Yann Verdo |
Les uns en font le sacerdoce de toute une vie, les autres adorent la haïr. Qu'on ait eu besoin d'elle ou qu'on s'en méfie comme de la peste, la psychanalyse laisse rarement indifférent. Quatre-vingts ans après la mort de son fondateur, nous l'avons arrachée aux querelles de chapelles et couchée sur le divan.
Il arrive que la mort des grands hommes prenne un tour étrangement symbolique. Quand Galilée s'éteint en 1642 dans sa villa florentine d'Arcetri, où il était tenu reclus depuis sa condamnation par le tribunal de la Sainte-Inquisition, cela faisait quatre ans qu'il tâtonnait dans les ténèbres, étant devenu, avec l'âge, quasiment aveugle : une façon pour Dieu - celui de ses contempteurs dominicains - de le punir d'en avoir tant « vu » avec sa fameuse lunette astronomique ?
Le 23 septembre 1939, en cette ville de Londres où il avait fini, en désespoir de cause, par s'exiler un an plus tôt, Sigmund Freud succombait à ce cancer du maxillaire supérieur qu'il endurait depuis deux décennies. Mort au seuil d'un nouveau conflit mondial qui allait une nouvelle fois mettre en lumière, et de quelle horrifique façon, l'existence de ces diverses « pulsions de mort » nichées au coeur de tout homme - pas seulement des nazis - que le fondateur de la psychanalyse avait théorisées en 1920 dans Au-delà du principe de plaisir. Mort, surtout, d'une maladie qui l'avait pris à la bouche, l'organe de la voix. Comme si, lui aussi, avait été puni par où il avait « péché ».
Car la psychanalyse est, d'abord et avant tout, un travail par et sur la parole, en même temps que sa libération. « Le geste inaugural de Freud, et qui suffit à faire de lui l'un des plus grands hommes du xxe siècle, cela a été d'avoir, le premier, allongé ses patients, souligne le psychanalyste Alain Guy. Le patient ainsi allongé doit élever la voix. Et cette voix qu'il élève au-dessus de lui littéralement lui retombe dessus, il 's'entend dire' ce qu'il ne pensait pas s'entendre dire un jour. Il se confronte aux 'surprises du dire'. »