Les 7 000 établissements de France ont reçu ordre de ne plus autoriser les visites aux 600 000 résidents.
Jeanne aura 100 ans en avril. Sa fille, Danièle Henry, espère être auprès d’elle le jour de son anniversaire, ne serait-ce qu’une heure, pour lui prodiguer le « gros câlin » qu’elle lui réclame parfois ou « caresser sa peau ». Rien n’est moins sûr. La vieille dame « désorientée » risque de souffler, sans ceux qu’elle aime, ses bougies à la maison de retraite de l’Abbaye à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne). Puisque désormais l’établissement est interdit aux visiteurs.
La directive du ministère est tombée mercredi 11 mars : pour que le coronavirus ne franchisse pas leur seuil, les quelque 7 000 Ehpad de France ont reçu ordre de ne plus recevoir les familles de leurs quelque 600 000 résidents. La directive a fait bondir certains directeurs d’établissement. « Imagine-t-on des personnes âgées privées pendant deux mois de la présence de leurs proches ? », s’indigne Pascal Champvert, à la tête de l’association des directeurs au service des personnes âgées (ADPA). « La sécurité affective est tout aussi importante que la sécurité physique », fait valoir le patron du groupe ABCD, qui compte quatre Ehpad dans le Val-de-Marne. Le ministère « doit prévoir explicitement des aménagements au-delà de ceux déjà prévus pour les personnes en fin de vie », plaide-t-il.
Depuis l’appel d’Emmanuel Macron à « limiter au maximum les visites », le 6 mars, certaines familles avaient déjà renoncé à venir, constate Anne Béguin, psychologue au sein des établissements du groupe ABCD, « Les troubles anxieux ont augmenté chez certains résidents : perte d’appétit, trouble du sommeil, repli sur soi. »
Des symptômes liés, « chez certains résidents dépressifs, à un isolement relationnel ». Il y a nécessité « de considérer la souffrance psychique » qu’engendre l’absence des proches, insiste Mme Béguin. « Les conséquences morales de cette situation sur certaines personnes risquent d’être délétères », s’alarme Mme Henry, présidente de l’association des familles des résidents du groupe ABCD, qui milite pour des « dérogations parcimonieuses » à l’interdiction.