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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

mardi 1 mars 2011

Sommeil, thalamus et schizophrénie

Fruit d’une collaboration entre des équipes du Wisconsin (États-Unis) et de Rome (Italie), et portant sur 49 schizophrènes, sur 20 sujets non schizophrènes recevant des médicaments psychotropes, et sur 44 sujets-témoins (avec l’exploitation d’EEG en haute résolution à 256 canaux), une étude s’intéresse au déficit des fuseaux du sommeil (ces trains d’ondes de 12 à 15 Hz dans les tracés EEG) chez les schizophrènes.

Ayant déjà mis en évidence en 2007 ces déficits durant certaines phases du sommeil non paradoxal [1], les auteurs établissent, dans cette nouvelle recherche, qu’ils concernent en fait toute la durée du sommeil, sans être corrélés à des différences de tracés entre patients et sujets sains, ni imputables à un éventuel effet latéral des médicaments psychotropes comme les neuroleptiques. Cette anomalie EEG observée chez les schizophrènes paraît refléter un dysfonctionnement d’ordre thalamo-réticulaire et thalamo-cortical. Mais d’autres recherches sont attendues pour établir si ces déficits affectent aussi des schizophrènes encore sans traitement (medication-naive) et pour confirmer leur présence probable dès le début de la maladie.

Reposant alors sur d’autres techniques combinées à l’EEG à haute résolution (comme la stimulation magnétique trans-crânienne et l’imagerie fonctionnelle en résonance magnétique), ces travaux permettraient aussi de préciser quels facteurs peuvent bloquer ou activer sélectivement certains récepteurs (nicotiniques, GABAergiques, ou de l’acide N-méthyl-D-aspartique) localisés sur les neurones thalamo-réticulaires, et considérés comme défectueux dans la schizophrénie. Si ce déficit en fuseaux se révèle spécifique de la schizophrénie, ce phénomène pourrait représenter, estiment les auteurs, un « marqueur biologique » (ou plus précisément para-clinique) de cette maladie, jusque-là diagnostiquée sur des critères essentiellement cliniques.
Publié le 21/02/2011   

[1] http://ajp.psychiatryonline.org/cgi/content/abstract/164/3/483
Dr Alain Cohen
Implants cérébraux : un nouvel espoir dans le traitement de certaines maladies mentales
Par Lauran Neergaard

WASHINGTON - De petits stimulateurs implantés dans le cerveau semblent porteurs d'espoir pour les personnes atteintes de certaines maladies psychiatriques rebelles aux traitements habituels. Reste à déterminer l'endroit précis où les introduire.

La stimulation cérébrale profonde, ou SCP, a déjà prouvé son efficacité dans le traitement du tremblement de la maladie de Parkinson, mais bloquer une maladie mentale n'est pas aussi simple. Les scientifiques veulent élargir la recherche dans ce domaine, notamment dans les formes graves de dépression, les TOC (troubles obsessionnels compulsifs) et le syndrome de Gilles de la Tourette, afin de mieux savoir comment les utiliser avant que trop de médecins et de patients ne veuillent y avoir recours.

Cela ne signifie de toute façon pas la fin des traitements traditionnels, tout comme les personnes qui reçoivent une prothèse de hanche ont besoin de rééducation, remarque le docteur Helen Mayberg, de l'université Emory. « Une fois que vous retrouvez votre cerveau, il faut apprendre à vous en servir », a-t-elle souligné la semaine dernière lors du Congrès annuel de l'American Association for the Advancement of Science.

Environ 70 000 personnes dans le monde ont reçu une SCP pour traiter une maladie de Parkinson ou un autre trouble moteur quand les traitements habituels ne marchaient pas, selon Michael Okun de l'Université de Floride, un des principaux chercheurs à la conférence.

Comment cela fonctionne-t-il? Les chirurgiens implantent une électrode en profondeur dans le cerveau. De petites secousses électriques émises par un stimulateur placé près de la clavicule et transmises à l'électrode désactivent alors les cellules nerveuses hyperactives, ce qui supprime le tremblement.

Les scientifiques ont déterminé la région à cibler en se fondant sur la chirurgie qui, en détruisant des bouts de tissu cérébral, peut améliorer les formes de Parkinson les plus graves. Mais dans la SCP, les électrodes ne détruisent pas de tissu. Les signaux électriques peuvent être adaptés, voire stoppés s'ils sont inutiles ou entraînent des effets secondaires neurologiques.

Selon les scientifiques, les maladies psychiatriques nécessitent une intervention similaire, sans qu'ils sachent pour l'heure où implanter l'électrode dans le cerveau. Deux fabricants, Medtronic et St Jude Medical, ont commencé à évaluer à grande échelle les effets de la SCP dans la dépression profonde. Chaque fabricant a implanté les électrodes à un endroit différent, en fonction d'essais pilotes prometteurs.

En 2009, l'agence américaine du médicament (Food and Drug Administration, FDA) a donné son feu vert à la version Medtronic pour un petit groupe de patients atteints de TOC réfractaires à tout traitement, dans le cadre d'un programme spécial autorisant la vente d'appareils destinées au traitement des maladies rares avant que leur efficacité soit définitivement établie. Ce qui inquiète toutefois le docteur Joseph Fins, responsable de l'éthique médicale au New York Presbyterian Hospital, qui craint que d'autres patients ne tentent de se procurer ces électrodes à 30 000 $ US sans passer par des essais stricts.

Les chercheurs souhaitent la mise en place d'un registre de suivi des bénéficiaires et restent prudemment optimistes.

Un peu plus de 60 personnes souffrant de TOC rebelles ont bénéficié d'une SCP depuis 2000, a déclaré Benjamin Greenberg, psychiatre à l'Université Brown qui conduit une vaste étude financée par l'Institut national de santé mentale. Environ les trois quarts de la première douzaine de patients étudiés se sont légèrement améliorés, certains pendant huit ans. « Vous avez toujours un fardeau, mais vous pouvez vivre », résume-t-il.

Ce sont des gens qui essaient de soulager leurs peurs ou leur anxiété par des comportements obsessionnels, comme de se laver les mains ou vérifier s'ils ont bien fermé la porte de multiples fois, explique le docteur Greenberg. Beaucoup d'entre eux n'ont du coup plus le temps de sortir de chez eux et la thérapie comportementale a échoué.

Un obstacle important à la SCP toutefois : la batterie, placée près de la clavicule, dure moins de deux ans. Elle se change en chirurgie ambulatoire (entrée et sortie de l'hôpital le même jour) mais cela a conduit environ un tiers des patients étudiés à arrêter leur suivi. Le docteur Greenberg teste un modèle qui peut se recharger tous les quelques jours.
Sur 100 patients testés avec une dépression sévère, la moitié environ va mieux quel que soit l'endroit d'implantation de l'électrode, selon le docteur Mayberg. Elle étudie désormais ce que les cerveaux traités avec succès ont en commun qui pourrait aider à repérer les meilleurs candidats.
cyberpresse  La psychiatrie de droite


C'est en travaillant dans un hôpital pour vétérans que la psychiatre Sally Satel a commencé à s'intéresser aux politiques publiques et à analyser leurs impacts dans la société américaine.

(Washington) Psychiatres et psychologues sont trop rapides avec leurs diagnostics de maladie mentale, affirme Sally Satel. Cette psychiatre de l'Institut de l'entreprise américaine, groupe de réflexion de droite de Washington, tire à boulets rouges depuis une dizaine d'années sur les dérives de la rectitude politique médicale. La Presse l'a rencontrée dans la capitale américaine.

Q Dans l'un de vos livres, vous affirmez que l'Amérique est une «nation en psychothérapie». Que voulez-vous dire ?

R Les professionnels de la santé mentale présument souvent que l'homme est extrêmement fragile. On l'a vu après le 11 septembre, quand des taux stratosphériques de SPT (syndrome post-traumatique) ont été annoncés non seulement chez les gens directement affectés, mais aussi chez les gens d'autres villes, qui ne connaissaient même pas de gens affectés.

Une armée de psys a fondu sur New York. Rien de tout cela n'est survenu. Les gens qui se trouvaient dans les immeubles frappés ou qui ont perdu un proche ont parfois eu des séquelles, très certainement. Mais même là, la plupart des gens ne sont pas affectés pour le reste de leur vie, à moins qu'ils n'aient auparavant vécu d'autres situations aussi horribles, ou aient eu une dépression.

On rend les gens plus vulnérables, on les persuade qu'ils sont à risque. Et on gaspille de l'argent qui manque cruellement pour les gens qui en ont vraiment besoin. Il ya une explosion de diagnostics de trouble d'hyperactivité et d'attention qui est en partie due au fait que ça donne droit à des mesures d'appoint à l'école. Les directeurs d'école s'en méfient et c'est une tragédie pour les enfants qui en souffrent réellement. On peut avoir un diagnostic de dépression avec seulement deux semaines de symptômes. C'est beaucoup trop court. Quelqu'un qui perd sa femme ou son enfant va être très affecté pendant au moins un mois, mais ça ne veut pas dire qu'il doit prendre des antidépresseurs.

