chez les femmes
La question de la santé mentale est revenue à l’avant-plan au Japon après une hausse marquée du nombre de suicides chez les femmes en octobre dernier. L’année 2020 a vu sa première augmentation pour ce type de mort en 11 ans.
Les premières hypothèses évoquent une crise économique ayant touché plus durement les jeunes Japonaises, dans des domaines fortement touchés par les mesures contre la COVID-19, comme le voyage, l’hôtellerie et l’alimentation.
« C’est inhabituel parce que les suicides masculins sont normalement ceux qu’on voit augmenter lorsqu’il y a des changements dans les conditions économiques », note le professeur de l’Université d’Osaka Tetsuya Matsubayashi, dont les recherches portent sur le suicide.
Ses analyses, menées avec Michiko Ueda, de l’Université Waseda, suggèrent un lien entre les taux de chômage mensuels et celui des suicides chez les femmes de moins de 39 ans en 2019 et en 2020. « Pour l’instant, ce ne sont que des hypothèses et nous aurons besoin de plus d’information pour comprendre ce qui se passe réellement au Japon », précise-t-il.
D’autres raisons ont été avancées, comme l’isolement, les problèmes conjugaux exacerbés par la pandémie et les suicides médiatisés de vedettes japonaises au cours de la dernière année.
« Il y en a eu quelques-unes de suite, des actrices très connues, qui avaient l’air d’avoir une vie idéale et qui se sont suicidées, note Bernard Bernier, professeur au département d’anthropologie de l’Université de Montréal et associé au Centre d’études asiatiques. Ça a fait les manchettes et ça a eu une espèce d’effet d’entraînement. »
Ministère de la Solitude
Devant les données alarmantes, le gouvernement a créé à la mi-février un « ministère de la Solitude », reprenant ce concept mis sur pied en 2018 au Royaume-Uni. Son rôle sera d’examiner les pistes possibles pour briser l’isolement et prévenir le suicide.
« Je pense que n’importe quelle mesure qui pourrait aider à prévenir le suicide, à en faire un sujet de discussion, à retirer la honte l’entourant, est une bonne idée », réagit au téléphone Ulrike Schaede, professeure à l’Université de Californie à San Diego.
Débat en Grande-Bretagne sur la sortie de l'autisme - et de la déficience intellectuelle - des motifs d'hospitalisation sous contrainte. Justifications et risques.
Le gouvernement britannique entame uneconsultation de 3 mois sur la réforme de la loi sur la santé mentale (13 janvier 2021) Dans ce cadre, il propose de réformer les dispositions qui permettent l’hospitalisation sous contrainte pour les personnes ayant un déficit intellectuel (appelé "trouble de l'apprentissage" dans les documents officiels) s'il est "associé à une conduite anormalement agressive ou gravement irresponsable" et pour les personnes autistes (sans condition !). .
Le besoin de modifier la législation est expliqué dans un éditorial de la revue éditée par le Collège Royal de Psychiatrie.
ENTRETIEN Dans ce nouvel épisode de notre série « Je ne serais pas arrivé là si… », le généticien et président de la Ligue nationale contre le cancer explique comment son parcours découle du besoin de se démarquer au sein d’une famille où régnait l’excellence.
Médecin, généticien, Axel Kahn a été directeur de recherche à l’Inserm, directeur de l’Institut Cochin et président de l’université Paris-Descartes. A 76 ans, il préside désormais la Ligue nationale contre le cancer et multiplie les prises de position sur la gestion de la crise sanitaire. Début février, ce scientifique a lancé une pétition réclamant une coordination mondiale pour une production de vaccin contre le Covid-19. Auteur de nombreux ouvrages, le professeur Kahn publie, le 10 mars, Et le bien dans tout ça ? (Stock, 20,50 euros).
Je ne serais pas arrivé là si…
… Si deux moments importants ne m’y avaient pas conduit. Le premier, à 15 ans, est la perte de la foi catholique alors que je suis pensionnaire dans une école de jésuites. J’avais commencé à cheminer croyant en tout et puis je me suis rendu compte que je m’étais trompé, que je ne pouvais pas y accorder le moindre mot. Mais il m’apparaît que tout n’est pas à jeter, et notamment les bases de l’humanisme chrétien. Reconstruire ces bases, sans faire l’hypothèse de la transcendance, c’est un peu l’effort d’une vie.
