cyberpresse La psychiatrie de droite
C'est en travaillant dans un hôpital pour vétérans que la psychiatre Sally Satel a commencé à s'intéresser aux politiques publiques et à analyser leurs impacts dans la société américaine.
(Washington) Psychiatres et psychologues sont trop rapides avec leurs diagnostics de maladie mentale, affirme Sally Satel. Cette psychiatre de l'Institut de l'entreprise américaine, groupe de réflexion de droite de Washington, tire à boulets rouges depuis une dizaine d'années sur les dérives de la rectitude politique médicale. La Presse l'a rencontrée dans la capitale américaine.
Q Dans l'un de vos livres, vous affirmez que l'Amérique est une «nation en psychothérapie». Que voulez-vous dire ?
R Les professionnels de la santé mentale présument souvent que l'homme est extrêmement fragile. On l'a vu après le 11 septembre, quand des taux stratosphériques de SPT (syndrome post-traumatique) ont été annoncés non seulement chez les gens directement affectés, mais aussi chez les gens d'autres villes, qui ne connaissaient même pas de gens affectés.
Une armée de psys a fondu sur New York. Rien de tout cela n'est survenu. Les gens qui se trouvaient dans les immeubles frappés ou qui ont perdu un proche ont parfois eu des séquelles, très certainement. Mais même là, la plupart des gens ne sont pas affectés pour le reste de leur vie, à moins qu'ils n'aient auparavant vécu d'autres situations aussi horribles, ou aient eu une dépression.
On rend les gens plus vulnérables, on les persuade qu'ils sont à risque. Et on gaspille de l'argent qui manque cruellement pour les gens qui en ont vraiment besoin. Il ya une explosion de diagnostics de trouble d'hyperactivité et d'attention qui est en partie due au fait que ça donne droit à des mesures d'appoint à l'école. Les directeurs d'école s'en méfient et c'est une tragédie pour les enfants qui en souffrent réellement. On peut avoir un diagnostic de dépression avec seulement deux semaines de symptômes. C'est beaucoup trop court. Quelqu'un qui perd sa femme ou son enfant va être très affecté pendant au moins un mois, mais ça ne veut pas dire qu'il doit prendre des antidépresseurs.
Q Êtes-vous contre la psychothérapie ?
R Pour les gens qui sont vraiment malades, c'est essentiel. Et quand on vit un divorce, on peut s'en servir pour mieux se comprendre, pour éviter de retomber dans une relation dysfonctionnelle.
Q Comment êtes-vous passée de la psychiatrie à l'analyse des politiques publiques ?
R Au début des années 90, je travaillais dans un hôpital pour vétérans. J'étais chargée du programme de désintoxication. J'ai découvert qu'il existait un programme gouvernemental qui donnait de l'aide sociale rétroactivement aux gens qui recevaient un diagnostic de dépendance à la drogue ou à l'alcool. Ça pouvait aller jusqu'à cinq ans de prestations, donc une somme assez considérable. Il y a même eu un cas où quelqu'un s'est servi de ce versement pour mettre sur pied un laboratoire de crack et se lancer comme vendeur. Je me suis dit que même avec les meilleures intentions, les programmes de santé publique pouvaient avoir des effets pervers.
Q Ce programme existe-t-il toujours ?
R Non, il a été aboli par la nouvelle majorité républicaine en 1995. Au départ, dans les années 70, ce n'était pas un mauvais programme. Pour recevoir les prestations d'aide sociale, les personnes devaient prouver qu'elles suivaient une cure de désintoxication, et elles devaient rendre des comptes sur la manière dont elles dépensaient l'argent. Mais ces restrictions n'ont jamais fait l'objet de vérifications. Et on a simplement appliqué, même si c'était absurde, une clause présente dans d'autres programmes d'invalidité qui prévoyait le versement de prestations rétroactives. J'ai travaillé avec un sénateur qui voulait réformer le programme pour le rendre conforme à l'esprit original et limiter les prestations à trois ans. Mais la «majorité morale» républicaine est arrivée et a fait table rase de ce programme.