Q Êtes-vous contre la psychothérapie ?

R Pour les gens qui sont vraiment malades, c'est essentiel. Et quand on vit un divorce, on peut s'en servir pour mieux se comprendre, pour éviter de retomber dans une relation dysfonctionnelle.

Q Comment êtes-vous passée de la psychiatrie à l'analyse des politiques publiques ?

R Au début des années 90, je travaillais dans un hôpital pour vétérans. J'étais chargée du programme de désintoxication. J'ai découvert qu'il existait un programme gouvernemental qui donnait de l'aide sociale rétroactivement aux gens qui recevaient un diagnostic de dépendance à la drogue ou à l'alcool. Ça pouvait aller jusqu'à cinq ans de prestations, donc une somme assez considérable. Il y a même eu un cas où quelqu'un s'est servi de ce versement pour mettre sur pied un laboratoire de crack et se lancer comme vendeur. Je me suis dit que même avec les meilleures intentions, les programmes de santé publique pouvaient avoir des effets pervers.

Q Ce programme existe-t-il toujours ?

R Non, il a été aboli par la nouvelle majorité républicaine en 1995. Au départ, dans les années 70, ce n'était pas un mauvais programme. Pour recevoir les prestations d'aide sociale, les personnes devaient prouver qu'elles suivaient une cure de désintoxication, et elles devaient rendre des comptes sur la manière dont elles dépensaient l'argent. Mais ces restrictions n'ont jamais fait l'objet de vérifications. Et on a simplement appliqué, même si c'était absurde, une clause présente dans d'autres programmes d'invalidité qui prévoyait le versement de prestations rétroactives. J'ai travaillé avec un sénateur qui voulait réformer le programme pour le rendre conforme à l'esprit original et limiter les prestations à trois ans. Mais la «majorité morale» républicaine est arrivée et a fait table rase de ce programme.

Q Ce genre de vérifications n'est-il pas une intrusion dans la vie privée ?

R Quand on accepte l'aide du gouvernement, il faut accepter aussi certaines limites à notre liberté. Du moins quand il s'agit d'une aide conçue pour être temporaire. Je ne verrais pas nécessairement le besoin de telles vérifications pour les gens irrémédiablement handicapés. N'oubliez pas que si on vérifie que les gens qui sont dépendants vont réellement à leur désintoxication, c'est ultimement pour leur bien, pour les aider à se passer de drogue. C'est un paternalisme bénin.

Q Vous avez récemment dénoncé le «piège du syndrome post-traumatique» (SPT). Que voulez-vous dire ?

R Dans les années 70, on considérait qu'un soldat sur six était revenu du Vietnam invalide à cause du SPT. Ça a donné une vague de films comme Rambo. Plus récemment, on s'est rendu compte que c'est deux à trois fois moins. Il n'empêche, de récents changements aux règles ont élargi la définition du SPT pour que les soldats qui ne se trouvaient pas dans des zones de combat, mais qui ont simplement craint d'être victime d'une attaque, aient accès aux généreuses prestations réservées aux vétérans. C'est contraire à toute la littérature scientifique. Et on considère qu'une victime du SPT n'a aucune chance de s'en sortir. Un jeune soldat de 23 ans qui a de la difficulté à réintégrer la société - ce qui est normal quand on revient de la guerre - va paniquer, demander un diagnostic de SPT et renoncer à une vie productive. Il faudrait aider davantage les vétérans à leur retour et obliger tous ceux qui reçoivent des prestations d'invalidité pour SPT à commencer par un an de psychothérapie et de réhabilitation, en externe. Les thérapies à l'interne actuelles sont contre-productives: des anciens soldats se retrouvent à vivre en groupe, à l'extérieur de la société, comme quand ils étaient au combat. C'est exactement le genre d'habitude qu'il leur faut perdre.

Q Devrait-on restreindre l'accès aux soins pour les fumeurs ou les obèses ?

R Il y a des prédispositions génétiques au tabagisme, à l'obésité ou aux dépendances. Certaines personnes devront pour maintenir un poids santé faire des sacrifices à tous les repas, chaque jour. C'est très difficile. Mais ce sont des comportements radicalement différents des autres maladies, en ce sens que le patient a le choix de prendre ou non la substance qui le rend malade. Il faut tenir compte de cette différence pour bien aider ceux qui souffrent de ces problèmes.

Q Vous considérez-vous de droite ?

R Je suis utilitarienne. Je m'intéresse à ce qui fonctionne, ce qui aide les gens. Par exemple, si on me prouvait que les taxes sur la malbouffe améliorent l'alimentation des gens, je serais en faveur. Pour moi, la seule chose qui compte, c'est de donner à tous le même niveau minimal de possibilité d'avoir la vie qui leur convient. La société a une obligation de moyens. Un socialiste voit les choses différemment: pour lui, la société a une obligation de résultats que personne ne soit plus riche que les autres.

Q Vous avez récemment tourné votre attention vers le don d'organes. Pourquoi ?

