Zoom sur la nouvelle loi en psychiatrie
09 Mai 2010
Par guy Baillon
Édition : Contes de la folie ordinaire
09 Mai 2010
Par guy Baillon
Édition : Contes de la folie ordinaire
"ILS" ONT PERDU LA TETE ! La nouvelle loi va "punir" ses fous ! Comble de la dérision !
La ministre de la santé, les psychiatres, les familles ont perdu la tête. Ils traitent les personnes présentant des troubles dits psychotiques comme s’ils étaient des "enfants désobéissants" que l'on doit remettre dans le droit chemin, en les obligeant à se faire soigner. Tout va se réduire à "surveiller et punir" ! La psychothérapie est exclue de la loi !
Comment ces différentes catégories de responsables en sont arrivées à considérer la folie comme un caprice de gamins ? Qu’est ce donc que traverser un moment de folie pour eux ?
Les professionnels de la psychiatrie ont inversé les faits : ils présentent la folie comme étant d'une complexité extrême à décrire, et d'une simplicité totale à traiter. C'est tout le contraire. En fait la représentation de la folie peut être décrite simplement, c'est le traitement qui est complexe et demande une profonde et patiente compétence associée à un réel amour de l'autre, amour de la personne qui souffre. Simplement les psychiatres qui se disent les plus "responsables" (car ce ne sont pas tous les psychiatres qui ont pris cette décision ce sont leurs représentants les présidents de CME) démissionnent de leur rôle, trop menacés, trop dévalorisés, trop divisés, ils sont tout à fait soulagés de se protéger derrière une loi qui punit et oblige. Il en est de même des familles : elles expliquent le simplisme violent de cette loi par le fait qu'elles n'arrivent pas à obtenir des soins auprès de la majorité des psychiatres quand elles font cette demande pour leurs proches ; ainsi découragées elles pensent qu'en obligeant leurs enfants à se faire soigner, cela va amener les psychiatres à soigner enfin, le monde à l’envers !
Quant à la Ministre bien évidemment elle est ravie de trouver des alliés inattendus pour appliquer la répression demandée par le Président de la République, continuité de sa politique sécuritaire, qui n’a en fait rien à voir avec la folie. Il faut d’abord montrer que l’Etat est fort : il enferme, donc punit, avant même de "parler".
Au total nous nageons dans l’absurde, un absurde né chez les personnes dites sensées. Mais quel désastre ! Quel massacre de ce qui a été créé pour recevoir la folie !
Ces acteurs refusent de voir la réalité des troubles psychiques tout en ne réfléchissant pas aux conséquences de leurs décisions. En quelques lignes reprenons l'essentiel de ce qu'ils veulent ignorer. La représentation des troubles psychiques graves peut se résumer à trois grandes données : l'angoisse et la dépression, comme troubles de base qui chez certaines personnes vont prendre des proportions extrêmes et durer au point de rendre la vie insupportable, jusqu'à l'apparition d'un délire. Celui-ci au contraire constitue une étape dans la voie de la guérison, dans la mesure où il écarte la violence des troubles précédents, tout en donnant à la personne une solution à l’hostilité ou la complexité du monde environnant ; avec le délire la personne a en mains une explication qui la satisfait ; cependant il rend difficiles les relations de la personne avec son environnement qui ne comprend pas et devient rejetant ; enfin ce délire a comme particularité que la personne convaincue de la pertinence de sa propre vision du monde est dans la méconnaissance de la différence qui existe entre cette vision et la réalité. Elle n'en est pas pour autant dangereuse. Elle méconnaît l'ensemble de ses troubles, par contre elle est, beaucoup plus souvent que les autres, victime de la violence de la société qui l'entoure, et la proie de maladies physiques. Ceci pour deux raisons majeures : étant prise par son délire elle n'est pas consciente des dangers de la société qui l'entoure, pas plus que ce qui met son propre corps en péril; de ce fait elle est vulnérable à cause de cette double méconnaissance qui joue contre elle : elle ne demande rien et ne revendique rien ; de ce fait il est tellement facile de les accuser de tout les maux, et d’en faire des boucs émissaires. C’est ce dont cette loi abuse.