Q Ce genre de vérifications n'est-il pas une intrusion dans la vie privée ?
R Quand on accepte l'aide du gouvernement, il faut accepter aussi certaines limites à notre liberté. Du moins quand il s'agit d'une aide conçue pour être temporaire. Je ne verrais pas nécessairement le besoin de telles vérifications pour les gens irrémédiablement handicapés. N'oubliez pas que si on vérifie que les gens qui sont dépendants vont réellement à leur désintoxication, c'est ultimement pour leur bien, pour les aider à se passer de drogue. C'est un paternalisme bénin.
Q Vous avez récemment dénoncé le «piège du syndrome post-traumatique» (SPT). Que voulez-vous dire ?
R Dans les années 70, on considérait qu'un soldat sur six était revenu du Vietnam invalide à cause du SPT. Ça a donné une vague de films comme Rambo. Plus récemment, on s'est rendu compte que c'est deux à trois fois moins. Il n'empêche, de récents changements aux règles ont élargi la définition du SPT pour que les soldats qui ne se trouvaient pas dans des zones de combat, mais qui ont simplement craint d'être victime d'une attaque, aient accès aux généreuses prestations réservées aux vétérans. C'est contraire à toute la littérature scientifique. Et on considère qu'une victime du SPT n'a aucune chance de s'en sortir. Un jeune soldat de 23 ans qui a de la difficulté à réintégrer la société - ce qui est normal quand on revient de la guerre - va paniquer, demander un diagnostic de SPT et renoncer à une vie productive. Il faudrait aider davantage les vétérans à leur retour et obliger tous ceux qui reçoivent des prestations d'invalidité pour SPT à commencer par un an de psychothérapie et de réhabilitation, en externe. Les thérapies à l'interne actuelles sont contre-productives: des anciens soldats se retrouvent à vivre en groupe, à l'extérieur de la société, comme quand ils étaient au combat. C'est exactement le genre d'habitude qu'il leur faut perdre.
Q Devrait-on restreindre l'accès aux soins pour les fumeurs ou les obèses ?
R Il y a des prédispositions génétiques au tabagisme, à l'obésité ou aux dépendances. Certaines personnes devront pour maintenir un poids santé faire des sacrifices à tous les repas, chaque jour. C'est très difficile. Mais ce sont des comportements radicalement différents des autres maladies, en ce sens que le patient a le choix de prendre ou non la substance qui le rend malade. Il faut tenir compte de cette différence pour bien aider ceux qui souffrent de ces problèmes.
Q Vous considérez-vous de droite ?
R Je suis utilitarienne. Je m'intéresse à ce qui fonctionne, ce qui aide les gens. Par exemple, si on me prouvait que les taxes sur la malbouffe améliorent l'alimentation des gens, je serais en faveur. Pour moi, la seule chose qui compte, c'est de donner à tous le même niveau minimal de possibilité d'avoir la vie qui leur convient. La société a une obligation de moyens. Un socialiste voit les choses différemment: pour lui, la société a une obligation de résultats que personne ne soit plus riche que les autres.
Q Vous avez récemment tourné votre attention vers le don d'organes. Pourquoi ?
R J'ai dû avoir une greffe de rein en 2006. J'ai été choquée de constater combien de gens meurent faute d'avoir un donneur: 12 par jour aux États-Unis. Ça m'a convaincue que le don altruiste ne fonctionne pas. On donne souvent l'exemple de l'Italie ou de l'Espagne, qui ont des systèmes totalement altruistes de dons d'organes qui fonctionnent bien, mais je crois que c'est l'exception qui confirme la règle parce que ces pays ont une infrastructure très intégrée et une culture du don d'organes. Je suis moi-même une exception à ma conclusion: le rein qui m'a sauvée m'a été donné par l'amie d'une amie, que je n'avais jamais rencontrée. Je crois que l'État doit accorder un crédit d'impôt, ou alors une inclusion dans l'assurance maladie publique, pour les donneurs d'organes vivants.