R J'ai dû avoir une greffe de rein en 2006. J'ai été choquée de constater combien de gens meurent faute d'avoir un donneur: 12 par jour aux États-Unis. Ça m'a convaincue que le don altruiste ne fonctionne pas. On donne souvent l'exemple de l'Italie ou de l'Espagne, qui ont des systèmes totalement altruistes de dons d'organes qui fonctionnent bien, mais je crois que c'est l'exception qui confirme la règle parce que ces pays ont une infrastructure très intégrée et une culture du don d'organes. Je suis moi-même une exception à ma conclusion: le rein qui m'a sauvée m'a été donné par l'amie d'une amie, que je n'avais jamais rencontrée. Je crois que l'État doit accorder un crédit d'impôt, ou alors une inclusion dans l'assurance maladie publique, pour les donneurs d'organes vivants.
Mathieu Perreault
Publié le 26 février 2011
Commander le cerveau avec de la lumière bleue
Par Olivier Dessibourg
Une méthode révolutionnaire, l'optogénétique, combinaison d’optique et de génétique, permet d’activer sélectivement les neurones. Choisi «Méthode technologique de l’année 2010», ce nouvel outil précieux permet de décrypter le cerveau dans ses infimes détails. La Suisse est à la pointe: plusieurs chercheurs viennent de publier leurs résultats dans des revues prestigieuses
Dans son bac en plastique, la souris est immobile. Sur son crâne est fixé un implant, relié à une fibre optique qui sort du récipient. Subitement, une lumière bleue parcourt le filin transparent, jusqu’à la tête du rongeur. Hop, celui-ci se met à courir en cercles, tel un dératé. Comme s’il exécutait un ordre. La lueur s’éteint, il s’arrête, retrouvant ses mouvements saccadés mais normaux de petite souris curieuse.
Cette expérience fut l’une des premières à démontrer l’efficacité d’une nouvelle technique scientifique, combinaison d’optique et de génétique: l’optogénétique. Un procédé, choisi comme avancée technologique de l’année 2010 par la revue Nature Methods de ce mois de janvier, qui permet d’étudier le cerveau dans ses plus infimes détails. Et surtout de le commander, le tout en utilisant… de la lumière.
Plus de 800 groupes utilisent cette technique, dont plusieurs en Suisse, qui viennent de publier leurs résultats dans des revues prestigieuses (lire ci-dessous). «C’est une révolution pour les neurosciences», s’exclame Andreas Lüthi, du Friedrich Miescher Institut, à Bâle.
Jadis, pour étudier les fonctions du cerveau, les pionniers des neurosciences ont agi logiquement: en lésant ou en procédant à l’ablation d’une partie de l’organe pour voir quels en seraient les effets. Puis est apparue la méthode des électrodes implantées, grâce auxquelles des impulsions électriques sont envoyées dans les différentes aires du cerveau, afin d’observer les réactions induites sur l’organisme ou les capacités mentales.
«Malgré les remarquables avancées permises par cette technique pour mieux comprendre le rôle des diverses régions du cerveau, celle-ci restait peu spécifique, puisque les électrodes stimulent de manière indifférenciée tous les neurones situés à leur proximité», explique Christian Lüscher, à l’Université de Genève. Or les milliards de neurones composant un cortex n’ont pas tous des fonctions identiques.
De même, nombre de médicaments ayant été conçus pour avoir un effet sur le cerveau agissent encore de manière peu spécifique.
«Avec l’optogénétique, on est plus précis, puisqu’on peut cette fois cibler et commander sélectivement les neurones dont on veut élucider la fonction», poursuit le chercheur. Comment? Une fois de plus en sciences, cette technologie a derrière elle une histoire étonnante.
Dans les années 1990, un biologiste allemand fait une brillante découverte, agenouillé devant une mare: il observe que les cellules d’une algue nommée Chlamydomonas se mettent à bouger uniquement lorsqu’elles sont soumises à la lumière. En y regardant de plus près, il découvre à la surface de ces unicellulaires une molécule (protéine) qui joue le rôle d’«interrupteur»: éclairée, cette protéine active les deux flagelles de la Chlamydomonas , qui se met à bouger. Dans la nuit, plus rien ne se passe
En 2005, Karl Deisseroth et son équipe, à l’Université Stanford, se demandent alors s’il est possible d’installer cet interrupteur moléculaire sur d’autres cellules, tels des neurones, pour pouvoir les «enclencher» à souhait, en les soumettant aussi à la lumière. La réponse est positive.
Dans un organisme vivant, tout se fabrique sur la base du code qu’est son génome, collection de gènes. Il a donc d’abord fallu aux chercheurs trouver le gène codant pour cette protéine photosensible. Cela fait, ils l’ont introduit, d’abord in vitro, dans un lot de neurones, plus précisément au sein même de leur code génétique, en recourant à des virus (voir infographie).
Après plusieurs essais, cela a fonctionné ! Le gène injecté a exprimé la fameuse protéine-interrupteur à la surface des neurones génétiquement modifiés. Et ceux-ci ont produit les signaux électriques caractéristiques de la communication interneuronale lorsqu’ils étaient soumis à de la lumière. Bleue, en l’occurrence, car c’est cette longueur d’onde qui active la protéine. Les scientifiques venaient de trouver un moyen pour commander le fonctionnement des neurones, quels qu’ils soient…
«Car tout l’intérêt est là, reprend Andreas Lüthi. En modifiant les virus servant à introduire le gène de la protéine, on peut choisir précisément dans quels neurones on souhaite installer l’interrupteur moléculaire, et donc sur lesquels on veut avoir de l’emprise.» Dans l’expérience in vivo avec la souris, ce sont les neurones moteurs qui ont été ciblés; ils étaient activés grâce à la fibre optique greffée dans le cerveau du rongeur et qui y guidait les impulsions de lumière bleue.
«Cette technique ouvre des centaines de possibilités d’expériences», se réjouit Christian Lüscher, qui revient d’un séjour dans le laboratoire de Karl Deisseroth. Pour élucider le rôle exact des divers circuits neuronaux d’une part; le groupe genevois vient d’identifier celui qui est impliqué dans le phénomène d’addiction aux drogues. Mais aussi pour soigner des affections mentales et du système nerveux central, comme les démences, les dépressions ou certaines paralysies.
L’idée consiste toujours à introduire, dans les neurones de l’aire cérébrale concernée le gène codant pour la protéine-interrupteur photosensible. Et ensuite d’installer sous le crâne une fibre optique guidant des impulsions lumineuses. A la manière de ce qui se fait avec une autre méthode médicale, la stimulation cérébrale profonde: des électrodes intracrâniennes sont greffées chez des patients atteints de Parkinson ou de dépression, afin de stimuler électriquement les zones concernées (lire LT du 7.11.2009).
Dès lors, à quand des essais chez l’homme? «Peut-être dans cinq à dix ans, estime Christian Lüscher. Mais avant, il s’agit de mieux connaître les potentiels effets secondaires des virus utilisés pour insérer le gène.» Cela sans pour l’heure évoquer les questions éthiques que pourrait soulever l’utilisation d’une technologie permettant potentiellement de contrôler le cerveau…
Pendant ce temps, l’équipe de Stanford est en train de perfectionner le système optique, sur des singes, de manière à éviter de devoir installer la fibre optique dans le cerveau; les neurones cibles pourraient être «éclairés» depuis la surface du crâne grâce à de simples ampoules LED.
Dans une présentation sur le site TED. com , un des autres pionniers de cette technique, l’Autrichien Gero Miesenböck, rappelle que, pour les chercheurs en neurosciences, «si l’on pouvait enregistrer l’activité de tous les neurones, on pourrait comprendre le cerveau.» On en est encore loin. Mais, de l’avis de tous, l’optogénétique permettra certainement de faire des avancées lumineuses vers ce rêve de scientifique.

samedi 26 février 2011

La CGT s'inquiète pour la psychiatrie

Le syndicat CGT lance une pétition pour dire « non à la fermeture de 65 lits à la psychiatrie et non à la fermeture de la psychogériatrie » à l'hôpital de Lannemezan. « Cette décision aura des conséquences désastreuses pour la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ainsi que pour la qualité des soins », fait valoir Jean-Francis Dupuy, délégué CGT à l'hôpital de Lannemezan.

Concernant la fermeture de l'unité de psychogériatrie, il met en avant que cette structure, ouverte en 1993, prend en charge la phase aiguë des troubles phychiatriques chez les personnes âgées.

« Sa disparition serait une remise en cause de la place et du pôle de la psychiatrie face au fort vieillissement de la population. Cette fermeture entraînerait la fin du travail en réseau avec les structures accueillant les personnes âgées », indique la CGT.

Pour Alain Baqué, le directeur de l'hôpital de Lannemezan : « On ne supprime pas des lits mais on crée des moyens supplémentaires pour développer des soins actifs plus près des patients, d'une part, dans les situations d'urgence avec le projet de création de deux centres de crise de 28 lits, l'un à Tarbes, l'autre à Lannemezan. D'autre part, avec une hospitalisation de jour possible 7 jours sur 7 au lieu de 5 jours actuellement ». Celui-ci ajoute qu'un hébergement des patients en appartements thérapeutiques va être proposé sur l'ensemble des Hautes-Pyrénées et du Comminges. Quant à la gériatrie, Alain Baqué annonce l'ouverture prochaine de 66 lits de soins de longue durée dont 16 lits de psychogériatrie, réservés à des patients Alzeimer à l'hôpital de Lannemezan. Pour le directeur : « Il n'y a aucune inquiétude à avoir. C'est un renforcement des moyens, plus adaptés aux prises en charge actuelles dans le cadre de la réforme de la loi de 1990 sur les hospitalisations sous contrainte ».

Selon lui : « On ne peut pas parler de suppression de lits et de moyens à la psychiatrie et à la gériatrie, mais d'une amélioration et d'une diversification des prises en charge au plus près des besoins et des domiciles des patients ».
Christian Sarrabayrouse
26/02/2011


La tension monte dans les secteurs psychiatriques

25 février 2011
Par david briand 

Les personnels des secteurs psychiatriques entament une grève reconductible. Ils dénoncent une réduction budgétaire, synonyme de suppression de postes et de lits.

 En l'absence du directeur Alain Debetz, c'est le DRH (directeur des ressources humaines) Rémi Karam (à droite) qui a dialogué avec les syndicalistes et les membres du service psychiatrique au cours d'une discussion animée qui s'est improvisée dans les couloirs de la direction.  photo david briand

En l'absence du directeur Alain Debetz, c'est le DRH (directeur des ressources humaines) Rémi Karam (à droite) qui a dialogué avec les syndicalistes et les membres du service psychiatrique au cours d'une discussion animée qui s'est improvisée dans les couloirs de la direction. photo david briand

Les personnels des deux secteurs psychiatriques du centre hospitalier de Saintonge ont débuté, hier, une grève reconductible pour protester contre le plan d'économies de 250 000 euros visant leur secteur. Une mesure qui correspond à la suppression de huit à neuf postes (sur 116) et à la fermeture de neuf lits (sur 59). C'est un courrier envoyé par le directeur du centre hospitalier, Alain Debetz, aux médecins psychiatres, au début du mois, qui a dévoilé ces intentions.

« Casse-toi, pauvre psy ! »

Réunis le 17 février, les personnels des équipes des secteurs 4 et 5 de psychiatrie (1) ont exprimé leur « désaccord ». Le docteur Marie Napoli, psychiatre, juge la mesure d'autant plus « injuste » que les deux secteurs « sont déjà peu dotés au regard d'une moyenne nationale ». En conséquence, un collectif des professionnels du secteur de la psychiatrie a été formé.


Considérant que la situation était bloquée, le collectif a franchi un pas dans la contestation, hier, en investissant le hall du centre hospitalier, en début d'après-midi. Une soixantaine de membres du personnel se sont ainsi retrouvés, à 14 h 30. Sur leurs blouses, des draps, des écriteaux, bon nombre avaient écrit des slogans du type « fermetures de lits = patients en danger » ou plus caustique : « casse-toi, pauvre psy ! »


Le collectif a reçu le soutien des trois organisations syndicales représentatives des personnels non médicaux (la CGT, FO, et Sud) qui ont déposé le préavis de grève reconductible. « Tant que le directeur ne communique pas, le mouvement va prendre de l'ampleur », assurait Marina Lafond, de la CGT (lire par ailleurs), tandis que Philippe Lavalard (FO) stigmatisait « la politique comptable : la seule variable d'ajustement est la suppression des emplois, à raison de 35 000 euros par an pour un poste ».


3 millions d'euros de déficit

Mais davantage que le directeur de l'établissement, c'est l'ARS (agence régionale de santé) chargée de mettre en place la politique de la santé dans la région Poitou-Charentes, qui est dans le viseur.