Enfiler, enserrer, engloutir un pénis, est-ce être pénétré(e) ? Qui est actif, qui est passif ? Dans sa chronique hebdomadaire, la chroniqueuse de la Matinale nous invite à réfléchir à la notion de pouvoir lors de nos ébats sexuels et à élargir notre vocabulaire
LE SEXE SELON MAÏA
En sexualité, le partenaire qui pénètre est considéré comme « actif » : logique, non ? Cette association d’idées évoque le monde bien rangé de la sexualité en missionnaire. Et, pourtant, il suffit de retourner la situation pour que l’évidence vacille. Mettez le partenaire pénétrant sur le dos, enfourchez-le en position de l’amazone ou de l’Andromaque (c’est la même chose) : il devient bizarre de parler de pénétration. Par définition, la pénétration est une action. Comment qualifier ce rapport sexuel où le pénis occupe un rôle passif ?
Dans le livre «Sexisme Story», le journaliste Paul Sanfourche met en lumière les mécanismes patriarcaux qui ont jalonné le parcours de la première star de télé-réalité française.
Loana au festival de Cannes en mai 2018. (Loïc Venance/AFP)
En 2001, Loana fait son entrée dans Loft Story. Paul Sanfourche a 16 ans. L’adolescent est fasciné par cette bimbo qui a osé l’impensable : coucher avec un homme devant des caméras de télévision. Et qu’importe si Jean-Edouard est autant impliqué qu’elle : c’est Loana qui est montrée du doigt, raillée, rabaissée. Car c’est une femme, blonde peroxydée à la poitrine refaite, a fortiori.
En 2021, Paul Sanfourche a 35 ans. Le journaliste vient de publier au Seuil Sexisme Story: Loana Petrucciani, une enquête ultra-documentée sur la première star de télé-réalité française, abordée sous le prisme du sexisme. Car Loana a vécu avec un père violent envers sa mère et elle et incestueux, puis a elle-même été victime de violences conjugales. Elle a façonné son corps pour répondre aux exigences masculines, a subi des violences obstétricales, a été utilisée par l’industrie du divertissement à des fins commerciales. S’appuyant sur de nombreuses références journalistiques et sociologiques et des entretiens avec les acteurs de l’époque, ainsi qu’avec la principale intéressée, Paul Sanfourche décortique les mécanismes médiatico-patriarcaux qui ont fait de Loana l’icône controversée qu’elle est.
par Jean Baubérot, sociologue, membre du groupe Sociétés Religions Laïcités (CNRS-EPHE-PSL)publié le 27 février 2021
La polémique actuelle rappelle de vieux clivages, rappelle le sociologue Jean Baubérot. En 1905, les débats sur la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat divisaient déjà la France sur la place de la religion.
Un dessin satirique sur le séparation de l'Eglise et de l'Etat. (API/EXPLORER ARCHIVES/KEYSTONE-FRANC)
Nous sommes imprégnés par une vision linéaire de l’histoire. Les anciens la voyaient plutôt de façon cyclique. Je propose la métaphore de la spirale, car l’historien sait bien que les contextes changent et, pourtant, il ne peut s’empêcher de trouver des airs de «déjà-vu» aux polémiques du présent.
Une société française a mis au point une cabine de téléconsultation médicale destinée aux collectivités locales pour lutter contre l’isolement sanitaire dans les déserts médicaux. Des cabines entièrement équipées et connectées dont l’implantation en période de pandémie est en forte augmentation dans les petites mairies et les communes dépourvues d’offres de soins.
Ces cabines médicalisées et automatisées offrent aux médecins et aux patients un espace de confidentialité pour interpréter à distance les données nécessaires à une consultation médicale. Modulables selon les besoins de la téléconsultation, elles s’installent facilement dans les grandes pharmacies, les écoles, les entreprises.