Mathieu Perreault
Publié le 26 février 2011
C'est en travaillant dans un hôpital pour vétérans que la psychiatre Sally Satel a commencé à s'intéresser aux politiques publiques et à analyser leurs impacts dans la société américaine.
(Washington) Psychiatres et psychologues sont trop rapides avec leurs diagnostics de maladie mentale, affirme Sally Satel. Cette psychiatre de l'Institut de l'entreprise américaine, groupe de réflexion de droite de Washington, tire à boulets rouges depuis une dizaine d'années sur les dérives de la rectitude politique médicale. La Presse l'a rencontrée dans la capitale américaine.
Q Dans l'un de vos livres, vous affirmez que l'Amérique est une «nation en psychothérapie». Que voulez-vous dire ?
R Les professionnels de la santé mentale présument souvent que l'homme est extrêmement fragile. On l'a vu après le 11 septembre, quand des taux stratosphériques de SPT (syndrome post-traumatique) ont été annoncés non seulement chez les gens directement affectés, mais aussi chez les gens d'autres villes, qui ne connaissaient même pas de gens affectés.
Une armée de psys a fondu sur New York. Rien de tout cela n'est survenu. Les gens qui se trouvaient dans les immeubles frappés ou qui ont perdu un proche ont parfois eu des séquelles, très certainement. Mais même là, la plupart des gens ne sont pas affectés pour le reste de leur vie, à moins qu'ils n'aient auparavant vécu d'autres situations aussi horribles, ou aient eu une dépression.
On rend les gens plus vulnérables, on les persuade qu'ils sont à risque. Et on gaspille de l'argent qui manque cruellement pour les gens qui en ont vraiment besoin. Il ya une explosion de diagnostics de trouble d'hyperactivité et d'attention qui est en partie due au fait que ça donne droit à des mesures d'appoint à l'école. Les directeurs d'école s'en méfient et c'est une tragédie pour les enfants qui en souffrent réellement. On peut avoir un diagnostic de dépression avec seulement deux semaines de symptômes. C'est beaucoup trop court. Quelqu'un qui perd sa femme ou son enfant va être très affecté pendant au moins un mois, mais ça ne veut pas dire qu'il doit prendre des antidépresseurs.
Q Êtes-vous contre la psychothérapie ?
R Pour les gens qui sont vraiment malades, c'est essentiel. Et quand on vit un divorce, on peut s'en servir pour mieux se comprendre, pour éviter de retomber dans une relation dysfonctionnelle.
Q Comment êtes-vous passée de la psychiatrie à l'analyse des politiques publiques ?
R Au début des années 90, je travaillais dans un hôpital pour vétérans. J'étais chargée du programme de désintoxication. J'ai découvert qu'il existait un programme gouvernemental qui donnait de l'aide sociale rétroactivement aux gens qui recevaient un diagnostic de dépendance à la drogue ou à l'alcool. Ça pouvait aller jusqu'à cinq ans de prestations, donc une somme assez considérable. Il y a même eu un cas où quelqu'un s'est servi de ce versement pour mettre sur pied un laboratoire de crack et se lancer comme vendeur. Je me suis dit que même avec les meilleures intentions, les programmes de santé publique pouvaient avoir des effets pervers.
Q Ce programme existe-t-il toujours ?
R Non, il a été aboli par la nouvelle majorité républicaine en 1995. Au départ, dans les années 70, ce n'était pas un mauvais programme. Pour recevoir les prestations d'aide sociale, les personnes devaient prouver qu'elles suivaient une cure de désintoxication, et elles devaient rendre des comptes sur la manière dont elles dépensaient l'argent. Mais ces restrictions n'ont jamais fait l'objet de vérifications. Et on a simplement appliqué, même si c'était absurde, une clause présente dans d'autres programmes d'invalidité qui prévoyait le versement de prestations rétroactives. J'ai travaillé avec un sénateur qui voulait réformer le programme pour le rendre conforme à l'esprit original et limiter les prestations à trois ans. Mais la «majorité morale» républicaine est arrivée et a fait table rase de ce programme.
