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Voilà un mois, les Etats-Unis se sont posé une question aberrante : fallait-il voir la tuerie de San Bernardino seulement comme une tuerie de plus ou comme un attentat djihadiste ? Les deux tueurs étaient-ils des déséquilibrés ou des terroristes, c’est-à-dire, au sens d’aujourd’hui, des islamistes radicalisés ayant prêté allégeance à l’organisation Etat islamique, qui a revendiqué les attentats du 13 novembre en France ?
La qualification d’acte terroriste a quelque chose d’absurde : suffit-il, pour y échapper, de se tenir à carreau sur Facebook ? De ne pas, au contraire d’un Amedy Coulibaly, d’un Fabien Clain, revendiquer des représailles au nom du « califat » agressé par les « croisés » ?
Poser cette question sous-entend que l’hypothèse du « coup de folie » aurait quelque chose de rassurant – on se trouverait face à un massacre normal, familier, dont les tenants et les aboutissants seraient exclusivement domestiques. Un massacre acceptable ? De Columbine à Sandy Hook, d’Aurora à Virginia Tech, de Fort Hood à Chattanooga, le pays où je vis depuis dix ans est habitué à regarder les carnages en direct. Des gens meurent, hommes, femmes, jeunes, vieux, riches, pauvres, noirs, civils, policiers, soldats, blancs, hispaniques, asiatiques. On allume des chandelles, on pleure les morts en priant. On se demande si la légalité des armes à feu est le problème ou la réponse.
On oublie, jusqu’à ce que la même horreur recommence. Il y a un an, au lendemain des attentats de janvier 2015, j’avais demandé à mes élèves américains pourquoi l’organisation Etat islamique ne s’était pas encore attaquée à l’Amérique. Après le 13 novembre, l’un d’entre eux a réitéré sa réponse : « Parce qu’ils savent que nous nous entre-tuons très bien tout seuls. »
Je suis français et américain, et parce que j’aime la France et les Etats-Unis, je refuse cette différence entre terrorisme et tuerie de masse. Elle me paraît plus arbitraire aujourd’hui que jamais, pour trois raisons. D’abord, les attentats terroristes et les tueries de masse sont vécus par leurs auteurs comme des suicides. Le kamikaze, par définition, n’entend pas survivre à son acte ; le tueur « fou » non plus, qui se barricade dans une école, un campus universitaire, un centre commercial, en attendant l’assaut de la police.
Rares sont ceux qui prennent la fuite, et beaucoup plus nombreux ceux qui mettent fin eux-mêmes à leurs jours. Se supprimer, non pas seul dans son coin, sans faire de mal à autrui, mais en semant la mort et la désolation autour de soi : l’habillage politico-religieux a beau saturer le champ de notre interprétation dans le cas du terrorisme islamiste, son mode opératoire et son objectif sont les mêmes que ceux des assassins qui n’ont rien à revendiquer que leur folie.