Depuis la pandémie du Covid-19, avec la garantie d’une décontamination sans faille des cabines entre deux visites de patients, les petites mairies les déploient aussi pour pallier la pénurie des médecins généralistes dont souffrent de nombreuses régions. « L’objectif est de repeupler médicalement une France désertée en professionnels de santé », nous précise Nathaniel Bern cofondateur de Medadom, la société qui a mis au point le dispositif.
L'anthropologue Dorothée Dussy a enquêté pendant des années sur la réalité de l'inceste, un phénomène courant dans nos sociétés, qui dépasse l'addition de faits divers isolés. Elle rappelle notamment que l'incesteur, loin de la figure du monstre, mène souvent une vie des plus banales.
Plusieurs enquêtes dans les pays occidentaux, depuis la Seconde guerre mondiale, révèlent que 5 à 10 % des enfants seraient victimes d'inceste1. Avons-nous affaire à un phénomène structurel ?
Dorothée Dussy2. Ces chiffres sont effectivement énormes. On ne peut donc pas traiter chaque révélation d'inceste3 comme un cumul de faits divers mais bien comme un phénomène structurel. La perception des viols sur mineurs a évolué au fil des siècles. L'historienne Fabienne Giuliani, qui a travaillé sur la perception de l'inceste4, remarque qu'un viol sur un enfant de la famille a toujours été condamné. Mais l'opprobre portait sur le groupe social. Il n'était pas vraiment question de reconnaissance du traumatisme de la victime. Il a fallu attendre les dernières décennies pour le considérer. Et si on sait documenter l'inceste dans toutes les sociétés humaines, l'anthropologie n'avait pas pensé à renseigner, jusqu'à mon travail, ce que représente l'inceste dans la réalité. Les travaux étudiaient l'interdit de l'inceste concernant les questions matrimoniales, à savoir avec qui une personne n'a pas le droit de se marier dans une société donnée. Mais, si les pères et les filles savent très bien qu'ils ne doivent pas s'unir, ça n'empêche pas certains pères, cousins ou grands frères, car ce phénomène concerne majoritairement des hommes, d'imposer des rapports sexuels à un enfant de la famille.
La perception des viols sur mineurs a évolué au fil des siècles (...) le traumatisme de la victime d'inceste n'est reconnu que depuis les dernières décennies.
Dans votre livre Le Berceau des dominations, vous affirmez que ce qui pose problème à la famille est moins l'acte que son dévoilement...
D. D.Mon enquête montre le fonctionnement de la famille n'est pas vraiment perturbé par le viol répété d'un ou plusieurs enfants, au domicile ou à celui d'un parent. Les relations se poursuivent normalement, les enfants vont à l'école, les parents au travail, ils partent en vacances, etc. Il s'avère en effet que c'est au moment de la révélation de l'inceste que le fonctionnement familial explose.
Chorégraphe de mots qu’elle peint, découpe, malmène, coud, dessine, triture, colle, brode, Annette Messager les associe avec ses sculptures, photographies, installations, nous entrainant ainsi dans la fantasmagorie de son univers enfantin et onirique. Au-delà de l’usage de l’écriture, cette œuvre, qui manipule l‘humour et le jeu, est nourrie de réflexions féministes et d’autobiographie fictive. Célébrée dans le monde entier, elle reçoit le Lion d’Or à la Biennale de Venise en 2005 et le Praemium Imperiale au Japon en 2016.
Marian Goodman Gallery lui confiera l’intégralité de son stand, en mai, pour Frieze New York. Au printemps, on pourra découvrir au Centre Metz Pompidou sa prochaine grande installation.
Comment te présenterais-tu ?
Au début, je m’appelais Annette Messager collectionneuse, Annette Messager truqueuse, Annette Messager femme pratique, etc. Aujourd’hui, je me présente Annette Messager avec différentes identités, réunies. Je pense qu’on n’a pas une seule identité, on est composé d’identités multiples, diverses, opposées.
Comment présenter ton œuvre ?
J’aime bien jouer sur les identités et changer de matériaux, changer de formes. Au début, les gens ne comprenaient rien. Je me souviens d’un artiste qui me disait : « toi, cela ne pourra jamais marcher, il faut faire comme Warhol, il fait toujours la même chose », mais c’est exactement l’inverse que je veux faire (rires).
