Alors que le gouvernement doit présenter un projet de réforme de la carte judiciaire, « Le Monde » raconte de l’intérieur ces juridictions de proximité.
Avant, le monsieur était banquier. Il lui en reste un air d’autorité, un éclat de dureté suspicieuse dans le regard, mais peut-être qu’on se trompe, peut-être qu’il a peur et qu’il ne veut surtout pas le montrer. Il s’est assis le premier dans le bureau du juge, sa fille et son fils ont suivi. Le fils est la copie du père en plus mou, mêmes cheveux gris coupés en brosse, même moustache fine. La fille a les yeux tristes, elle fait des nœuds avec ses jambes et tient ses mains serrées sur les cuisses. Tous deux fixent la pointe de leurs souliers, seul le père regarde le juge, qui pourrait presque être son petit-fils.
Le juge a ouvert une fine chemise de carton jaune avec le nom du monsieur écrit en gros au feutre noir dessus. Il prend sa voix la plus neutre pour résumer en quelques phrases l’objet du rendez-vous. Le monsieur est veuf depuis quelques mois, il vient d’entrer en maison de retraite, il a des absences de plus en plus fréquentes, a constaté le médecin, ses enfants sont inquiets. On comprend qu’ils n’ont pas osé lui dire ce qu’ils ont écrit sur le formulaire que le magistrat a devant lui et qu’il lit à haute voix. Leur père, ont-ils expliqué, peine à remplir ses papiers administratifs, se trompe dans ses factures et nourrit le projet de s’acheter une voiture alors qu’il n’est plus en état de conduire.