La première absurdité de cette loi c’est « d’interpréter la méconnaissance de ses troubles par le malade comme un refus de se faire soigner, une "désobéissance" » (comme cela a été vivement dénoncé jeudi au colloque de ‘LOGOS’ à Perpignan). La loi veut ignorer qu’elle ne "refuse" pas, elle "ne sait pas" !
La seconde c’est de ne pas comprendre qu'il est essentiel de savoir que le seul processus thérapeutique efficace c'est le travail psychothérapique, individuel et collectif ; les médicaments agissent certes sur une part importante de l'angoisse et de la dépression, mais pas plus que l'éducatif ils n’ont d’action sur le délire. De plus pour réduire au mieux les troubles de base, angoisse et dépression, ces médicaments doivent être ‘encadrés’ par la psychothérapie pour expliquer leur effet et être intégrés dans la recherche du sens des processus psychopathologiques.
Enfin une donnée dramatique se surajoute, dès que l'on entre dans le champ du soin. Les psychiatres ne le savent pas assez, ce sont les patients qui nous l’apprennent : ce drame c’est la souffrance qu'impose le fait de devoir vivre le saut brutal qu’ils doivent faire pour aller de leur méconnaissance du délire à la reconnaissance qui leur est imposée d’être "malade". Ces personnes qui souffrent expliquent que ce qui leur est imposé alors c'est de passer d'un vécu de certitude sur la réalité à une reconnaissance que ce qu'ils aiment le plus au monde, leur être propre, leur âme, leur moi, "serait" en fait une donnée incomplète, inférieure, dévalorisée, parce que dite "malade", qui va leur faire "honte". C'est alors un vacillement de l'âme, une perte d'identité, qui leur est asséné. Cette identité il leur devient indispensable de la reconstruire pour survivre et ne pas s'effondrer en un être totalement passif, vide de toute pensée sur le monde. Cet état de passivité, cette vie amorphe, peut être aussi le résultat que l’on obtient avec des traitements lorsqu’ils sont limités à des surdosages de médicaments et de comportementalisme. Nous le savons tous.
Un tel "saut" est impossible à faire seul, ni avec la seule aide de la famille ; il faut l'intervention d'un tiers, un tiers soignant qui s'approche d’elles avec suffisamment de prudence pour créer un climat de confiance. Seulement il faut à la fois pour cela un cadre neutre, des soignants accueillants attentifs, et surtout qui soient les mêmes pour assurer une continuité de liens, compétents, expérimentés, permettant la construction de ce lien de confiance nécessaire pour réaliser cette mutation psychique.
C'est bien le risque que cette loi fait prendre en bâtissant sa démarche sur l'obéissance à prendre des médicaments seulement. Alors que l’on sait aussi qu’aucun médicament n'incite à suivre un travail psychothérapique. Surtout aucune psychothérapie ne peut être réalisée sous obligation, sous un ordre quelconque, sous une injonction quelconque, menace à l'appui. L'échange relationnel exige un vécu et un climat de liberté essentiels.
À l'inverse l'expérience a montré tant aux promoteurs de la Psychothérapie Institutionnelle qu’à ceux de la Psychiatrie de Secteur que le soin psychique pouvait se développer dans un climat de liberté. Certaines équipes ont formalisé cela en soulignant que tout début de soin psychique, toute proposition de soin, devait être précédé d'une "vraie rencontre humaine" pour accéder à cette méconnaissance, dans des espaces neutres en ville, non stigmatisés par une étiquette psychiatrique ; nous les avons appelés « lieux ou centres d'accueil », mais il s’agit là d’un accueil qui n’est ni obligatoire, ni limité à trois jours. En effet si les personnes en grande difficulté psychique, soit seules, soit de préférence accompagnées, peuvent être reçues directement sans délai dans un tel espace, elles peuvent bénéficier d'une série d'entretiens qui seront réalisés par les mêmes soignants s'appuyant sur l’entourage, et établissant un lien de confiance assez clair pour que la relation devienne solide ; peu à peu les personnes peuvent mettre des mots sur leur souffrance, et envisagent d'accepter des aides thérapeutiques associant psychothérapie, médicaments, soins institutionnels. Un tel travail est appelé « travail d'accueil », parfois « travail de crise ».