À la différence d'autres activités hospitalières (la chirurgie par exemple) assujetties depuis 2005 à la tarification à l'activité, la logique de moyens prévaut toujours dans les secteurs de psychiatrie adultes et de pédopsychiatrie. Seulement, si l'ARS a affecté 10 millions d'euros en 2010, 13 millions ont été dépensés, occasionnant un déficit de 3 millions d'euros. C'est la résorption de ce dernier qui est à l'origine de la tension.


« Aucun licenciement »

En l'absence du directeur de l'hôpital, Alain Debetz, en déplacement à La Rochelle, les contestataires ont exigé de débattre avec Rémi Karam, le DRH (directeur des relations humaines) et des affaires médicales, en investissant l'aile de la direction. Ce dernier a ainsi fait face à une trentaine de manifestants dans un couloir.


Dans une ambiance par moments tendue, mais au cours de laquelle chacun a pu exprimer librement ses opinions, M. Karam a justifié l'économie de 250 000 euros, arguant que la direction avait négocié et obtenu de l'ARS l'attribution de lignes budgétaires supplémentaires, réduisant ainsi le déficit à 750 000 euros pour 2011. Il a aussi évoqué la baisse du taux d'occupation des lits, qui rendait « difficile » de ne pas réformer le système (lire ci-dessous). De son côté, le personnel en colère a répliqué que « l'hôpital n'était pas une marchandise ».


Quelques minutes plus tôt, M. Karam avait confié à « Sud Ouest » qu'aucun licenciement ni non reconduction de fin de contrat n'interviendrait. Ces huit ou neuf postes supprimés seront récupérés « dans les 6 à 8 mois avec des départs à la retraite et des redéploiements ». Dans un communiqué transmis à la presse, le directeur Alain Debetz souligne que « la situation financière du centre hospitalier s'est nettement dégradée en 2010, sans perspectives notables d'amélioration pour 2011 ». Et « c'est le manque de financement déjà ancien de la psychiatrie contribuant au déficit » qui a motivé la « recherche » de « pistes de rééquilibrage du budget ». Il devrait le répéter la semaine prochaine à l'intersyndicale et au collectif.


(1) Les secteurs de psychiatrie sont sectorisés autour de bassins géographiques auxquels correspond une équipe pluridisciplinaire (psychiatres, psychologues, infirmiers, assistants sociaux, secrétaires…) Le secteur 4 recoupe un bassin de vie de 56 000 habitants autour de Saint-Jean-d'Angély et le secteur à 70 000 habitants autour de Saintes.


École de la Cause freudienne

Le cours de Jacques-Alain Miller

Religion, psychanalyse


Un effort de poésie, Orientation lacanienne III, 5, leçons des 14 et 21 mai 2003, soit les première et deuxième de la partie intitulée «Religion, psychanalyse ». Texte et notes établis par Catherine Bonningue.

EXPÉRIENCE RELIGIEUSE

RETOUR DU RELIGIEUX


Latence épistémique


Je vous retrouve après une halte, un temps de suspens, qui a peut-être eu pour moi la valeur d’un temps de latence. Quelle est la valeur d’un temps de latence dans l’ordre du savoir ? C’est une forme, une détermination du temps pour comprendre.

La latence, nous en connaissons la fonction dans la théorie du développement sexuel de l’être humain telle que Freud en a dessiné l’articulation dite diphasique. Il y voit d’ailleurs le propre de l’espèce humaine dans l’ajournement de la pleine disposition de l’activité sexuelle. Cela fait partie de ces imaginations de Freud, de celles qui ont été invalidées par le développement, que l’on imagine validé, du progrès scientifique, et que les analystes ont laissé de côté comme les extravagances du fondateur.

Peut-être y a-t-il néanmoins de ce côté-là — c’est ce qu’indiquait Lacan — de quoi chercher à pénétrer ce qui à nous-mêmes reste opaque de ce qui continue de fonctionner de l’opération analytique.

L’articulation dite diphasique du développement sexuel comporte que la vie sexuelle fleurit jusqu’à cinq ans et puis qu’il y a latence, absence de développement, voire régression, jusqu’à la puberté. Là s’ouvre l’examen de la validité de l’observation freudienne et éventuellement de ne pas reconnaître ce qu’il y a ici d’opérant d’une structure, et au moins d’une structure de la pensée de Freud.

Je dis structure parce que Freud lui-même reconnaît cette articulation diphasique dans le progrès du savoir et même lui donne une fonction éminente pour saisir la genèse et le fonctionnement de ce qui va faire notre interrogation aujourd’hui, et spécialement quand il s’agit de ce que le sujet se refuse à savoir. Pour tout dire, la latence sexuelle est ordonnée aux mêmes coordonnées que la latence épistémique, au moins quand il s’agit de saisir ce qui vous force à penser quelque chose. Freud en voit la raison dans le temps dAe latence. Quoi qu’il en soit, c’est au laps de temps qui s’est écoulé depuis que nous nous sommes vus que j’attribue l’envie ou la forfanterie, ou le risque, puisque nous sommes dans une société du risque, paraît-il, selon Ulrich Beck1, de me lancer dans un propos, celui que j’ai à vous tenir d’habitude, en prenant pour tremplin ces deux mots : la religion, la psychanalyse.

Je trouve même étonnant que j’aie évité de traiter cette question de cours en tant que telle depuis que je l’ouvre devant vous, ce qui commence à faire longtemps. Je me poserai d’ailleurs la question de savoir pourquoi avoir contourné ce thème. Cette fois-ci j’ai préféré mettre une virgule, juxtaposer, pour n’avoir pas à m’embarrasser d’un « et », ce qui m’aurait conduit à m’enfoncer dans le dédale de la comparaison.

L’air du temps


La psychanalyse, la religion, est-ce comparable ? S’agit-il de comparer ? Et pour comparer, ne faut-il pas que les termes soient homogènes ? Au point où en sont venues les choses dans la civilisation d’aujourd’hui, dans notre ambiance culturelle, homogénéiser la religion et la psychanalyse, tout y pousse.

Le « Toutipouss » est d’ailleurs ce qui définit une ambiance culturelle. C’est ce qu’il faut reconnaître pour essayer de se mettre, en général, un peu de côté, au moins pour pouvoir le considérer. Tout pousse, tout vous y pousse bien plus à les confondre, religion et psychanalyse, qu’à les opposer, les confondre ou au moins les intersecter, viser ce que cela a de commun.

Vous pouvez en douter, mais réfléchissez un instant à ce que cela donnerait d’annoncer « La psychanalyse contre la religion », ou encore « La religion contre la psychanalyse ». Il y a eu une époque pour ça, mais, clairement, ce n’est plus la nôtre. Aborder ces deux-là par le contre serait d’un ringard ! Et cela vous condamne, aujourd’hui. Pour tout dire, prendre les choses par le contre nous ramènerait au temps de Freud, autant dire l’Antiquité, et ce serait taxé d’intolérance,A et au point que ce serait inaudible. Ce serait ne parler pour personne. La tolérance, qui fut l’objet, le drapeau d’un combat, veut dire maintenant ne pas déranger l’autre, le laisser dormir, voire l’endormir.

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Un panorama de toutes les formes de parole par un collectif d'artistes
23.02.11


Ils sont une dizaine : producteurs de théâtre ou de radio, sociolinguistes, poètes... Du 23 au 25 février, ce collectif d'artistes passionnant, baptisé l'Encyclopédie de la parole, s'affiche au Centre Pompidou dans le cadre du Nouveau Festival (qui prend fin le 7 mars). Ils ont pour objectif de créer un panorama de toutes les formes que la parole sait prendre : fragments de discours amoureux, formules d'hommes politiques, dérapages d'émissions télévisées...

L'après-midi du 23, une chorale d'une quinzaine de personnes "dira", sans musique mais en canon ou en solo, quelques perles de leur collection : un discours de Daniel Cohn-Bendit, une conférence de Lacan... Le 24, des extraits seront diffusés puis discutés. Le 25, sera donné un spectacle, "Parlement" : pendant une heure, l'actrice Emmanuelle Lafon interprétera la partition que lui a composée le collectif à partir de sons, en une étourdissante valse de voix de toutes origines et toutes couleurs.

L'Encyclopédie de la parole est également exposée à Nice, à la Villa Arson, jusqu'au 22 mai. Pas de chorale ici, ni de spectacle ; il s'agit d'une balade dans les sons. Muni d'un appareil high-tech, le visiteur va de pièce sonore en pièce sonore. Annonce du décès du chanteur Carlos à qui le journaliste souhaite "bon courage", séance d'orthophonie, lecture de Céline par un Russe, cris de berger, chants de chamane, météo marine, vidéo porno, grommellements de Louis de Funès, chants de la jeunesse pétainiste, sourds-muets interprétant une cantate de Bach...

