Par Violaine de Montclos Publié le
ENTRETIEN. Dans « Ehpad, une honte française », Anne-Sophie Pelletier alerte sur la souffrance des personnes âgées et les cadences imposées au personnel.
Par Violaine de Montclos Publié le
Il y a un an, un mouvement inédit de soignants alertait sur la situation des Ehpad français. Pour la première fois, on ouvrait les yeux sur l'envers du décor, sur ce qui se passe, réellement, derrière les murs de certains de ces établissements : déshumanisation, manque de personnel et parfois maltraitance. Alors qu'une loi « grand âge et autonomie » est prévue pour 2019, les assises nationales des Ehpad ouvrent ce mardi à Paris. Anne-Sophie Pelletier a travaillé auprès des personnes âgées comme aide à domicile puis comme aide médico-psychologique dans un Ehpad à but lucratif. Au printemps 2017, elle a conduit une grève de cent dix-sept jours dans sa maison de retraite du Jura et publie Ehpad, une honte française* (éditions Plon). Elle figure aujourd'hui en cinquième position de la liste de candidats présentée par La France insoumise aux élections européennes. Entretien.
Le Point : Quand vous avez commencé comme aide à domicile, quel métier vous attendiez-vous à exercer ?
Anne-Sophie Pelletier : Je devais faire des courses et du ménage et, dès ma première intervention, j'ai dû aider à la toilette d'une personne âgée, ce à quoi je n'étais nullement préparée ni formée. Je pensais m'occuper des gens dans la dignité, j'ai découvert trois vies en souffrance constante, celle de la personne âgée, celle de l'intervenant, et celle de la famille… On est tellement impuissants face aux lourdeurs administratives. Demander un simple lit médicalisé quand une situation s'aggrave, c'est si compliqué, si long, c'est tant de papiers à fournir. Je l'ai fait moi-même pour l'un des vieux messieurs chez lequel j'intervenais. Le temps que le dossier se débloque enfin, il était mort…
Et, en Ehpad, qu'avez-vous découvert ?
La maltraitance institutionnelle, tout simplement. Le personnel en sous-effectif permanent, pas de remplacement, une politique du chiffre qui impose des cadences infernales et fait que tout le monde va mal, pour toujours plus d'argent. Mon premier jour en Ehpad, j'ai pris mon poste à 7 heures et on m'a expliqué qu'à 11 h 30 je devais avoir fini la toilette des 14 résidents de mon étage pour qu'on puisse commencer à les emmener en salle de restauration. Quatorze personnes que je n'avais encore jamais rencontrées, dont j'ignorais les pathologies, dont certains nécessitaient des manipulations difficiles. Comment voulez-vous faire les choses bien, humainement ? En moyenne, dans les Ehpad, le personnel a dix minutes à consacrer à la toilette de chaque résident. On les lève, on les change, on les couche, on passe notre vie à les manipuler à toute allure, alors que les personnes âgées n'aspirent qu'à la tranquillité. On n'a pas le temps de leur parler. Et on se sent tellement coupables de ne pas prendre soin d'eux comme il le faudrait.