Et là nous comprenons brusquement qu’une loi n'est donc pas nécessaire pour installer ce type de soin. Un "Plan de Santé Mentale" suffit, demandant à chaque équipe de secteur de convertir une partie de son personnel (6 à 12 infirmiers, un médecin, un psychologue) en un groupe ou équipe d'accueil actif 24 h/ 24. Cette seule présence entraîne une transformation complète du ‘climat’ du service public qui devient enfin disponible et accessible. À chaque fois une telle réalisation entraîne une diminution des urgences, une diminution des besoins d'hospitalisation, ceux-ci étant remplacés par des soins ambulatoires. Enfin cette équipe, en raison de sa disponibilité, peut régulièrement à la demande des familles intervenir au domicile et rétablir le contact avec un patient qui s'est totalement mis en retrait.
Par cette simple mise en place, cette énorme machine de guerre que constitue cette nouvelle loi, avec sa triple obligation de soins depuis la garde à vue jusqu'au domicile, se montre totalement inutile, disproportionnée, adaptée seulement pour une armée de criminels.
Il est essentiel en même temps d'anticiper l'ampleur des autres dégâts que va faire cette loi si elle est promulguée par le Parlement : d’abord elle se centre sur la personne seule alors que les troubles psychiques graves atteignent toujours un groupe, la famille, des proches, avec la personne, alors que nous devons avoir à l'esprit l'appui d'une conception de l'homme qui soit unitaire, globale, associant corps, esprit et modalité de relation à l'autre, faisant comprendre que l'homme ne peut vivre seul ; l’autonomie est une illusion, la solidarité est un besoin. Tout cela est évacué par la loi qui isole, enferme, oblige. Surtout la loi commet un oubli colossal, elle occulte le fait que le soin psychique ne constitue qu'une partie des besoins des personnes présentant des troubles psychiques graves. De ce fait elle ignore totalement la généreuse loi de 2005-102, qui en créant la notion de handicap psychique (les conséquences sociales des troubles psychiques graves), a montré la volonté de l'État de répondre à une autre partie des besoins, les besoins de compensation sociale ; cette réponse réalisée grâce aux accompagnements individuels, aux services d'accompagnements sociaux (SAVS) et d'accompagnement au travail (ESAT), des foyers, et même les remarquables GEM, groupe d'entraide mutuelle. Une des difficultés d'application de cette loi est qu'elle constate que dans un certain nombre de situations, des personnes ayant été soignées, mais qui, soit au début de la rencontre avec la MDPH (maison du handicap), soit en cours de mesures de compensation, sont à nouveau dans le déni de leurs troubles psychiques tout en ne ‘demandant rien’. Le souci actuel est en dehors de toute urgence de les aider à percevoir la pertinence qu'il y aurait de reprendre un processus thérapeutique associé ; et nous constatons que ce sont les liens mutuels et la confiance des usagers qui vont permettre de redresser le cap vers le soin associé.
Avec la loi, l'ombre de la notion d’obligation-obéissance va s'étendre bien au-delà du soin, elle va aussi s'étendre sur le champ social et médico-social ; dans ce champ consciemment ou non, on ne va plus chercher à préparer une simple reprise de soins, on va très facilement brandir la menace de renvoyer la personne à tout le circuit «garde à vue de 72 heures - obligation de soin hospitalier- obligation de soins à domicile ».
En clair nous voyons venir l’ère des travaux forcés : une simple incartade, une absence mal expliquée, des conflits variés, feront évoquer l'insuffisance des soins (donnée totalement inévaluable, mais dont l'énonciation suffit pour faire peur et fausser là aussi toute relation dans l'ensemble du champ social et médico-social). Ces personnes se sentiront obligées de travailler pour ne pas être hospitalisées et prises dans le système du soin obligatoire ! Où allons-nous ? L'ensemble du climat social va changer. Nous devons y prendre garde, ici nous sommes en présence de personnes présentant les conséquences sociales des troubles psychiques au long cours : à la moindre difficulté, qui pourra affirmer que le traitement est bien suivi ? qu'il est suffisant ? Cette question est très fréquente. Avec la loi il y a une réponse possible et immédiate, donc facile, "très facile" : l'envoi à la garde à vue de 72 heures ! Nous comprenons que tout ceci ouvre la porte à un climat constant de délation, sans limites !
