Le geste d’Andreas Lubitz qui, le 24 mars, a volontairement précipité l’Airbus A320 de la Germanwings sur une montagne, provoquant la mort de tous les passagers et de l’équipage, pourrait donner raison à Kant qui rapprochait le suicide du meurtre. Celui qui est prêt à se donner la mort, parce que la vie ne lui apporte pas ce qu’il désire, se traite comme un moyen en vue d’une fin et serait également prêt à faire la même chose avec la personne d’autrui.
Cette manière de mettre sur le même plan les devoirs envers soi-même et les devoirs envers autrui présente des inconvénients, parce qu’elle ne tolère aucun vice privé et aboutit, selon la formule de Ruwen Ogien, à «criminaliser les crimes sans victimes», comme la gourmandise, l’onanisme, l’indécence.
De même, le fait qu’il n’y a pas, chez Kant, de différence de nature entre les devoirs envers soi-même et les devoirs envers autrui ne permet pas de comprendre l’essence du meurtre. On ne peut pas estimer que l’individu suicidaire est un meurtrier en puissance ni supposer que tous les meurtriers sont également désireux de se tuer. Le meurtre est le fait de mettre fin à la vie de quelqu’un d’autre sans le consentement de ce dernier. Il est, comme dit Levinas, la volonté d’exercer son pouvoir sur ce qui échappe à son pouvoir.
Il y a bien une violence dans le suicide qui est, comme le meurtre, un acte définitif et irréversible. Ce geste peut être aussi une manière d’accuser la société qui n’a pas été capable d’offrir à la personne ce à quoi elle pensait avoir droit. L’individu ne parvient pas à imaginer que la vie pourrait être autre chose que la répétition du même. Ce manque de possible souligne aussi la difficulté qu’il éprouve à se défaire de la logique de la puissance pour lâcher prise, et être disponible à ce que Henri Maldiney appelait la transpassibilité, le fait d’espérer l’inespérable, au-delà de toute attente. Le meurtre partage avec le suicide cette obsession de la maîtrise, mais c’est le sentiment d’impuissance qui conduit une personne à se tuer.