INTERVIEW
L’historienne et philosophe Giulia Sissa réhabilite cette passion de l’âme qui, loin d’être une pathologie honteuse, peut se révéler salutaire.
Caricaturée dans la pub, accusée des pires maux dans la littérature, montrée du doigt dans les magazines féminins : la jalousie est si vilipendée qu’elle en est devenue inavouable. Accusée par La Rochefoucauld de relever davantage de l’amour-propre que de l’amour, qualifiée de «maladie de l’esprit» qui aurait «plus d’aliment que de remèdes» par Montaigne… Il est de bon ton de taire ce vilain vice, pour tous. Ou presque. La philosophe et historienne italienne Giulia Sissa se livre dans un essai à un plaidoyer en faveur d’une réhabilitation de l’accusée (lire la critique dans le cahier livres de Libération du 12 mars). Foin des condamnations, les jaloux sont invités dans ce «presque manifeste» à sortir du bois et à assumer (enfin) leur noble sentiment.
«Passion cruelle et petite», «sot orgueil», «insécurité»… Vous répertoriez beaucoup de lieux communs sur la jalousie.
La jalousie est souvent confondue avec de l’envie, de la possession, du narcissisme, de l’insécurité… Or, c’est normal d’être inquiet dans l’amour ! Etre jaloux, c’est être humain. Les non-jaloux sont des arrogants, qui se pensent invulnérables. Qui plus est, on accuse souvent les jaloux d’être dans l’imaginaire ou le délire. C’est ce que fait Iago dans Othello quand il évoque le «monstre aux yeux verts, qui produit l’aliment dont il se nourrit». Comme si les concernés inventaient des situations qui n’existent pas, alors qu’on vit dans un monde où l’on séduit comme on respire, où le divorce, l’adultère, l’infidélité augmentent. La jalousie est une réponse normale, saine, à ces situations. On dit aussi qu’elle ne sert à rien. En effet. Mais l’amour non plus !