Ainsi nous voilà brutalement, dès la promulgation de la loi, projetés dans un climat où tout se fixe sur l'individu plus ou moins désobéissant, loin de toute solidarité, celle-ci suspecte sera désignée comme risque de collusion cherchant à protéger, au lieu de soigner. Non seulement la loi avec l'obligation des soins réduit l'homme à une machine qu'il suffit de nourrir de médicaments ou à transformer en robot ; mais il devient clair que les personnes présentant un trouble mental constituent manifestement "une autre race", qui doit se contenter d'obéir. Ce que l’on n’a pas encore compris, c’est que cela ne limitera aucunement la réalisation des actes imprévisibles (ceux dont se nourrit la presse, ils surviendront là comme dans toute population, y compris des crimes, mais ici ils ne sont pas supportables car aucun motif "raisonnable" n’est invoqué), on comprendra très vite qu'il faudra aller plus loin. Alors, la "race’" étant désignée, d’aucuns évoqueront une méthode déjà expérimentée pendant 10 ans en Allemagne entre 1933 et 1942 où l'on a "euthanasié" avec les meilleures intentions du monde, 80.000 personnes "afin de leur éviter les souffrances à venir". Cette nouvelle loi prépare ce climat et va laisser venir cela, doucement ! là où il faut simplement écouter ceux qui souffrent grâce à une disponibilité humaine, compétente, libre.
Guy Baillon, psychiatre des hôpitaux
La ministre de la santé, les psychiatres, les familles ont perdu la tête. Ils traitent les personnes présentant des troubles dits psychotiques comme s’ils étaient des "enfants désobéissants" que l'on doit remettre dans le droit chemin, en les obligeant à se faire soigner. Tout va se réduire à "surveiller et punir" ! La psychothérapie est exclue de la loi !
Comment ces différentes catégories de responsables en sont arrivées à considérer la folie comme un caprice de gamins ? Qu’est ce donc que traverser un moment de folie pour eux ?
Les professionnels de la psychiatrie ont inversé les faits : ils présentent la folie comme étant d'une complexité extrême à décrire, et d'une simplicité totale à traiter. C'est tout le contraire. En fait la représentation de la folie peut être décrite simplement, c'est le traitement qui est complexe et demande une profonde et patiente compétence associée à un réel amour de l'autre, amour de la personne qui souffre. Simplement les psychiatres qui se disent les plus "responsables" (car ce ne sont pas tous les psychiatres qui ont pris cette décision ce sont leurs représentants les présidents de CME) démissionnent de leur rôle, trop menacés, trop dévalorisés, trop divisés, ils sont tout à fait soulagés de se protéger derrière une loi qui punit et oblige. Il en est de même des familles : elles expliquent le simplisme violent de cette loi par le fait qu'elles n'arrivent pas à obtenir des soins auprès de la majorité des psychiatres quand elles font cette demande pour leurs proches ; ainsi découragées elles pensent qu'en obligeant leurs enfants à se faire soigner, cela va amener les psychiatres à soigner enfin, le monde à l’envers !
Quant à la Ministre bien évidemment elle est ravie de trouver des alliés inattendus pour appliquer la répression demandée par le Président de la République, continuité de sa politique sécuritaire, qui n’a en fait rien à voir avec la folie. Il faut d’abord montrer que l’Etat est fort : il enferme, donc punit, avant même de "parler".
Au total nous nageons dans l’absurde, un absurde né chez les personnes dites sensées. Mais quel désastre ! Quel massacre de ce qui a été créé pour recevoir la folie !
