L'alcoolisme, on peut le soigner
16.09.10
Jacqueline, 46 ans, est hospitalisée depuis le 24 août à l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne). Elle a fait une rechute après deux ans d'abstinence à l'alcool. Jacqueline (qui souhaite garder l'anonymat) prenait régulièrement du topiramate (un antiépileptique connu sous le nom d'Epitomax) mais l'a arrêté cet été, parce qu'elle passait, dit-elle, de "très bonnes vacances" en Espagne avec sa fille de 11 ans, qui ne vit pas avec elle. "Je n'aurais pas dû", concède-t-elle.
Lorsqu'elle rentre seule, dans son petit appartement, à Paris, elle ne peut "plus supporter ça". Prise de bouffées d'angoisse, elle court acheter vodka, gin... et avale trois litres d'alcool pur. Elle rappelle alors le médecin de l'hôpital Paul-Brousse - où elle avait été suivie durant trois semaines, en 2008 -, qui l'hospitalise aussitôt. Jacqueline, qui vient de reprendre son travail d'infirmière, est bien décidée à s'en sortir.
Le topiramate, avec lequel est traitée Jacqueline, est l'une des nouvelles réponses thérapeutiques présentées lors du 15e congrès mondial sur la recherche en alcoologie, l'Isbra, qui s'est achevé jeudi 16 septembre à Paris. L'objectif est à chaque fois de donner le médicament le plus adapté au patient. Avec le topiramate, Jacqueline dit ne pas ressentir d'effets secondaires.
Longtemps retardée par le peu d'intérêt que lui portait l'industrie pharmaceutique, la recherche thérapeutique explore désormais de nombreuses pistes. De nouvelles molécules, tel le nalmefene - qui agit sur le cerveau -, sont testées. L'objectif n'étant pas dans ce cas l'abstinence mais la "consommation contrôlée", ce qui suscite beaucoup de questions. Autres pistes prometteuses, le recours à la génétique et aux neurosciences. Par ailleurs, les médecins constatent que des médicaments conçus pour traiter des addictions, comme le tabac ou le cannabis, sont aussi efficaces contre l'alcool. Ce dernier reste la substance psycho-active la plus consommée en France, même si les spécialistes notent une diminution. C'est l'addiction qui provoque le plus de dommages somatiques, psychiatriques et sociaux.
L'image de l'alcool commence doucement à changer dans l'opinion publique. "Avant, c'était un fléau social qui n'intéressait pas les médecins. Depuis une dizaine d'années, c'est devenu une addiction. Il y a eu une modification de la représentation sociale au début des années 2000", précise le professeur Michel Reynaud, président du comité d'organisation de l'Isbra et chef du département de psychiatrie et d'addictologie de l'hôpital Paul-Brousse.
Le corps médical insiste pour parler de maladie alcoolique et sur le fait que cela touche toutes les catégories sociales. "Ce n'est ni un vice, ni une tare, ni un manque de volonté", insistent les médecins. La France a toujours un problème avec l'alcool : "Le fait de ne pas boire n'est pas normal, souvent mal vu", estime le professeur Michel Lejoyeux, chef de service d'addictologie et de psychiatrie à l'hôpital Bichat, à Paris, président de la Société française d'alcoologie (SFA).
"De l'autodestruction"
"C'est comme un bug en informatique. Votre cerveau est programmé pour s'alcooliser : je bois, même si je n'en ai pas envie, raconte Gilles, 47 ans, soigné à l'hôpital Bichat pour la huitième fois. J'ai pris conscience en 2007 que ce n'était pas ma vie. J'étais à la rue, dès qu'on avait un peu d'argent, on allait boire, c'était de l'autodestruction." Gilles a certes rechuté, mais il reconnaît avoir fait beaucoup de progrès depuis qu'il est arrivé dans le service.
"On réagit tous différemment par rapport à l'alcool, note le docteur Amine Benyamina, psychiatre addictologue à l'hôpital Paul-Brousse. Outre les facteurs biologiques, la part génétique est très importante. Cette influence multi-génétique interagit avec les facteurs environnementaux tels que le stress, le deuil, des traumatismes de l'enfance."
Bien souvent, "l'alcool est un symptôme, la partie émergée de l'iceberg", témoigne Jacqueline. D'où la nécessité d'une approche médicale, psychologique et sociale. "On travaille beaucoup sur l'après-hospitalisation, en donnant toujours au patient la possibilité de revenir, même s'il rechute une demi-heure après sa sortie", précise Djilali Belghaouti, responsable de l'organisation des soins au service d'addictologie de l'hôpital Bichat.
C'est le cas de Joana, 59 ans, qui a rechuté malgré un séjour en clinique. Aujourd'hui soignée à Bichat, elle devrait quitter l'hôpital dans les prochains jours. "Je veux exclure l'alcool de ma vie. Mais c'est parfois difficile de refuser un verre, parfois mal vu", dit-elle. Pour le professeur Lejoyeux, "quand un patient pousse la porte de consultation en alcoologie, la moitié du chemin est faite".