"Blind tests"

La promenade produit un effet hypnotique, comme si un monde se révélait sous vos pieds. A chacun d'inventer son parcours au gré des dix heures d'écoute : suivre une ligne, ou bifurquer à loisir.

A l'origine de L'Encyclopédie de la parole se trouve Joris Lacoste, homme de théâtre attiré par les arts plastiques. On lui doit des vidéos nées de séances d'hypnose. "J'ai toujours collectionné la poésie sonore, les conférences de Barthes ou Deleuze et les documents ethnographiques, raconte-t-il. Avec une amie, on faisait des blind tests, et on réalisait qu'on pouvait confondre le poète dada Raoul Hausmann avec un chaman argentin. Ce genre de relations m'intéresse. De mes rencontres et de mon intérêt pour la langue est née l'Encyclopédie de la parole."

Au fil de soirées dignes de séances d'académiciens en quête du mot juste pour construire le dictionnaire, la collection s'étoffe vite. De Maria Casarès à "Amour, gloire et beauté", toutes les voix excitent leur curiosité. La sélection est collective. "Ce que nous cherchons dans le consensus, c'est la radicalité."

"L'Encyclopédie de la parole"
, au centre Pompidou, Paris 3e. Du 23 au 25 février. Tél. : 01-44-78-12-33. "L'encyclopédie de la parole, collection", à la Villa Arson, 20, avenue Stephen-Liégeard, Nice. Jusqu'au 22 mai. Du mercredi au lundi, de 14 à 18 heures. Entrée libre. Tél. : 04-92-07-73-73.

Emmanuelle Lequeux

Handicap et sexualité : «Que ceux qui en ont envie puissent en bénéficier»

TCHAT


Fondateur de la Coordination Handicap et autonomie, l'écrivain et consultant Marcel Nuss est atteint d'un lourd handicap. Il est co-auteur avec Pascal Dreyer de «Handicaps et sexualités, le Livre blanc» (Dunod). Il a répondu à vos questions.


Gabriel. Que pensez-vous de l'idée de mettre à disposition des handicapés des assistant(e)s de sexualité? cela vous choque-t-il ?
Marcel Nuss. Non, ça ne me choque pas, puisque je me bats pour qu'il y ait des assistants sexuels en France, je trouve cela essentiel, et vital.

Calicot. Qu'avez-vous pensé du documentaire «Sexe, amour et handicapé» du réalisateur Jean-Michel Carré, diffusé hier au soir sur France 2 ?
Je pense que c'est très bien, dans la mesure où il montre toute la profondeur et l'ampleur du problème des handicapés et le refus d'entendre cette souffrance.

ILWMPB. Le tabou est-il sociétal (je n'ai pas sentiment que ce soit le cas) ou circonscrit aux personnes handicapées et leur entourage ?

Pour moi, le tabou est d'abord d'ordre culturel, parce que dans les pays comme les Pays-Bas, le Danemark, l'Allemagne, la Suisse ou les Etats-Unis, l'accompagnement sexuel existe. Il est évident qu'en France il y a un certain tabou, qui a du mal à être entendu. Je compare les blocages actuels à ce qui s'est passé en 1975, au moment où a été voté la loi qui a légalisé l'avortement sous certaines conditions.

Fxr. Comment organiser ce type de «service» ?
Ce service doit nécessairement être encadré pour éviter toutes sortes de dérives. Pour qu'il soit encadré il faut mettre en place une formation en amont, comme c'est le cas en Suisse. Tout le monde ne peut pas être «assistant sexuel». Ça n'a rien à voir avec de la prostitution, dans la mesure où il faut connaître les types de handicaps que l'on va rencontrer, leur spécificité. Il ne s'agit pas de procurer l'orgasme.
Ça à rien à voir avec les passes que proposent les prostituées. Il s'agit de séance d'une heure et demi qui permettent aux personnes handicapées d'entrer en contact avec leur corps, et donc de l'incarner. Parce que le problème réside dans la désincarnation et dans la déstructuration de la majorité des personnes handicapées.
Aujourd'hui sont candidats à l'accompagnement sexuel, soit des personnes qui font des métiers dans le paramédical, en lien avec le corps, c'est-à-dire des ostéopathes, des psychologues, des kinés, des infirmières. Soit elles viennent du monde de la prostitution et demandent à être spécifiquement formées. Ces prostituées sont des prostituées libérales, elles dépendent pas d'un réseau. Elles sont complètement libres, et pratiquent la prostitutions par choix, ça n'a rien à voir avec ces femmes que l'on ramène, en autre, des pays de l'est.

Odile. La question est délicate et les moyens d'améliorer les conditions de vie sexuelle des handicapés l'est tout autant, ne faudrait-il pas en priorité les protéger contre les abus sexuels qu'ils subissent encore trop souvent ?
Je suis entièrement d'accord, mais l'un n'empêche pas l'autre. Peut-être que l'accompagnement sexuel pourra-t-il faire baisser nombre de abus sexuels. D'ailleurs, un des problèmes que l'on rencontre fréquemment, et dont les opposants ne parlent jamais, ce sont les abus sexuels subis par des femmes handicapées, il y en a tous les jours. Une des raisons pour lesquelles les femmes handicapées sont aujourd'hui minoritaires en matière de demande, c'est parce qu'elles sont très méfiantes, ce qui n'empêche pas qu'elle en on tout autant envie.

Julien. Vous qui êtes le porte-parole des personnes handicapées, que vous disent-elles, de quoi ont elles envie ?
Elles ont envie d'être entendu, respectée dans leur demande d'humanité. Chez les personnes que je rencontre, il y en a certaines qui ne veulent pas d'accompagnement, et c'est un choix. En ce sens, je me bats pour qu'on reconnaisse un choix. Aujourd'hui, dans le mesure où cet accompagnement sexuel est réprouvé par la loi, il n'y a pas de choix. Les personnes ne peuvent qu'être frustrées et subir.
 Alors que si cet accompagnement sexuel était légalisé, il y aurait un réel choix, comme avec l'avortement. Personne n'est obligé d'avorter, personne n'est obligé de recourir à des assistants sexuels, mais il faut que ceux qui en ont envie, puisse en bénéficier.

Fxr. Avez-vous des interlocuteurs attentifs dans le gouvernement actuel ?
Dans le gouvernement, il semblerait que Marie-Anne Montchamp qui est secrétaire d'Etat aux solidarités et à la cohésion sociale soit sensible à ce problème. Madame Bachelot est contre, comme elle le dit à un «truc pareil». Au niveau parlementaire, Jean-François Chossy, député UMP de la 7e circonscription de la Loire, est en train de préparer un projet de loi. J'espère que ce projet de loi sera présenté d'ici juin, comme il l'a promis. Donc, j'espère que les pressions de madame Bachelot n'auront pas d'influences négatives sur ce projet en préparation.
Le projet consiste à demander ce qu'on appelle «une exception de la loi». Aujourd'hui, en France, le proxénétisme et le racolage sont interdits, alors que la prostitution est légale. Grâce à ce projet de loi - s'il est voté -, on ne touchera pas à la loi, mais on demandera qu'exceptionnellement, toutes les personnes qui sont dans le champ du handicap soient exclues de cette loi. Et qu'ainsi les personnes qui sont intermédiaires, entre une personne handicapée et un assistant sexuel ne puissent pas être poursuivies pour proxénétisme ou racolade.
Si ce projet était voté, on ne toucherait pas à la loi, mais on préserverait uniquement les personnes qui sont impliquées dans l'accompagnement des personnes handicapées. On ne se bat pas pour que la prostitution soient légalisées, on ne veut pas être la porte ouverte à la légalisation de la prostitution. On veut simplement protéger une personne qui s'engage pour des raison humanitaires. On est dans l'humanitaire, ce que l'on le voit très bien dans le documentaire.

Vforvendetta. Dans le documentaire, il y aussi de belles histoires de couples et de rencontre qui semblent tout à fait naturelles. N'est-ce pas une solution préférable ?
Évidemment que c'est préférable, mais, malheureusement, ce n'est pas aussi simple. En France, il y a actuellement 3 millions de personnes qui souffrent de misère affective et sexuelle. Les personnes qui ont un handicap, et qui ne peuvent même pas se toucher, se trouvent face à une montagne insurmontable, d'autant plus si elles vivent en institution. D'ailleurs l'accompagnement sexuel n'est pas «la» réponse, mais c'est «une» réponse. Une réponse, ça ne prétend pas être la panacée.
 On répond à une demande croissante, parce que beaucoup de personnes handicapées n'ont pas la capacité de créer du lien, elles sont trop mal dans leur corps. L'accompagnement sexuel est une réponse pour leur permettre de se réincarner, de retrouver confiance en elle, de se valoriser, et donc d'être en capacité de recréer du lien.