Ces acteurs refusent de voir la réalité des troubles psychiques tout en ne réfléchissant pas aux conséquences de leurs décisions. En quelques lignes reprenons l'essentiel de ce qu'ils veulent ignorer. La représentation des troubles psychiques graves peut se résumer à trois grandes données : l'angoisse et la dépression, comme troubles de base qui chez certaines personnes vont prendre des proportions extrêmes et durer au point de rendre la vie insupportable, jusqu'à l'apparition d'un délire. Celui-ci au contraire constitue une étape dans la voie de la guérison, dans la mesure où il écarte la violence des troubles précédents, tout en donnant à la personne une solution à l’hostilité ou la complexité du monde environnant ; avec le délire la personne a en mains une explication qui la satisfait ; cependant il rend difficiles les relations de la personne avec son environnement qui ne comprend pas et devient rejetant ; enfin ce délire a comme particularité que la personne convaincue de la pertinence de sa propre vision du monde est dans la méconnaissance de la différence qui existe entre cette vision et la réalité. Elle n'en est pas pour autant dangereuse. Elle méconnaît l'ensemble de ses troubles, par contre elle est, beaucoup plus souvent que les autres, victime de la violence de la société qui l'entoure, et la proie de maladies physiques. Ceci pour deux raisons majeures : étant prise par son délire elle n'est pas consciente des dangers de la société qui l'entoure, pas plus que ce qui met son propre corps en péril; de ce fait elle est vulnérable à cause de cette double méconnaissance qui joue contre elle : elle ne demande rien et ne revendique rien ; de ce fait il est tellement facile de les accuser de tout les maux, et d’en faire des boucs émissaires. C’est ce dont cette loi abuse.
La première absurdité de cette loi c’est « d’interpréter la méconnaissance de ses troubles par le malade comme un refus de se faire soigner, une "désobéissance" » (comme cela a été vivement dénoncé jeudi au colloque de ‘LOGOS’ à Perpignan). La loi veut ignorer qu’elle ne "refuse" pas, elle "ne sait pas" !
La seconde c’est de ne pas comprendre qu'il est essentiel de savoir que le seul processus thérapeutique efficace c'est le travail psychothérapique, individuel et collectif ; les médicaments agissent certes sur une part importante de l'angoisse et de la dépression, mais pas plus que l'éducatif ils n’ont d’action sur le délire. De plus pour réduire au mieux les troubles de base, angoisse et dépression, ces médicaments doivent être ‘encadrés’ par la psychothérapie pour expliquer leur effet et être intégrés dans la recherche du sens des processus psychopathologiques.
Enfin une donnée dramatique se surajoute, dès que l'on entre dans le champ du soin. Les psychiatres ne le savent pas assez, ce sont les patients qui nous l’apprennent : ce drame c’est la souffrance qu'impose le fait de devoir vivre le saut brutal qu’ils doivent faire pour aller de leur méconnaissance du délire à la reconnaissance qui leur est imposée d’être "malade". Ces personnes qui souffrent expliquent que ce qui leur est imposé alors c'est de passer d'un vécu de certitude sur la réalité à une reconnaissance que ce qu'ils aiment le plus au monde, leur être propre, leur âme, leur moi, "serait" en fait une donnée incomplète, inférieure, dévalorisée, parce que dite "malade", qui va leur faire "honte". C'est alors un vacillement de l'âme, une perte d'identité, qui leur est asséné. Cette identité il leur devient indispensable de la reconstruire pour survivre et ne pas s'effondrer en un être totalement passif, vide de toute pensée sur le monde. Cet état de passivité, cette vie amorphe, peut être aussi le résultat que l’on obtient avec des traitements lorsqu’ils sont limités à des surdosages de médicaments et de comportementalisme. Nous le savons tous.
Un tel "saut" est impossible à faire seul, ni avec la seule aide de la famille ; il faut l'intervention d'un tiers, un tiers soignant qui s'approche d’elles avec suffisamment de prudence pour créer un climat de confiance. Seulement il faut à la fois pour cela un cadre neutre, des soignants accueillants attentifs, et surtout qui soient les mêmes pour assurer une continuité de liens, compétents, expérimentés, permettant la construction de ce lien de confiance nécessaire pour réaliser cette mutation psychique.
C'est bien le risque que cette loi fait prendre en bâtissant sa démarche sur l'obéissance à prendre des médicaments seulement. Alors que l’on sait aussi qu’aucun médicament n'incite à suivre un travail psychothérapique. Surtout aucune psychothérapie ne peut être réalisée sous obligation, sous un ordre quelconque, sous une injonction quelconque, menace à l'appui. L'échange relationnel exige un vécu et un climat de liberté essentiels.
