«Pokémon Go» est un vecteur social, comme beaucoup d’utilisateurs aiment le répéter. Photo Boris Allin. Hans Lucas pour «Libération»
Pour Pierre Cassou-Noguès, «Pokémon Go» transforme les utilisateurs en êtres se transmettant un virus qui assujettit à une force obscure liée au capitalisme.
Difficile d’échapper à la tentation. Apparemment, l’application Pokémon Go est maintenant utilisée plus longuement que Facebook, Tinder, Snapchat ou Whatsapp. Je me décide pour de bon quand je lis qu’Oliver Stone, le réalisateur américain, y voit un jeu «totalitaire», conduisant à l’éclosion d’une «société de robots», sur Lepoint.fr, le 22 juillet. J’ai toujours été intéressé par les états de conscience limites.
Donc, un après-midi morose, je télécharge l’application, que j’autorise aussi à lire mes mails et les documents de mon compte Google. Et je sors avec mon fils, enchanté - il a 10 ans -, chasser les Pokémon sauvages. Le principe est simple. Le jeu, quand on clique sur l’icône, affiche une carte, c’est l’endroit où nous nous trouvons, avec les rues autour de la maison bien dessinées. Sur la carte, figurent des «Pokéstop» (des points de ravitaillement), près desquels apparaissent souvent ces Pokémon sauvages qu’il s’agit d’attraper. Je suis un peu sceptique, parce que nous sommes vraiment dans un coin de campagne perdu. Mais mes craintes sont infondées. Plusieurs Pokéstop se dessinent dans le centre du village. Et, devant ce qui est décrit avec exactitude comme une «halle du XIVe siècle», avec une photographie d’un coin de la charpente, nous nous saisissons de quelques «Pokéball».
Ainsi armés, nous poursuivons notre chemin, vers un deuxième Pokéstop, où traîne un Pokémon sauvage. L’application ouvre d’elle-même l’appareil photo de mon téléphone, et voici le petit monstre sautillant à l’écran devant la porte de l’église. Nous lui envoyons nos Pokéball à la gueule pour marquer ainsi nos premiers points de dresseur de Pokémon. Le Pokéstop suivant, près d’un calvaire à la sortie du village, dans la zone commerciale, me propose d’attirer des Pokémon dans le Go Sport situé en face. Ce qui signifie donc errer une demi-heure dans le magasin. Et, là, je dis non. D’autant plus que l’application me prévient que d’autres utilisateurs pourraient attraper les Pokémon que j’aurais ainsi convoqués. Nous rentrons, mon fils et moi, un peu déçus. Pour des raisons différentes.
Sur le chemin, je me demande si l’application a déjà repéré dans mes recherches récentes sur Google que je voulais m’offrir un vélo de course. De retour, je lis que, si l’application propose l’achat de certains objets (Superballs, etc.) facilitant la capture des Pokémon, seuls 5% des utilisateurs y accèdent. Mais le modèle économique pourrait évoluer avec des lieux sponsorisés : des boutiques auraient la possibilité d’acheter à la société Niantic des Pokéstop ou des arènes, de façon à accroître leur fréquentation.