Ta première rencontre avec l’art contemporain ?
J’avais un père architecte qui faisait de la peinture, il en parlait tout le temps. Il m’amenait, le matin, à 7 heures, des croissants pour que je l’écoute. Les autres voulaient dormir. Moi, j’aimais bien. Donc l’art était associé aux croissants (rires). Dubuffet avait une maison pas très loin au Touquet. Je voyais Dubuffet, je voyais ses œuvres. Dubuffet, c’est aussi les cahiers d’art brut. Dans la région Nord-Pas de Calais, après la guerre, il y avait beaucoup de gens qui fabriquaient des trucs avec des obus, de la récupération… beaucoup d’art brut chez les mineurs.
Une équipe internationale intégrant des chercheurs genevois a décrypté les similitudes et les différences génétiques des troubles alimentaires.
Il existe des liens génétiques entre les troubles alimentaires, les maladies mentales et la régulation du poids corporel. Pour arriver à cette conclusion, une équipe internationale composée notamment de scientifiques des Hôpitaux universitaires genevois (HUG) et de l’Université de Genève a analysé plus de 20’000 génomes. Leur étude conclut qu’il existe des similitudes entre les bases génétiques de l’anorexie mentale, de la boulimie et des accès hyperphagiques, qui les trois partagent un risque génétique avec certains troubles psychiatriques, «en particulier la schizophrénie et la dépression», relève Nadia Micali, professeur au département de psychiatrie de la faculté de médecine et chef de la division de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent aux HUG.
Dans les carrières de pierre de Lugasson, en Gironde, des archéologues font des expérimentations afin de faire progresser la connaissance sur les étranges constructions de Néandertal découvertes dans la grotte de Bruniquel, en Tarn-et-Garonne.
La psychanalyse permet-elle de renaître ? Le langage permet-il de sublimer nos souffrances et complexes pour apprendre à mieux vivre avec, et donc à nous transformer ? Quels sont les liens entre psychanalyse et philosophie ? Cours particulier en compagnie de Julia Kristeva.
L'invitée du jour :
Julia Kristeva, écrivaine, psychanalyste, membre de l’Institut universitaire de France, membre titulaire formateur de la Société psychanalytique de Paris, professeure émérite à l’Université Paris Diderot-Paris 7 où elle a dirigé l’Ecole doctorale « Langue, littérature, image » et le Centre Roland Barthes
L’analyse est là dans un croisement entre biologique et psychique, la vie et la mort...
Genre, race, identité... Elisabeth Roudinesco et Sandra Laugier s’expliquent
Dans Soi-même comme un roi, l’historienne Elisabeth Roudinesco s’alarme des « dérives identitaires » qu’elle considère issues des études sur le genre et la race. En exclusivité pour « l’Obs », elle débat avec la philosophe féministe Sandra Laugier. Un échange vif et rare.
Historienne de la psychanalyse dont les travaux sur Freud ont fait le tour du monde,de tous les grands combats contre le colonialisme, le racisme, l’antisémitisme, Elisabeth Roudinesco fait partie des voix qui comptent à gauche. Ce 4 mars, elle publie aux éditions du Seuil un essai surprenant qui vient heurter l’actualité. Aussi virulent qu’inattendu, « Soi-même comme un roi » prétend analyser les « dérives identitaires » des études intersectionnelles, de race et de genre. Autant dire un pavé dans un geyser.
L’intellectuelle tente de se frayer un chemin singulier dans ce champ de mines. De trois manières au moins. D’abord, en revisitant les grands auteurs des années 1970 qui vont inspirer les « études » (studies) et qu’elle estime aujourd’hui détournés de leur pensée originelle. Les plus belles pages de l’ouvrage leur sont consacrées. Ensuite, en réservant un dernier chapitre aux « identitaires » d’extrême droite, nationalistes, suprémacistes et autres fervents du « grand remplacement ». On pourra toutefois se choquer de la mise en parallèle de mouvances fascisantes avec des mouvements d’émancipation qui n’ont rigoureusement rien à voir (quand bien même ces derniers se retourneraient-ils en leur contraire, selon la thèse avancée par l’historienne). Enfin, en s’opposant à toute forme de police de la pensée dans le monde universitaire. A l’heure des chasses aux sorcières, le point est déterminant. Mais est-il suffisant pour avancer un argumentaire qui flirte avec la nouvelle idéologie réactionnaire ?