À l'inverse l'expérience a montré tant aux promoteurs de la Psychothérapie Institutionnelle qu’à ceux de la Psychiatrie de Secteur que le soin psychique pouvait se développer dans un climat de liberté. Certaines équipes ont formalisé cela en soulignant que tout début de soin psychique, toute proposition de soin, devait être précédé d'une "vraie rencontre humaine" pour accéder à cette méconnaissance, dans des espaces neutres en ville, non stigmatisés par une étiquette psychiatrique ; nous les avons appelés « lieux ou centres d'accueil », mais il s’agit là d’un accueil qui n’est ni obligatoire, ni limité à trois jours. En effet si les personnes en grande difficulté psychique, soit seules, soit de préférence accompagnées, peuvent être reçues directement sans délai dans un tel espace, elles peuvent bénéficier d'une série d'entretiens qui seront réalisés par les mêmes soignants s'appuyant sur l’entourage, et établissant un lien de confiance assez clair pour que la relation devienne solide ; peu à peu les personnes peuvent mettre des mots sur leur souffrance, et envisagent d'accepter des aides thérapeutiques associant psychothérapie, médicaments, soins institutionnels. Un tel travail est appelé « travail d'accueil », parfois « travail de crise ».
Et là nous comprenons brusquement qu’une loi n'est donc pas nécessaire pour installer ce type de soin. Un "Plan de Santé Mentale" suffit, demandant à chaque équipe de secteur de convertir une partie de son personnel (6 à 12 infirmiers, un médecin, un psychologue) en un groupe ou équipe d'accueil actif 24 h/ 24. Cette seule présence entraîne une transformation complète du ‘climat’ du service public qui devient enfin disponible et accessible. À chaque fois une telle réalisation entraîne une diminution des urgences, une diminution des besoins d'hospitalisation, ceux-ci étant remplacés par des soins ambulatoires. Enfin cette équipe, en raison de sa disponibilité, peut régulièrement à la demande des familles intervenir au domicile et rétablir le contact avec un patient qui s'est totalement mis en retrait.
Par cette simple mise en place, cette énorme machine de guerre que constitue cette nouvelle loi, avec sa triple obligation de soins depuis la garde à vue jusqu'au domicile, se montre totalement inutile, disproportionnée, adaptée seulement pour une armée de criminels.
Il est essentiel en même temps d'anticiper l'ampleur des autres dégâts que va faire cette loi si elle est promulguée par le Parlement : d’abord elle se centre sur la personne seule alors que les troubles psychiques graves atteignent toujours un groupe, la famille, des proches, avec la personne, alors que nous devons avoir à l'esprit l'appui d'une conception de l'homme qui soit unitaire, globale, associant corps, esprit et modalité de relation à l'autre, faisant comprendre que l'homme ne peut vivre seul ; l’autonomie est une illusion, la solidarité est un besoin. Tout cela est évacué par la loi qui isole, enferme, oblige. Surtout la loi commet un oubli colossal, elle occulte le fait que le soin psychique ne constitue qu'une partie des besoins des personnes présentant des troubles psychiques graves. De ce fait elle ignore totalement la généreuse loi de 2005-102, qui en créant la notion de handicap psychique (les conséquences sociales des troubles psychiques graves), a montré la volonté de l'État de répondre à une autre partie des besoins, les besoins de compensation sociale ; cette réponse réalisée grâce aux accompagnements individuels, aux services d'accompagnements sociaux (SAVS) et d'accompagnement au travail (ESAT), des foyers, et même les remarquables GEM, groupe d'entraide mutuelle. Une des difficultés d'application de cette loi est qu'elle constate que dans un certain nombre de situations, des personnes ayant été soignées, mais qui, soit au début de la rencontre avec la MDPH (maison du handicap), soit en cours de mesures de compensation, sont à nouveau dans le déni de leurs troubles psychiques tout en ne ‘demandant rien’. Le souci actuel est en dehors de toute urgence de les aider à percevoir la pertinence qu'il y aurait de reprendre un processus thérapeutique associé ; et nous constatons que ce sont les liens mutuels et la confiance des usagers qui vont permettre de redresser le cap vers le soin associé.
Avec la loi, l'ombre de la notion d’obligation-obéissance va s'étendre bien au-delà du soin, elle va aussi s'étendre sur le champ social et médico-social ; dans ce champ consciemment ou non, on ne va plus chercher à préparer une simple reprise de soins, on va très facilement brandir la menace de renvoyer la personne à tout le circuit «garde à vue de 72 heures - obligation de soin hospitalier- obligation de soins à domicile ».
