Pirates du cerveau : des pensées à portée de casque
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | Par Yves Eudes - Genève, envoyé spécial
Pour jouer au jeu vidéo Space Race ("course spatiale"), pas besoin de clavier, de joystick ni de capteur de mouvement. Il suffit de se concentrer, le vaisseau spatial glisse dans la nuit étoilée par la seule force de la pensée. Plus exactement, le joueur le déplace sur son écran en activant une zone précise de son cerveau, dont les signaux électriques sont captés par une électrode collée sur le sommet de son crâne et connectée à l'ordinateur.
Plus les neurones travaillent, c'est-à-dire plus ils échangent d'informations, moins ils émettent d'ondes cérébrales alpha, un signal inhibant émis lors des phases de repos, très facile à capter avec un casque électroencéphalographe (EEG) standard. Pour calculer l'accroissement d'activité de la zone visée, il suffit de mesurer la baisse d'intensité de son signal alpha. En deçà d'un seuil fixé à l'avance, le vaisseau se met à avancer.
Au début, rien ne se passe, mais, peu à peu, le joueur parvient à s'abstraire de son environnement réel et à s'imaginer aux commandes d'un engin volant à grande vitesse. Et soudain, victoire : le vaisseau bouge. Dans les paramètres, le joueur peut modifier le seuil d'activation à sa guise, afin de rendre le jeu plus ou moins difficile. S'il réussit à se concentrer intensément pendant une période prolongée, son vaisseau subit une accélération foudroyante : il a gagné la course intersidérale.
STRATAGÈMES
Space Race est un classique du jeu vidéo qui a été récemment modifié par l'éditeur de jeux californien WayForward afin qu'on puisse y jouer avec un casque EEG. Tomas Ros, chercheur au laboratoire de neurologie et d'imagerie cognitive de l'université de Genève et spécialiste des interfaces cerveau-ordinateur, l'utilise dans ses expériences. Selon lui, tout le monde ou presque est capable d'apprendre à contrôler et moduler ses ondes alpha : "Chacun développe des stratégies spécifiques, sans pouvoir les décrire avec des mots. Quand vous demandez à quelqu'un comment il a appris à faire du vélo, il ne pourra pas vous l'expliquer, et pourtant, ça a marché, et il ne l'oubliera pas. C'est la même chose pour les jeux par EEG."
On peut aussi inverser les paramètres. Dans ce cas, le vaisseau n'avance que si le joueur parvient à se relaxer, à laisser sa pensée vagabonder. A nouveau, il faut une période d'adaptation. Quand le joueur se concentre sur l'idée qu'il doit cesser de se concentrer, c'est l'échec. Il imagine alors des stratagèmes : par exemple se désintéresser du jeu, et d'un seul coup le vaisseau démarre. D'autres préféreront la méditation transcendantale, l'évocation de souvenirs agréables ou le calcul mental, qui permet de chasser les pensées parasites.
NOUVELLE FORME DE THÉRAPIE
Grâce à Space Race, Tomas Ros est en train de mettre au point une nouvelle forme de thérapie pour soigner certaines maladies mentales, comme les dépressions, les obsessions, l'hyperactivité ou le stress post-traumatique. Sa méthode, sans chimie ni chirurgie, est basée sur la rééducation de certaines zones du cerveau grâce à des exercices ludiques sur ordinateur : "Le but est d'aider le malade à relaxer une certaine partie de son cerveau, qui travaille trop, ou à en activer une autre, qui est en somnolence chronique. On peut ainsi rétablir un équilibre qui a été rompu."