Sur le Web : Sfalcoologie.asso.fr et Anpaa.asso.fr.
Bientôt un essai clinique du baclofène
Depuis la parution du livre du docteur Olivier Ameisen, Le Dernier Verre (Editions Denoël, 2008), le baclofène, vieux médicament (Le Monde du 12 novembre 2008), est de plus en plus utilisé pour soigner les personnes souffrant de maladie alcoolique. Bien que ne bénéficiant pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le sevrage alcoolique, ce relaxant musculaire suscite l'intérêt des patients et des médecins. Un essai clinique soutenu par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) va être lancé dans les semaines à venir, indique le professeur Michel Detilleux, responsable de l'unité d'alcoologie de l'hôpital Cochin et coordinateur de l'essai.
L'essai thérapeutique va impliquer 210 patients alcoolo-dépendants, en plaçant 105 des participants sous traitement et 105 sous placebo, avec une posologie de 90 mg par jour. Les premiers résultats devraient être connus d'ici dix-huit mois, selon le spécialiste. Pour répondre à certaines critiques montrant que la posologie était trop faible, la dose pourrait être augmentée chez certains patients. Mais, pour la plupart des addictologues, aucun médicament ne règle à lui seul la prise en charge de la dépendance.
La consommation en France et ses conséquences
Décès. 45 000 décès sont attribuables à l'alcool chaque année. C'est la troisième cause de mortalité, après les maladies cardio-vasculaires et le cancer. Il est responsable de 30 % des accidents mortels (2 200 décès par an) ; il est impliqué dans 40 % des crimes et délits et dans 30 % des violences conjugales.
Consommation. Elle était de 12,3 litres d'alcool par adulte et par an en 2008 (l'équivalent d'un peu moins de trois verres de vin, par jour et par habitant de 15 ans et plus). Elle diminue de 1 % par an, depuis quarante ans. La France reste au 5e rang européen.
Dépendance. 10 % des adultes (de 4 à 4,5 millions) ont un rapport problématique à l'alcool, soit 15 % d'hommes et 5 % de femmes ; de 1,5 à 2 millions sont alcoolo-dépendants. Chez les adolescents, entre 2000 et 2010, l'usage régulier est passé de 10,9 % à 8,9 %. Mais les expérimentations et les ivresses occasionnelles augmentent depuis 2003.
Sources : Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie ; Société française d'alcoologie.
Jacqueline, 46 ans, est hospitalisée depuis le 24 août à l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne). Elle a fait une rechute après deux ans d'abstinence à l'alcool. Jacqueline (qui souhaite garder l'anonymat) prenait régulièrement du topiramate (un antiépileptique connu sous le nom d'Epitomax) mais l'a arrêté cet été, parce qu'elle passait, dit-elle, de "très bonnes vacances" en Espagne avec sa fille de 11 ans, qui ne vit pas avec elle. "Je n'aurais pas dû", concède-t-elle.
Lorsqu'elle rentre seule, dans son petit appartement, à Paris, elle ne peut "plus supporter ça". Prise de bouffées d'angoisse, elle court acheter vodka, gin... et avale trois litres d'alcool pur. Elle rappelle alors le médecin de l'hôpital Paul-Brousse - où elle avait été suivie durant trois semaines, en 2008 -, qui l'hospitalise aussitôt. Jacqueline, qui vient de reprendre son travail d'infirmière, est bien décidée à s'en sortir.
Le topiramate, avec lequel est traitée Jacqueline, est l'une des nouvelles réponses thérapeutiques présentées lors du 15e congrès mondial sur la recherche en alcoologie, l'Isbra, qui s'est achevé jeudi 16 septembre à Paris. L'objectif est à chaque fois de donner le médicament le plus adapté au patient. Avec le topiramate, Jacqueline dit ne pas ressentir d'effets secondaires.
Longtemps retardée par le peu d'intérêt que lui portait l'industrie pharmaceutique, la recherche thérapeutique explore désormais de nombreuses pistes. De nouvelles molécules, tel le nalmefene - qui agit sur le cerveau -, sont testées. L'objectif n'étant pas dans ce cas l'abstinence mais la "consommation contrôlée", ce qui suscite beaucoup de questions. Autres pistes prometteuses, le recours à la génétique et aux neurosciences. Par ailleurs, les médecins constatent que des médicaments conçus pour traiter des addictions, comme le tabac ou le cannabis, sont aussi efficaces contre l'alcool. Ce dernier reste la substance psycho-active la plus consommée en France, même si les spécialistes notent une diminution. C'est l'addiction qui provoque le plus de dommages somatiques, psychiatriques et sociaux.