Ephrem. Ne peut-on imaginer des pratiques psychosomatiques (sophrologie, yoga) qui excluent a priori la relation sexuelle, tout en améliorant la sentiment d'être incarné ?
Ça fait partie d'une réponse, mais le problème c'est que ça coûte très cher. Aujourd'hui, par exemple, une séance d'ostéopathie coûte dans les 60 euros. Quand vous disposez par mois d'environ 700 euros pour vivre, vous ne consacrez pas 60 euros à un soin. La sophrologie, l'ostéopahtie... apportent du bien être, mais ne touche pas la sensualité.
 Or, avoir un handicap signifie être privé de sensualité, privé de vie corporelle, parce que le seul touché que connaisse la majorité des personnes handicapées est un touché mécanique, un touché de soin. Il n'y a pas de sensualité.

Vangelis. Et comment peut-on vous contacter ?
Vous pouvez me contacter sur mon blog, je répondrai à toutes vos questions. Il n'y a pas de questions taboues. Je reçois de plus en plus de questions, parce qu'actuellement il y a une prise de conscience. On est dans un virage culturel, et ce virage réveille un besoin d'humanisation croissante.

Marcel Nuss est l'auteur de :
«L'Identité de la personne "handicapée"», Marcel Nuss, Dunod, (2011)
«Corps accord sur l'écume», un recueil de poèmes (érotiques), Marcel Nuss, Éditions du troubadour, (2011).

25/02/2011

Comment choisir son psy ?
25.02.11

Gabriella Giandelli

Élodie : Bonjour, je suis suivie par une psychiatre depuis deux ans pour cause de dépression. Mais je ne m'en sors pas. Je fais du surplace depuis deux ans. Lors de mes séances avec ma psychiatre, elle ne me pose aucune question sur mon passé, et je n'ai entamé aucune psychothérapie. Elle me prescrit des antidépresseurs de l'efficacité desquels je doute, car j'ai toujours des angoisses et des insomnies malgré les somnifères. Je souhaiterais savoir si le rôle d'un psychiatre est de prescrire seulement des médicaments et de ne pas faire de thérapie (par manque de temps, je suppose). Merci de me répondre.

La question d'Élodie est pertinente, mais malheureusement trop fréquente, car nombreuses et nombreux sont ceux qui errent dans un "parcours psy" avec des médecins ou des thérapeutes trop "variables".

Pour répondre à cette question, il faut tout d'abord préciser quelques notions, que l'on connaît bien aujourd'hui, que j'ai récemment rappelées dans un livre intitulé Psy, mode d'emploi, sous-titré non sans une pointe d'acidité : "Pour les hommes et les femmes en difficulté de vie… et même les thérapeutes !" En effet de nombreux thérapeutes méconnaissent, ou ne connaissent pas, les règles essentielles des psychothérapies et les connaissances actuelles en matière de psychologie et de psychiatrie. Je ne me place en aucune manière en donneur de leçons, mais les errances des patients dans des parcours psy difficiles sont trop fréquentes.

PSY ET PSY

Il faut déjà distinguer "psy" et "psy", ce terme recouvrant aujourd'hui plusieurs réalités : d'une part, le psychologue, qui est un professionnel spécialisé dans la connaissance du psychisme, son fonctionnement, son évaluation et ses approches thérapeutiques. Il a suivi une longue formation universitaire, il est qualifié dans sa discipline, et, la plupart des psychologues cliniciens sont formés à une méthode psychothérapique, psychanalytique, comportementale ou cognitive. Le psychologue n'est pas médecin, il ne prescrit pas de médicaments.

D'autre part, le psychiatre est un médecin, qui a suivi la formation de médecine générale puis s'est spécialisé dans la connaissance du psychisme et des maladies mentales. C'est une formation universitaire longue qui lui donne une expérience clinique auprès de ses patients. La plupart des médecins psychiatres ont été formés à un mode psychothérapique ou à la psychanalyse. Le psychiatre fait un diagnostic psychiatrique, prescrit des médicaments si nécessaire et accompagne son patient par une psychothérapie appropriée. Il oriente donc le patient vers des traitements, des thérapies ou le plus souvent l'association des deux.

Le psychanalyste, enfin, pratique la psychanalyse. Il a été formé au sein d'une école de psychanalyse par une cure personnelle puis une analyse didactique. C'est une formation longue et exigeante, que suivent beaucoup de psychologues et de psychiatres.
Psychothérapeute n'est pas un titre, c'est plutôt le qualificatif d'un professionnel qui exerce la psychothérapie. En France, pour l'instant, il n'existe pas de réel contrôle de la formation des psychothérapeutes (cela commence à être mis en place), ce qui fait que tout un chacun peut se dire psychothérapeute.

QU'EST CE QUE J'AI ?

L'une des grandes difficultés dans le domaine psy est qu'un diagnostic est rarement fait en raison de la demande précise des patients: "je désire faire une psychothérapie" ; "je veux un traitement" ; "je suis dépressif (ve)" ; "j'ai des crises d'angoisse"… Or, le diagnostic est toujours important, car une part des difficultés personnelles, bien qu'elles aient en général toujours une origine psychologique, peuvent être le signe d'une phase biologique secondaire. C'est le cas de l'épisode dépressif, qui est une réalité biologique méconnue, car l'état de mal-être premier s'est progressivement dégradé et le fonctionnement cérébral n'est plus le même. Cette phase doit être soignée par des médicament appropriés, suffisamment longtemps et donc par un psychiatre. Mais ce diagnostic n'est pas toujours facile à faire. Ce n'est pas parce qu'une personne se dit en dépression qu'elle est dépressive. Le diagnostic de l'épisode dépressif reste donc à faire par un médecin psychiatre. En fonction de cela, il peut instaurer un traitement qui résout la plupart du temps l'épisode. Un travail psychothérapique est en général nécessaire pour permettre de dépasser la crise et de ne pas se retrouver dans les mêmes conditions qui ont amené la décompensation dépressive. Ces deux approches sont complémentaires et peuvent être réalisées par le même psychiatre psychothérapeute. Le travail d'analyse est un peu différent, il ne se fait pas dans une période de crise aiguë, c'est plutôt un travail de réflexion et de connaissance personnelle. Ce n'est pas une démarche réellement médicale.

L'ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE

Toutes ces précisions répondent en partie à la question d'Elodie, à qui il faut rappeler encore deux points particulier :
1 - Le silence "total" d'un thérapeute a peu de justifications. Sans que la thérapie soit un échange "de café du Commerce", la réserve du thérapeute permettant au patient d'exprimer son ressenti, il sera tout de même guidé par les réflexions en retour qui lui permettront d'élaborer progressivement sa pensée.
2 - Il est enfin important pour le patient d'oser dire ce qu'il ressent à son thérapeute, notamment s'il ne se trouve pas bien dans les séances, s'il ne comprend pas la démarche psychothérapique. Un remarquable travail comparatif des différents modes de psychothérapies a été fait il y a une dizaine d'années aux États-Unis afin de comprendre quel mode psychothérapique était plus efficace et menait à une issue favorable. En réalité, aucun type particulier de psychothérapie ne s'est révélé être meilleur qu'un autre. Le seul critère de réussite que l'on ait trouvé est que, quelle que soit la méthode, le patient ait senti qu'"il se passait quelque chose" dans les deux ou trois premières séances. C'est ce que l'on appelle l'alliance thérapeutique, qui s'instaure très vite entre le patient et le thérapeute. Si vous n'êtes pas à l'aise avec votre thérapeute, que cela dure, et que vous n'arrivez pas à en parler, il faut réfléchir à la poursuite ou non de ce travail.

* Philippe Brenot, Psy, mode d'emploi. Éditions l'Esprit du temps/PUF, 2007
Le Monde.fr

La famille. Évolution des idées et des pratiques en psychiatrie de secteur

Journée d'étude


Résumé
S’il est impératif aujourd’hui pour la psychiatrie de prendre en compte les familles, il reste à savoir lesquelles et comment. En effet, s’agit-il de la famille agissante à l’intérieur du patient et/ ou celle réelle qui l’accompagne ? Que vient faire le psychiatre ou le thérapeute auprès des familles réelles ? Comment comprendre les liens entre famille et institution ? Quels aspects transculturels sous tendent certains fonctionnements familiaux ? Une journée de réflexion autour des familles, des différentes modalités de travail, des limites et des ouvertures…

Annonce

Argument


Famille lointaine ou trop présente, énigmatique ou accessible, elle sollicite en chacun des soignants représentations et affects. Psychanalystes et systémiciens interrogent la Famille :

   * les uns, à partir des imagos parentales, formations inconscientes qui se sont développées lors du développement du sujet. La mise en mot de ces représentations pourra se faire en traitement  individuel, en thérapie de groupe, en psychodrame.

