TRIBUNE. Après la parution du « Consentement » de Vanessa Springora, l’historienne et psychanalyste revient sur les errements du milieu littéraire, les défaillances de la justice et le politiquement correct.
Par Elisabeth Roudinesco Publié le 10 janvier 2020
Cette tribune, parue en version électronique dans l’OBS, sera publiée en version papier un peu plus tard.
Disons-le sans détour, l’affaire Matzneff aura permis de redécouvrir combien l’œuvre de cet écrivain est d’une pauvreté littéraire affligeante, raison pour laquelle elle est tombée en désuétude. Celui qui se prend encore pour un génie à la mesure de Nabokov, Casanova ou Oscar Wilde n’est en réalité qu’un auteur dont le style serait un mixte d’« Intimité »-« Nous deux » et d’odes à des petites culottes façon Pigalle années cinquante : « Au Robinson’s j’étais seul et mélancolique, les jeunes personnes qui me faisaient des clins d’œil étant toutes, filles et garçons, des petites putes de la pire espèce, assurément vérolées, peu appétissantes » (extraits d’un excellent dossier sur la pédophilie, critique contre Matzneff, dans « Le Nouvel Observateur » du 11 nov. 1993). Et encore : « Il m’arrive d’avoir jusqu’à quatre gamins – âgés de 8 à 14 ans – dans mon lit en même temps, et de me livrer avec eux aux ébats les plus exquis. » (« Un galop d’enfer », 1985).
Accuser la prétendue « pensée 68 » : le faux procès
Mais pourquoi donc cette piètre littérature a-t-elle été publiée chez les meilleurs éditeurs et célébrée parce qu’elle aurait servi « avec éclat la cause de la langue française », comme le disait Jean d’Ormesson en 1994, suivi d’ailleurs par bon nombre d’écrivains dont les noms s’étalent aujourd’hui dans la presse ? C’est bien contre de tels errements que j’avais approuvé, il y a trente ans, l’intervention de Denise Bombardier sur le plateau d’Apostrophes, le 2 mars 1990. Ce jour-là, elle avait su appeler un chat un chat : Matzneff passait enfin du statut d’écrivain à celui de pédophile, terme qui ne figure d’ailleurs pas dans les textes de loi mais qui avait été utilisé par le savoir psychiatrique, depuis la fin du XIXème, pour désigner une perversion majeure : attirance sexuelle d’un adulte pour des enfants pré-pubères ou au début de leur puberté. Le pédophile était alors assimilé à trois autres figures maudites : le pédéraste, l’inverti, le sodomite, c’est-dire l’homosexuel.