L'image de l'alcool commence doucement à changer dans l'opinion publique. "Avant, c'était un fléau social qui n'intéressait pas les médecins. Depuis une dizaine d'années, c'est devenu une addiction. Il y a eu une modification de la représentation sociale au début des années 2000", précise le professeur Michel Reynaud, président du comité d'organisation de l'Isbra et chef du département de psychiatrie et d'addictologie de l'hôpital Paul-Brousse.
Le corps médical insiste pour parler de maladie alcoolique et sur le fait que cela touche toutes les catégories sociales. "Ce n'est ni un vice, ni une tare, ni un manque de volonté", insistent les médecins. La France a toujours un problème avec l'alcool : "Le fait de ne pas boire n'est pas normal, souvent mal vu", estime le professeur Michel Lejoyeux, chef de service d'addictologie et de psychiatrie à l'hôpital Bichat, à Paris, président de la Société française d'alcoologie (SFA).
"De l'autodestruction"
"C'est comme un bug en informatique. Votre cerveau est programmé pour s'alcooliser : je bois, même si je n'en ai pas envie, raconte Gilles, 47 ans, soigné à l'hôpital Bichat pour la huitième fois. J'ai pris conscience en 2007 que ce n'était pas ma vie. J'étais à la rue, dès qu'on avait un peu d'argent, on allait boire, c'était de l'autodestruction." Gilles a certes rechuté, mais il reconnaît avoir fait beaucoup de progrès depuis qu'il est arrivé dans le service.
"On réagit tous différemment par rapport à l'alcool, note le docteur Amine Benyamina, psychiatre addictologue à l'hôpital Paul-Brousse. Outre les facteurs biologiques, la part génétique est très importante. Cette influence multi-génétique interagit avec les facteurs environnementaux tels que le stress, le deuil, des traumatismes de l'enfance."
Bien souvent, "l'alcool est un symptôme, la partie émergée de l'iceberg", témoigne Jacqueline. D'où la nécessité d'une approche médicale, psychologique et sociale. "On travaille beaucoup sur l'après-hospitalisation, en donnant toujours au patient la possibilité de revenir, même s'il rechute une demi-heure après sa sortie", précise Djilali Belghaouti, responsable de l'organisation des soins au service d'addictologie de l'hôpital Bichat.
C'est le cas de Joana, 59 ans, qui a rechuté malgré un séjour en clinique. Aujourd'hui soignée à Bichat, elle devrait quitter l'hôpital dans les prochains jours. "Je veux exclure l'alcool de ma vie. Mais c'est parfois difficile de refuser un verre, parfois mal vu", dit-elle. Pour le professeur Lejoyeux, "quand un patient pousse la porte de consultation en alcoologie, la moitié du chemin est faite".
Sur le Web : Sfalcoologie.asso.fr et Anpaa.asso.fr.
Bientôt un essai clinique du baclofène
Depuis la parution du livre du docteur Olivier Ameisen, Le Dernier Verre (Editions Denoël, 2008), le baclofène, vieux médicament (Le Monde du 12 novembre 2008), est de plus en plus utilisé pour soigner les personnes souffrant de maladie alcoolique. Bien que ne bénéficiant pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le sevrage alcoolique, ce relaxant musculaire suscite l'intérêt des patients et des médecins. Un essai clinique soutenu par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) va être lancé dans les semaines à venir, indique le professeur Michel Detilleux, responsable de l'unité d'alcoologie de l'hôpital Cochin et coordinateur de l'essai.
L'essai thérapeutique va impliquer 210 patients alcoolo-dépendants, en plaçant 105 des participants sous traitement et 105 sous placebo, avec une posologie de 90 mg par jour. Les premiers résultats devraient être connus d'ici dix-huit mois, selon le spécialiste. Pour répondre à certaines critiques montrant que la posologie était trop faible, la dose pourrait être augmentée chez certains patients. Mais, pour la plupart des addictologues, aucun médicament ne règle à lui seul la prise en charge de la dépendance.
La consommation en France et ses conséquences
Décès. 45 000 décès sont attribuables à l'alcool chaque année. C'est la troisième cause de mortalité, après les maladies cardio-vasculaires et le cancer. Il est responsable de 30 % des accidents mortels (2 200 décès par an) ; il est impliqué dans 40 % des crimes et délits et dans 30 % des violences conjugales.
Consommation. Elle était de 12,3 litres d'alcool par adulte et par an en 2008 (l'équivalent d'un peu moins de trois verres de vin, par jour et par habitant de 15 ans et plus). Elle diminue de 1 % par an, depuis quarante ans. La France reste au 5e rang européen.
Dépendance. 10 % des adultes (de 4 à 4,5 millions) ont un rapport problématique à l'alcool, soit 15 % d'hommes et 5 % de femmes ; de 1,5 à 2 millions sont alcoolo-dépendants. Chez les adolescents, entre 2000 et 2010, l'usage régulier est passé de 10,9 % à 8,9 %. Mais les expérimentations et les ivresses occasionnelles augmentent depuis 2003.
Sources : Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie ; Société française d'alcoologie.