   * Les autres, en thérapie familiale psychanalytique, où les fantasmes, les places des uns et des autres, les conflits, les représentations… peuvent être évoqués dans ce groupe qu’est la famille. Ce faisant, ils essaieront de dépasser les difficultés individuelles et groupales et de remettre en marche une symbolisation jusqu’alors bloquée

   * Enfin les systémiciens, dans l’interaction entre sujet malade et famille, afin que le regard sur soi et les autres de chaque individu composant le système se transforme. La souplesse retrouvée des échanges va de pair avec la réapparition de la dimension diachronique. Des liens entre l’histoire individuelle et familiale peuvent à nouveau s’opérer. Les interactions se « détoxifient » peu à peu et le symptôme du patient devient alors la métaphore d’une souffrance groupale.

S’il est impératif aujourd’hui pour la psychiatrie de prendre en compte les familles, il reste à savoir lesquelles et comment. En effet, s’agit-il de la famille agissante à l’intérieur du patient et/ ou celle réelle qui l’accompagne ? Que vient faire le psychiatre ou le thérapeute auprès des familles réelles ? Comment comprendre les liens entre famille et institution ? Quels aspects transculturels sous tendent certains fonctionnements familiaux ?

Une journée de réflexion autour des familles, des différentes modalités de travail, des limites et des ouvertures…

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vendredi 25 février 2011

Y aura-t-il un “scandale baclofène” ?

Y aura-t-il un “scandale baclofène”?


Le Dr de Beaurepaire constate que des benzodiazépines sont prescrites en alcoologie sur le long terme, hors AMM. Et n’empêchent pas les rechutes.
Photo Nadji


Malgré la communication intimidante de l'Afssaps, des médecins se sont lancés dans la prescription de baclofène à leurs patients alcooliques depuis la parution du livre d'Olivier Ameisen en 2008. Comme ce dernier, ils constatent l'extraordinaire efficacité de la molécule sur la dépendance à l'alcool et sur d'autres types d'addiction.
Vanessa Boy-Landry

« Un jour, forcément, quelqu'un écrira l'histoire du baclofène. Avec, en toile de fond, cette question, ou plutôt cette énigme: pourquoi des médecins ont pendant si longtemps regardé se dégrader et mourir devant eux des malades alcooliques, alors qu’ils avaient à portée de main un médicament qui les guérissait ? »
Renaud de Beaurepaire, chef du service de psychiatrie à Villejuif, ne mâche pas ses mots quand il renvoie ses confrères au serment qu'ils ont prononcé devant le buste d'Hippocrate! «Les traitements conventionnels n'offrent pas beaucoup plus de réussite, à un an, qu'un placebo. de l'ordre de 20 à 25%.» Le psychiatre a aujourd'hui un recul de deux ans et suit 250 patients. «Seulement 15% ne guérissent pas ; 50%, à un an, ne boivent plus du tout ou modérément. Et environ 30% ont largement diminué leur consommation d'alcool, se sentent mieux, mais boivent encore trop ; soit par manque d'une réelle motivation, soit à cause d'une pathologie psychiatrique.»

Le baclofène n'est pas prescrit par les alcoologues car il n'a pas trouvé grâce aux yeux de l'Afssaps. «Les données de sécurité sont insuffisantes aujourd’hui pour recommander aux médecins de le prescrire», martèle Anne Castot, chef du service de la gestion du risque et de l'information sur le médicament de l’Afssaps. Nous souhaitons qu'une étude démarre, mais nous devons trouver un cadre à sa prescription hors AMM, même dans un essai clinique.»


Annie Rapp: «Sous baclofène, les malades alcooliques retrouvent la liberté»

Pourtant, certains médecins sont passés outre : «Je peux enfin soigner des malades alcooliques», note Annie Rapp, psychiatre à Paris, qui ne travaillait plus avec les malades alcooliques depuis qu’elle avait quitté l’hôpital psychiatrique pour s’installer à son compte. «Je ne voyais pas comment je pouvais les aider. Ça ne marchait jamais, malgré les efforts des malades et des thérapeutes.» Quand elle a découvert l’existence du baclofène, elle a essayé, et n’a pas regretté. «Certains se sentent très soulagés par le médicament tout seul, y compris pour des alcoolismes sévères. Ils sont ahuris de voir tout d'un coup disparaître ce besoin d’alcool qui les a accompagnés toute leur vie! Pour d’autres, c’est plus long et difficile car ne plus absorber cet “alcool-médicament” qui anesthésie peut faire remonter à la surface certaines difficultés. Mais la plupart vont vraiment bien et rapidement! Au-delà de l’abstinence ou de l’indifférence, ils retrouvent la liberté.»

Depuis le jour où un ami proche lui a «avoué» l’alcoolisme de son fils en le priant de le soigner au baclofène, Bernard Jousseaume, médecin généraliste dans le sud-est de la France, est convaincu. Lui qui n’a «jamais sauvé un alcoolique en trente ans», suit aujourd’hui une soixantaine de patients sous baclofène, venus parfois des quatre coins de la France.
Quelles sont donc les réticences des alcoologues à prescrire le baclofène ?

Me Paoletti «Si sous prétexte qu'il n'a pas reçu l'AMM, un médecin ne prescrit pas à son patient un médicament efficace, sa responsabilité pourrait être aussi recherchée»

Est-ce son AMM (Autorisation de mise sur le marché) qui n'a pas pour indication l'alcoolisme? Pourtant, d'après Renaud de Beaurepaire, «les benzodiazépines et les antidépresseurs que prescrivent volontiers les alcoologues, sur le long terme, se font hors AMM. Et n’ont pas donné la preuve d’empêcher les rechutes». A ce sujet, Odile Paoletti, avocate au barreau de Paris, rappelle aux médecins qu’ils sont libres de prescrire hors AMM, sous leur entière responsabilité, et avec circonspection. Mais précise: «Si, sous prétexte qu’un médicament n’a pas reçu l’AMM, vous ne le prescrivez pas à votre patient, alors qu’il aurait pu améliorer son état de santé ou le guérir, votre responsabilité pourrait également être recherchée!»

Est-ce son dosage élevé, également hors AMM, et la crainte d'effets secondaires graves ? Sur ce point, Olivier Ameisen rappelle la longue expérience des neurologues américains qui administrent des doses élevées de baclofène sans jamais avoir observé d'effet secondaire grave ou irréversible. [Lire l'interview d'Olivier Ameisen]
Et si demain le baclofène était reconnu comme le traitement de routine de la maladie alcoolique ? On passerait d'une maladie exclusivement psychiatrisée à une maladie d'origine neurobiologique. Le malade alcoolique, délivré du poids de sa «faute» (celle d'absorber le poison qui le tue) bénéficierait de la même empathie que n'importe quel autre malade. Les médecins prescriraient probablement moins d'antidépresseurs et de neuroleptiques et les hospitalisations ne seraient réservées qu'aux cas les plus sévères. Mais le baclofène ne susciterait ni profit ni honneurs: générique depuis plus de dix ans, son efficacité dans l’alcoolisme a échappé à la filière classique de la découverte médicale. Pas de brevet possible pour les laboratoires ni célébrité qui revienne aux alcoologues réputés ainsi passés à côté de la découverte. Et si c'était cela, le plus vilain défaut du baclofène ?

Pr Michel Lejoyeux: “Ne stigmatisons pas le milieu de l’alcoologie”

Pr Michel Lejoyeux: “Ne stigmatisons pas le milieu de l’alcoologie”
Pr Michel Lejoyeux: « Un médicament ne peut à lui seul traiter un trouble comportemental. »
Photo Nadji




Pr Michel Lejoyeux, président de la Société française d'alcoologie et chef de service de psychiatrie à l'hôpital Bichat livre sa position sur le baclofène dans le traitement de l'alcoolisme.
Vanessa Boy-Landry 


Paris Match. La position de la Société française d’alcoologie (SFA) sur l’utilisation du baclofène pour soigner l’alcoolisme a évolué depuis 2008. Pourquoi ?
Pr Michel Lejoyeux.
Nous ne sommes pas autistes à la SFA ! Nous avons pris connaissance de cas de personnes soignées au baclofène et dont l’état s’est clairement amélioré. Mais on ne peut pas avoir un double discours
sur la pharma­co­vigilance, surtout pas dans le contexte actuel de l’affaire Mediator. C’est pourquoi la SFA souhaite qu’une étude contrôlée soit lancée rapidement. Nos malades, comme tous les autres, méritent une validation scientifique. Les médecins qui prescrivent aujourd’hui le font hors AMM (autorisation de mise sur le marché) et sans validation de la non-toxicité.


A l’inverse, quelle serait la responsabilité d’un médecin qui ne prescrirait pas, hors AMM, un remède, peut-être efficace, à un alcoolique sévère résistant aux traitements conventionnels ?

Je suis pris dans une double inquiétude : je ne peux pas condamner un médecin qui prescrit du baclofène, mais je ne peux pas non plus dire : “Parce qu’il y a eu quelques réussites, prescrivons-le.”


En attendant le lancement et les résultats d’une étude qui aboutiront dans plusieurs années, que faire ?

