Dans la carrière de Kombé, au sud de Brazzaville, mi-janvier.
Tourné à Brazzaville, le film «Kongo» des Français Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav suit l’apôtre Médard, guérisseur et désenvoûteur ngunza. Un travail documentaire au long cours où ils explorent une société baignée de mysticisme. «Libération» s’y est plongé, de rituels en tribunal de sorcellerie.
On a fermé la rue, loué les chaises aux bars avoisinants, emprunté le projecteur, payé la bière aux garants des autorités compétentes, installé le tout devant l’église ngunza. Les garçons de l’équipe de foot ont battu le rappel au mégaphone, du goudron jusqu’aux beuglants boueux du carrefour Dubaï. Pour confisquer leur attention, on a fait chanter les enfants, massés sur les bancs des premiers rangs. On a tendu l’écran devant la toile rosée d’un ciel que reflètent les flaques immenses, et attendu qu’elles virent au bleu pour lancer les discours. Ce soir de janvier, un film, sans doute le seul jamais tourné au quartier Moukoundji-Ngouaka, retourne à ces rues bordées d’échoppes en briques colorées et de tôle érigée pour délimiter les parcelles où se tassent les familles du coin. Quand la projection a commencé, un policier, Marley, est venu en voisin s’enquérir, du soupçon plein les yeux : «C’est un long film, ça ? Et ça va aboutir à quoi ? Je veux dire, à la fin, qu’est-ce que les gens vont retirer comme conclusion ?»
Sur l’écran, l’apôtre Médard enfonce ses doigts dans la bouche d’un paroissien possédé par un mal ou un diable, et les enfants de Moukoundji-Ngouaka écarquillent tout ce qu’ils peuvent. Ils connaissent Médard, qui officie dans l’église ngunza, sur sa parcelle, à quelques mètres de là où ils se trouvent agglutinés ce soir. Mais peu d’entre eux peuvent se figurer quels rites, savoirs et traditions s’y exercent, quand bien même la pancarte à l’entrée énumère certains champs d’action de la doctrine : «Tout type de guérison mystique : désenvoûtement, chasse-diables, protection de parcelle, domination-attirance-maris de nuit, diabète, femmes stériles, folie chronique… Consultation : 2 000 francs + un paquet de bougies.»
Le cinéma leur est chose plus étrange ou étrangère encore. Du reste, certains n’étaient pas nés quand le tournage a commencé, et la plupart n’avaient jamais vu de film auparavant. Parmi ceux qui assurent que si, lorsqu’on leur demande lesquels, beaucoup citent des affiches de matchs de football, ou décrivent des séries nigérianes que regardent leurs parents, des histoires de sorcellerie. La République du Congo, comme beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne, présente un territoire quasi vierge de salles, et ainsi la projection sur écran y est l’apanage d’autres images. Jusqu’à l’ouverture récente, à Brazzaville, d’un CanalOlympia (l’un de ces complexes déclinés à l’identique par Bolloré dans une dizaine de villes du continent), ne demeurait que la salle de l’Institut français, après que toutes les autres furent détruites ou rachetées par les dollars évangélistes et converties en églises de réveil.
Lors de la projection le 15 janvier de Kongo dans le quartier de Moukoundji-Nguaka, où le film fut tourné.