En panne des sens
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |
Improbabologie. Même en science, il y a l'officiel et l'officieux. La raison officielle pour laquelle une équipe de l'université McGill de Montréal a commencé des expériences sur la privation sensorielle au début des années 1950 est ainsi énoncée dans l'étude qu'elle publie en 1954 dans leCanadian Journal of Psychology : lorsqu'une personne doit maintenir longtemps son attention sur un environnement où rien ne se passe (surveillance radar, pilotes au long cours), des pertes de concentration en résultent qui peuvent avoir de graves conséquences, comme si, pour bien tourner, notre cerveau devait en permanence s'alimenter d'informations de l'extérieur. Pour le vérifier, il faut donc examiner le fonctionnement cérébral chez des personnes privées de stimulations sensorielles.
Une bonne manière de procéder consisterait à déconnecter l'encéphale, mais, comme le fait remarquer l'article avec lucidité, les étudiants qui servent de cobayes aux expériences de psychologie semblent assez"réticents à subir des opérations du cerveau pour des motifs expérimentaux". L'amour de la science n'étant plus ce qu'il était, il faut "se contenter d'une isolation de l'environnement moins poussée".
Voilà comment. Vingt-deux étudiants sont recrutés. Leur mission doit a priori leur convenir puisqu'on leur propose d'être payés à ne rien faire du tout, allongés toute la journée sur un lit. Seules contraintes, porter des lunettes brouillant tout détail, avoir la tête encadrée par un oreiller en forme de U qui bouche les oreilles et porter des manches en carton allant jusqu'au bout des doigts et limitant au maximum toute sensation tactile. Les participants ont le droit de se lever pour prendre leurs repas et aller aux toilettes.