Par Catherine Vincent Publié le 31 janvier 2019
Ce concept englobe toutes les entités terrestres, présentes, passées et à venir, en déconstruisant les grandes divisions binaires.
Donna Haraway est une biologiste, philosophe et historienne des sciences, née en 1944, à Denver (Colorado). Alors que l’un de ses ouvrages, Manifeste des espèces compagnes (2003, publié en français en 2010 aux Editions de l’éclat), vient d’être réédité par Flammarion (168 p., 17 €), nous avons souhaité échanger avec elle sur le regard politique et théorique, mais aussi poétique, qu’elle porte sur le monde.
Les principaux personnages de votre « Manifeste des espèces compagnes » sont des chiens, notamment la vôtre, Cayenne Pepper, avec laquelle vous avez noué de profonds liens d’attachement. Ce livre, écrivez-vous, est « une déclaration de parenté » (« a kinship statement »). Que voulez-vous dire ?
La parenté est cette situation à travers laquelle des créatures mortelles, dans leur vie et après, construisent ou héritent de liens durables, tantôt diffus, tantôt intenses. Quand vous avez un enfant ou que vous affiliez un nouveau membre à votre parenté, eux aussi vous affilient. Chacun peut réclamer des droits sur l’autre. Même si on ne s’entend pas avec sa mère, on n’a pas vraiment le choix : il faut en prendre soin. Et imaginons qu’on décide tout de même de ne pas le faire, on le vivra au fond de son être comme un échec, une incapacité. La parenté, c’est une relation de réciprocité. J’ai un cousin, il m’a. J’ai un chien, il m’a. J’ai un territoire chanté – grâce au chant des oiseaux –, et les oiseaux m’ont aussi. Il ne s’agit pas seulement de relations avec des créatures de type Homo sapiens, ou avec les animaux avec qui on vit chez soi : la parenté s’associe à une solidarité diffuse et persistante, dans laquelle des êtres qui vivent et meurent sont en jeu les uns pour les autres.