Q Ce genre de vérifications n'est-il pas une intrusion dans la vie privée ?
R Quand on accepte l'aide du gouvernement, il faut accepter aussi certaines limites à notre liberté. Du moins quand il s'agit d'une aide conçue pour être temporaire. Je ne verrais pas nécessairement le besoin de telles vérifications pour les gens irrémédiablement handicapés. N'oubliez pas que si on vérifie que les gens qui sont dépendants vont réellement à leur désintoxication, c'est ultimement pour leur bien, pour les aider à se passer de drogue. C'est un paternalisme bénin.
Q Vous avez récemment dénoncé le «piège du syndrome post-traumatique» (SPT). Que voulez-vous dire ?
R Dans les années 70, on considérait qu'un soldat sur six était revenu du Vietnam invalide à cause du SPT. Ça a donné une vague de films comme Rambo. Plus récemment, on s'est rendu compte que c'est deux à trois fois moins. Il n'empêche, de récents changements aux règles ont élargi la définition du SPT pour que les soldats qui ne se trouvaient pas dans des zones de combat, mais qui ont simplement craint d'être victime d'une attaque, aient accès aux généreuses prestations réservées aux vétérans. C'est contraire à toute la littérature scientifique. Et on considère qu'une victime du SPT n'a aucune chance de s'en sortir. Un jeune soldat de 23 ans qui a de la difficulté à réintégrer la société - ce qui est normal quand on revient de la guerre - va paniquer, demander un diagnostic de SPT et renoncer à une vie productive. Il faudrait aider davantage les vétérans à leur retour et obliger tous ceux qui reçoivent des prestations d'invalidité pour SPT à commencer par un an de psychothérapie et de réhabilitation, en externe. Les thérapies à l'interne actuelles sont contre-productives: des anciens soldats se retrouvent à vivre en groupe, à l'extérieur de la société, comme quand ils étaient au combat. C'est exactement le genre d'habitude qu'il leur faut perdre.
Q Devrait-on restreindre l'accès aux soins pour les fumeurs ou les obèses ?
R Il y a des prédispositions génétiques au tabagisme, à l'obésité ou aux dépendances. Certaines personnes devront pour maintenir un poids santé faire des sacrifices à tous les repas, chaque jour. C'est très difficile. Mais ce sont des comportements radicalement différents des autres maladies, en ce sens que le patient a le choix de prendre ou non la substance qui le rend malade. Il faut tenir compte de cette différence pour bien aider ceux qui souffrent de ces problèmes.
Q Vous considérez-vous de droite ?
R Je suis utilitarienne. Je m'intéresse à ce qui fonctionne, ce qui aide les gens. Par exemple, si on me prouvait que les taxes sur la malbouffe améliorent l'alimentation des gens, je serais en faveur. Pour moi, la seule chose qui compte, c'est de donner à tous le même niveau minimal de possibilité d'avoir la vie qui leur convient. La société a une obligation de moyens. Un socialiste voit les choses différemment: pour lui, la société a une obligation de résultats que personne ne soit plus riche que les autres.
Q Vous avez récemment tourné votre attention vers le don d'organes. Pourquoi ?
R J'ai dû avoir une greffe de rein en 2006. J'ai été choquée de constater combien de gens meurent faute d'avoir un donneur: 12 par jour aux États-Unis. Ça m'a convaincue que le don altruiste ne fonctionne pas. On donne souvent l'exemple de l'Italie ou de l'Espagne, qui ont des systèmes totalement altruistes de dons d'organes qui fonctionnent bien, mais je crois que c'est l'exception qui confirme la règle parce que ces pays ont une infrastructure très intégrée et une culture du don d'organes. Je suis moi-même une exception à ma conclusion: le rein qui m'a sauvée m'a été donné par l'amie d'une amie, que je n'avais jamais rencontrée. Je crois que l'État doit accorder un crédit d'impôt, ou alors une inclusion dans l'assurance maladie publique, pour les donneurs d'organes vivants.
Mathieu Perreault
Publié le 26 février 2011