Parce que sa démarche nous interroge, nous lui avons demandé d’en débattre. Fidèle à son engagement pour la liberté d’expression, Elisabeth Roudinesco a accepté la confrontation avec la philosophe Sandra Laugier, chercheuse en études de genre et introductrice de l’éthique féministe du « care » en France. Les deux femmes se connaissent bien, toutes deux sont de gauche, mais ont des points de vue diamétralement opposés sur ces questions brûlantes. Un dialogue rare qui éclaire les lignes de fracture actuelles. M. L.
L’OBS. Depuis qu’en juin dernier, en pleine mobilisation contre les violences policières suite à l’assassinat de George Floyd aux Etats-Unis, Emmanuel Macron a accusé les universitaires d’« ethniciser » la question sociale, il ne se passe plus une semaine sans qu’un ministre ou une tribune ne tirent sur les études intersectionnelles, de race et de genre. Vous-même, Elisabeth Roudinesco, publiez un livre, « Soi-même comme un roi », extrêmement critique à l’encontre de ce que vous appelez des « dérives » issues de ces champs de recherche. Pourquoi ?
Elisabeth Roudinesco. J’ai travaillé trois ans à ce livre pour étudier les dérives des politiques identitaires dont se réclament les mouvements d’émancipation nés aux Etats-Unis après la chute du mur de Berlin, en 1989. Face à l’échec des régimes communistes, ces politiques se sont détournées de l’analyse marxiste pour se centrer sur des revendications plus individualistes. On a alors théorisé le concept de genre (gender) pour distinguer le sexe au sens anatomique (la différence biologique) de l’identité de genre au sens social et psychique (le vécu, la construction de soi et de l’altérité). Inspirées de penseurs comme Beauvoir, Sartre, Foucault, Derrida, Saïd ou Fanon, ces études entendaient montrer comment la domination d’un pouvoir masculin avait occulté le rôle des femmes, mais aussi celui des minorités. Elles se sont ensuite exportées. Mais ce dont je me rendais compte, c’est que si ces travaux étaient très riches en histoire et en philosophie (je cite Michelle Perrot sur l’histoire des femmes), le risque était de méconnaître l’existence d’un courant anticolonialiste dans les sociétés occidentales pour en venir à des questions identitaires, qui avaient à voir avec la dé-psychiatrisation, très positive en ce qui concerne les homosexuels, mais qui finissait par contester la place du biologique. A partir du moment où ces politiques deviennent un catéchisme queer qui nie l’existence du sexe au profit du genre et qu’on réclame l’instauration d’un sexe neutre, là il y a une dérive. J’analyse aussi les dérives des thèses décoloniales et intersectionnelles qui fétichisent la différence contre l’universel (l’un ne va pas sans l’autre), au risque de diluer les combats antiracistes, et qui sont enseignées à l’université. Même si elles n’y sont pas majoritaires.
La crise du Covid-19 a eu un impact sur la prise en charge des personnes en situation de handicap dans le secteur hospitalier ou aux urgences.
« Le sentiment d’un refus d’intervention au seul fait que la résidente est handicapée est quelque chose qui a été prégnant durant toute cette matinée !»C’est la conclusion de ce directeur d’établissement médicosocial me signalant ce dimanche matin où il a failli perdre une résidente par faute ou par refus des services d’urgence d’intervenir. C’est ce membre de la très officielle CDAPH[1] qui, malgré les rappels pressants à la règle faits par l’ARS, m’informe que dans un centre municipal, on a déprogrammé la vaccination des personnes en situations de handicap car elles sont « moins prioritaires » (sic) que les plus de 75 ans ! il y a donc en France des plus prioritaires et ce ne sont pas les personnes handicapées !