A l’occasion de la sortie de son livre « L’Angle mort », l’écrivain Régis Debray débat avec le sociologue Edgar Morin de la façon dont l’Occident occulte la mort.
LE MONDE | | Propos recueillis par Nicolas Truong
L’un est sociologue et a mené un travail pionnier d’anthropologie de la mort (L’Homme et la mort, 1951). L’autre est médiologue et publie ces jours-ci L’Angle mort (Cerf, 80 pages, 9 euros), une réflexion sur la façon dont le terrorisme djihadiste interroge notre rapport à la finitude et au sacré. Réunis par Le Monde, Edgar Morin et Régis Debray dialoguent sur l’histoire et l’actualité d’un oubli.
La mort est-elle devenue un « angle mort » en Occident ?
Edgar Morin : Le XXe siècle a cherché à effacer la mort. Aux Etats-Unis, puis ici, avant la mise en bière, on met le mort dans une chambre agréable, il est fardé, bien habillé pour une nouvelle vie. On essaie d’effacer ce que la mort signifie de décomposition et de destruction.
A la sortie de mon livre, L’Homme et la mort, en 1951, la mort était taboue. On n’offrait pas un livre sur ce sujet. Malgré les meilleures critiques que j’ai eues de ma vie, le livre ne se vendait pas (il avait été tiré à 4 000 exemplaires, et l’éditeur a dû en mettre 1 500 au pilon). Or, des années après, quand je suis passé au Seuil, le livre a été réédité, s’est rapidement épuisé, est même passé en poche et continue sa vie.