JANIE GOSSELIN Publié le 28 février 2021
La pandémie est venue ajouter une couche d’anxiété à Nazuna Hashimoto, une jeune femme vivant à Osaka. Elle a perdu son emploi dans un centre d’entraînement, fermé pour prévenir la transmission du virus.
En juillet, elle a tenté de mettre fin à ses jours.
« J’ai souffert de dépression, confie la femme de 20 ans dans un courriel à La Presse. Je pense que le plus difficile a été de faire comprendre la maladie mentale aux gens. »
Elle a décidé de prendre la parole publiquement, racontant notamment son histoire au New York Times, pour tenter de briser le tabou entourant la santé mentale au Japon. Avec son amoureux, elle a mis sur pied une application pour faciliter l’accès à des professionnels.
Hausse du nombre de suicides chez les femmes
La question de la santé mentale est revenue à l’avant-plan au Japon après une hausse marquée du nombre de suicides chez les femmes en octobre dernier. L’année 2020 a vu sa première augmentation pour ce type de mort en 11 ans.
Les premières hypothèses évoquent une crise économique ayant touché plus durement les jeunes Japonaises, dans des domaines fortement touchés par les mesures contre la COVID-19, comme le voyage, l’hôtellerie et l’alimentation.
« C’est inhabituel parce que les suicides masculins sont normalement ceux qu’on voit augmenter lorsqu’il y a des changements dans les conditions économiques », note le professeur de l’Université d’Osaka Tetsuya Matsubayashi, dont les recherches portent sur le suicide.
Ses analyses, menées avec Michiko Ueda, de l’Université Waseda, suggèrent un lien entre les taux de chômage mensuels et celui des suicides chez les femmes de moins de 39 ans en 2019 et en 2020. « Pour l’instant, ce ne sont que des hypothèses et nous aurons besoin de plus d’information pour comprendre ce qui se passe réellement au Japon », précise-t-il.
D’autres raisons ont été avancées, comme l’isolement, les problèmes conjugaux exacerbés par la pandémie et les suicides médiatisés de vedettes japonaises au cours de la dernière année.
« Il y en a eu quelques-unes de suite, des actrices très connues, qui avaient l’air d’avoir une vie idéale et qui se sont suicidées, note Bernard Bernier, professeur au département d’anthropologie de l’Université de Montréal et associé au Centre d’études asiatiques. Ça a fait les manchettes et ça a eu une espèce d’effet d’entraînement. »
Ministère de la Solitude
Devant les données alarmantes, le gouvernement a créé à la mi-février un « ministère de la Solitude », reprenant ce concept mis sur pied en 2018 au Royaume-Uni. Son rôle sera d’examiner les pistes possibles pour briser l’isolement et prévenir le suicide.
« Je pense que n’importe quelle mesure qui pourrait aider à prévenir le suicide, à en faire un sujet de discussion, à retirer la honte l’entourant, est une bonne idée », réagit au téléphone Ulrike Schaede, professeure à l’Université de Californie à San Diego.