Il faut vérifier que toutes les techniques psychothérapeutiques et relationnelles, que tous les traitements médicamenteux ont été bien utilisés. Il serait inquiétant qu’un patient reçoive du baclofène en première intention, sans avoir essayé ce qui est validé et reconnu. Nous reconnaissons aujourd’hui un effet positif du baclofène sur la rechute des alcoolo-dépendants après sevrage, mais sans validation scientifique, sa prescription ne peut intervenir qu’après échec des traitements conventionnels et au cas par cas.


Que penser des témoignages qui décrivent cette notion d’indifférence à l’alcool due au baclofène ?
Si elle peut être prouvée par le placebo, je serai ­enthousiaste vis-à-vis du produit. Mais peut-on fonder des recommandations thérapeutiques nationales là-dessus ? J’ai un grand nombre de patients sous psychothérapie qui n’ont plus envie de boire parce qu’ils ont fait ce travail de compréhension des causes qui les ont poussés à boire.

Je ne voudrais pas qu’on oppose un groupe de malades guéris “miraculeusement” à un océan de malades qui se ­débattent dans une alcoologie qui ne peut rien pour eux. Je reconnais que certains malades résistent à tout et, pour ceux-là, on a besoin d’un autre traitement, mais ­intégrons les deux aspects.


« Secrets de nos comportements », Michel Lejoyeux, éd. Plon ;
« Du plaisir à la ­dépendance », Michel Lejoyeux, éd. de La Martinière. Point final



Point final


Un centre de soins ouvert sur la ville
accueil ddu nouveau service

Le 8 mars prochain, une structure originale de consultations et d’hospitalisation psychiatrique de courte durée ouvre dans une nouvelle aile de l’hôpital Saint-Vincent de Paul à Lille. Une avancée considérable des pratiques qui profitera en premier lieu aux usagers.


frédéric Wizla" L’image de la psychiatrie dans la population est associée, pour des raisons liées à l’histoire du traitement de la santé mentale en France, à l’enfermement dans un hôpital psychiatrique. Nous luttons contre cet a priori en inventant des dispositifs tels que les Centres médicaux psychologiques, les Centres d’accueil permanents d’admission, l’hospitalisation à domicile ou encore les familles d’accueil. Le Centre Psychiatrique d’Accueil et d’Admission (CPAA) s’inscrit dans cette évolution. " Pour le docteur Frédéric Wizla, psychiatre à l’Etablissement de santé mentale de l’agglomération lilloise et coordonnateur du CPAA, l’aboutissement de ce projet est une avancée remarquable de la qualité et de la pertinence des soins à la personne.

Banaliser le soin psychiatrique Fruit du rapprochement en un même lieu du Centre d'accueil permanent " Ilot psy " - situé jusqu’alors rue de Wazemmes à Lille - et d’une unité d’hospitalisation de courte durée de 24 lits, l’Unité Pessoa du nom du poète portugais, le CPAA assure deux missions : l’accueil permanent des usagers et, le cas échéant, l’hospitalisation de courte durée. C’est désormais le mode d’entrée privilégié des hospitalisations qui relèvent des quatre secteurs lillois (hormis quelques cas particuliers), une fonction assurée jusqu’alors par l’hôpital Lommelet à Saint-André. Situé au cœur de la ville, il est très facilement accessible. L’ensemble des acteurs impliqués dans les soins d’un patient peuvent s’y rencontrer aisément et rapidement. Implantée au sein d’un hôpital général, cette nouvelle structure contribue à banaliser en quelque sorte le soin psychiatrique.

" Le premier contact avec l’usager, si important pour les soins ultérieurs, ne se fera plus à l’hôpital Lommelet à Saint-André. Grâce au CPAA, des personnes pourront être hospitalisées brièvement, à plusieurs reprises si nécessaire, sans jamais être victimes du stigma de l’" HP ". Un lieu ouvert sur la ville véhicule beaucoup moins de fantasmes. " précise le docteur Wizla.

Une avancée notoire, on l’a compris, dans la pratique d’une psychiatrie " hors les murs ".

CPAA, hôpital Saint-Vincent de Paul, bd de Belfort à Lille. Tél : 03 59 35 28 00.

mercredi 23 février 2011

L'accouchement sous X est dans l'intérêt de l'enfant
08.02.11
 
L'accouchement sous X lèse-t-il les enfants concernés en les privant d'un "droit à connaître leurs origines personnelles" ? La conviction s'en est développée, que relaie un récent rapport parlementaire de Brigitte Barèges ; mais c'est pourtant inexact.
Certains enfants ainsi venus au monde attribuent à ce protocole la raison d'une souffrance qu'ils éprouvent ; or il n'en est pas la cause. La preuve en est qu'une minorité seule des jeunes ainsi nés clame sa colère, certes bruyamment et de manière démonstrative ; une grande majorité demeure cependant silencieuse, parce qu'elle a dépassé depuis longtemps, au sein de la vie familiale qu'a procuré l'adoption, la question suscitée par l'abandon premier.
Cette minorité protestataire n'est pas une avant-garde combative cinglant un préjudice social, comme se plaisent à le considérer des médias friands de causes dont se faire les hérauts ; elle est une fraction qui se débat avec la souffrance commune d'un débat tumultueux avec le milieu familial, identique à celle d'autres jeunes qui n'ont pas connu un abandon originel et donc connaissent leurs génitrice qui est aussi leur mère, mais sont en difficulté relationnelle avec elle.
L'accouchement sous X n'a en rien privé les enfants d'une information utile à leur épanouissement ; les fameuses "origines" se cherchent pour tout un chacun d'entre nous depuis les désirs de nos parents de nous avoir eus comme leur enfant, et non dans une attestation génétique. Il n'y a pas de spécificité au fait d'être "né sous X", et aucun préjudice dès lors qu'a été organisée l'adoption ; l'abandon fut une fracture sans doute, mais il fut un geste louable puisqu'il a donné sa chance à l'enfant et lui a ouvert une vraie destinée dans une autre famille, celle qui construit son identité et forge son origine : l'important est de l'aider à tourner cette page, ce qui est possible par l'aide psychologique, et non de l'y ramener par des décisions sociales inconséquentes, dont la moindre n'a pas été la création d'un Conservatoire national d'accès aux origines personnelles.

LA CONSTITUTION DU LIEN DE FILIATION

Un actuel courant d'opinion dénigre l'accouchement sous X, "spécificité française" taxée d'archaïsme, alors qu'elle est un principe d'inscription de l'enfant  dans sa famille dont la prise en compte, valorisée par la culture française, est un principe flatteur ; des conventions internationales sont convoquées pour plaider un "droit à connaître ses origines personnelles", alors qu'elles résument celle-ci au génétique. Ces appréciations éprises de mœurs anglo-saxonnes en matière familiale oublient les graves travers de celles-ci, n'accordant des droits à l'enfant que pour les avoir préalablement privés de l'essentiel ; la spécificité française est au contraire de se baser sur cet essentiel : la constitution du lien de filiation, qui le fait fils ou fille des ses parents, base de son identité parce que l'enfant grandit depuis les désirs d'être l'enfant attendu par ses parents.

L'"accouchement dans la discrétion" que fait miroiter le récent rapport entraverait cette constitution, en entretenant un fil factice, qui d'abord va gêner la femme qui doit renoncer à devenir la mère de l'enfant pour des raisons personnelles, mais surtout piéger l'enfant, non certes pas celui qui, cas heureusement le plus fréquent, trouvera sa voie dans sa famille adoptive, mais celui, pour qui sont faites les lois, qui s'y trouvera en difficulté : celui ayant du mal à se restaurer dans l'estime de soi mise à mal par l'abandon premier, qui va se précipiter dans le leurre que constitue "la recherche des origines personnelles", hanté du sentiment d'avoir quelque chose à attendre des "retrouvailles". Alors que son enjeu secret est ne parvenir à se pardonner de n'avoir pas été l'enfant attendu par la femme qui le mit au monde, alors qu'il n'y pouvait rien.

L'accouchement sous X, clé de l'adoption plénière, ne prive pas l'enfant ; il permet de l'orienter vers ce qui devient sa filiation effective, pivot de son "origine personnelle", qui repose pour chacun sur la romance, heureuse espérons-le, mais parfois plus irritante, d'avoir été attendu par ceux-là devenus nos parents par le destin. L'anonymat, pour l'accouchement sous X comme pour le don de gamètes, ne constitue en rien un détriment pour les enfants concernés, mais au contraire un facteur essentiel de leur épanouissement. Mais c'est vrai, ceux qui en sont la preuve ne prennent pas part au débat social tonitruant sur le thème. Cet article propose d'écouter leur silence éloquent, signe d'un apaisement propice, avant toute décision hâtive.

Christian Flavigny a publié Parents d'aujourd'hui, enfant de toujours (Armand Colin, 2006), Avis de tempête sur la famille (Albin Michel, 2009) et Et si ma femme était mon père – Les nouvelles familles-gamètes (Éd. LLL, 2010).
Christian Flavigny, psychanalyste, département de psychanalyse de l'enfant, hôpital de la Salpêtrière (Paris)