En clair nous voyons venir l’ère des travaux forcés : une simple incartade, une absence mal expliquée, des conflits variés, feront évoquer l'insuffisance des soins (donnée totalement inévaluable, mais dont l'énonciation suffit pour faire peur et fausser là aussi toute relation dans l'ensemble du champ social et médico-social). Ces personnes se sentiront obligées de travailler pour ne pas être hospitalisées et prises dans le système du soin obligatoire ! Où allons-nous ? L'ensemble du climat social va changer. Nous devons y prendre garde, ici nous sommes en présence de personnes présentant les conséquences sociales des troubles psychiques au long cours : à la moindre difficulté, qui pourra affirmer que le traitement est bien suivi ? qu'il est suffisant ? Cette question est très fréquente. Avec la loi il y a une réponse possible et immédiate, donc facile, "très facile" : l'envoi à la garde à vue de 72 heures ! Nous comprenons que tout ceci ouvre la porte à un climat constant de délation, sans limites !
Ainsi nous voilà brutalement, dès la promulgation de la loi, projetés dans un climat où tout se fixe sur l'individu plus ou moins désobéissant, loin de toute solidarité, celle-ci suspecte sera désignée comme risque de collusion cherchant à protéger, au lieu de soigner. Non seulement la loi avec l'obligation des soins réduit l'homme à une machine qu'il suffit de nourrir de médicaments ou à transformer en robot ; mais il devient clair que les personnes présentant un trouble mental constituent manifestement "une autre race", qui doit se contenter d'obéir. Ce que l’on n’a pas encore compris, c’est que cela ne limitera aucunement la réalisation des actes imprévisibles (ceux dont se nourrit la presse, ils surviendront là comme dans toute population, y compris des crimes, mais ici ils ne sont pas supportables car aucun motif "raisonnable" n’est invoqué), on comprendra très vite qu'il faudra aller plus loin. Alors, la "race’" étant désignée, d’aucuns évoqueront une méthode déjà expérimentée pendant 10 ans en Allemagne entre 1933 et 1942 où l'on a "euthanasié" avec les meilleures intentions du monde, 80.000 personnes "afin de leur éviter les souffrances à venir". Cette nouvelle loi prépare ce climat et va laisser venir cela, doucement ! là où il faut simplement écouter ceux qui souffrent grâce à une disponibilité humaine, compétente, libre.
Guy Baillon, psychiatre des hôpitaux
SOCIÉTÉ
Psychiatrie : Bachelot veut faire passer la pilule
Le tout-sécuritaire fait son tour de garde et s’attaque aux hôpitaux psychiatriques. La loi, discutée à l’automne, institue les soins sans consentement et restreint les sorties d’essai.
Le verdict est tombé : ce sera la peste et le choléra. La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a présenté hier la nouvelle loi sur la psychiatrie en Conseil des ministres. Sur demande de Nicolas Sarkozy, après un fait divers dramatique impliquant un malade mental échappé d’un hôpital psychiatrique en 2008, cette loi vise à réformer les conditions d’hospitalisation d’office. Le texte prévoit deux mesures : les soins ambulatoires sans consentement et la suppression des sorties d’essai.
Pour Roland Gori, psychanalyste et professeur de psychologie à l’université d’Aix-Marseille : « Les soins sans consentement contribuent à aliéner davantage le patient, à le destituer de sa citoyenneté. Ce n’est que pure folie de vouloir tout légiférer. Les décisions doivent se prendre au cas par cas par les équipes soignantes, en lien avec le patient et la famille. » Avec la loi, celles-ci appartiendraient à l’autorité publique, après avis médical.
Les « sorties d’hôpital pour les patients placés en hospitalisation d’office », supprimées au-delà de douze heures, seront délivrées par le préfet, muni des conseils d’un collège de soignants, composé de deux psychiatres et d’un cadre infirmier. « La suppression des sorties d’essai ressemble plus à une punition qu’à une solution, au même titre que la détention provisoire dans les prisons. Par ailleurs, l’aberration est totale puisqu’il est aisé de tuer quelqu’un en moins de douze heures. Nous sommes en train de perdre toute notre autonomie, acquise depuis les lois éthiques de Nuremberg », explique Roland Gori.
