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«Liens», «hubs», «réseaux»… Pour le chercheur Marc Barthelemy, l’analyse mathématique permet de comprendre le processus de propagation du virus.
Dans les années 60, le célèbre psychologue Stanley Milgram conduisit une expérience singulière pour tenter d’estimer le nombre d’étapes nécessaires pour relier deux individus pris au hasard dans la population américaine. Il demanda donc à près de 300 personnes habitant au Kansas et au Nebraska d’envoyer une carte à une personne habitant à Boston, mais seulement en passant par une personne de leur connaissance, la plus susceptible de connaître le destinataire. La personne qui recevait la carte devait reprendre le processus, jusqu’à ce que la missive atteigne son but. Seules 64 cartes y arrivèrent, mais le chiffre marquant fut 5,2, le nombre moyen d’intermédiaires dans le trajet du courrier. Si cette expérience dite du «Petit Monde» confirma l’hypothèse des célèbres «six degrés de séparation», elle inspira aussi, à la fin des années 90, les travaux fondateurs de Duncan J. Watts et Steven Strogatz sur l’étude des réseaux (ou graphes) mathématiques. Ces derniers ont étudié différents réseaux, comme celui des lignes électriques en Californie, ou le réseau des acteurs en analysant certaines de leurs caractéristiques, comme la distance moyenne entre deux «nœuds» et le nombre de liens connectés à chaque nœud et découvert qu’il s’agissait aussi de «petits mondes». Ce sont ces réseaux qui servent aujourd’hui, en épidémiologie, à comprendre comment un virus se propage. Entretien avec Marc Barthelemy, directeur de recherches à l’Institut de physique théorique (CEA) et membre associé au Centre d’analyse et de mathématique sociales à l’EHESS.
De quoi parle-t-on quand on parle d’un «réseau» ?
C’est un objet mathématique très simple, qui correspond à un ensemble de nœuds reliés par des liens. C’est un objet très général, et c’est ce qui en fait tout son intérêt. Il peut décrire plein de choses. Pour un réseau social, les nœuds sont les individus, et le lien est à définir. Il n’y a bien sûr pas de lien physique et il faut donc une convention qui va établir si deux personnes sont liées entre elles. L’exemple le plus évident aujourd’hui, c’est quand deux personnes sont «amies» sur Facebook. En épidémiologie, les nœuds sont les individus, et le lien, c’est la possibilité pour le virus de se propager entre les deux. Ce «réseau de contact» n’est donc pas forcément équivalent à notre réseau social.