La loi développe un aspect sécuritaire et une extrême médicalisation des souffrances psychiques. « Le pouvoir nous montre des monstruosités pour légitimer la surveillance de tous. Georg Lukàcs parle à ce titre de pseudo-objectivité. La démocratie libérale développe une conception sociale marquée par le sécuritaire, en utilisant une phraséologie scientifique, mais ce n’est en rien ce qui devrait prévaloir en psychiatrie », ajoute le psychanalyste. Les soins psychiques décroissent au profit d’une surmédicalisation ; le patient s’inscrit dans une marche forcée vers la normalisation, dénonce Roland Gori. « L’hôpital devrait proposer de réels soins psychiatriques, ouverts sur la vie sociale et culturelle, loin de la solubilité dans l’idéologie actuelle du médico-administratif, dans la rationalisation technique et budgétaire. C’est la défense des malades qui compte. » La camisole chimique nous guette-t-elle tous quand les moyens et les personnels font défaut à cause de l’austérité pesant sur l’hôpital ?
Céline Trégon
Roselyne Bachelot affole le monde de la psychiatrie
Créé le 06.05.10
Santé La réforme de l'hospitalisation d'office suscite la controverse
Le Conseil des ministres a examiné hier le projet de loi de la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, sur la psychiatrie. Il doit réformer les conditions de l'hospitalisation d'office et vise, selonLuc Chatel, porte-parole du gouvernement, à assurer « une meilleure prise en charge des patients ». Annoncée en 2008 par Nicolas Sarkozy, après le meurtre d'un étudiant par un malade mental qui avait fugué d'un hôpital psychiatrique, cette réforme est accueillie avec scepticisme par les praticiens. Alain Vaissermann, président du Comité d'action syndicale de la psychiatrie (Casp), regroupant 80 % des praticiens (14 000 en France), regrette que « le souci sécuritaire ait gagné le souci sanitaire ». Le remplacement de la notion d'hospitalisation par celle de soins sous contrainte est pour lui « une façon d'obliger les gens à se traiter même quand ils sont chez eux ».
« Nouveauté désagréable »
Par ailleurs, la loi, qui, selon la ministre, « donne un cadre aux soins ambulatoires sans consentement » irait d'après Alain Vaissermann à l'encontre de la liberté du patient, et ne garantit pas l'efficacité de la prise en charge : « il n'y a pas de meilleur soin qu'un soin consenti ».
Autre pierre d'achoppement, la mise en place d'un collège de soignants chargé de fournir un avis au préfet sur la levée d'une hospitalisation d'office. Une nouveauté « désagréable » d'après le praticien, qui remet en question la légitimité de la décision médicale : « Un médecin prend ses responsabilités. » Le psychiatre juge « outrancier de présenter tout malade comme un danger public. Pourquoi alors ne pas enfermer tous les titulaires du permis », sous prétexte que certains chauffards sont potentiellement dangereux ? Jouer de cette manière la carte “ du tout sécuritaire” peut être contreproductif », poursuit-il. Avant d'avertir : « D'une part, nous risquons d'être plus frileux sur les sorties. D'autre part, plus on enferme les gens, plus ils veulent s'évader. »
Ingrid Gallou
Créé le 06.05.10
Santé La réforme de l'hospitalisation d'office suscite la controverse
Le Conseil des ministres a examiné hier le projet de loi de la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, sur la psychiatrie. Il doit réformer les conditions de l'hospitalisation d'office et vise, selonLuc Chatel, porte-parole du gouvernement, à assurer « une meilleure prise en charge des patients ». Annoncée en 2008 par Nicolas Sarkozy, après le meurtre d'un étudiant par un malade mental qui avait fugué d'un hôpital psychiatrique, cette réforme est accueillie avec scepticisme par les praticiens. Alain Vaissermann, président du Comité d'action syndicale de la psychiatrie (Casp), regroupant 80 % des praticiens (14 000 en France), regrette que « le souci sécuritaire ait gagné le souci sanitaire ». Le remplacement de la notion d'hospitalisation par celle de soins sous contrainte est pour lui « une façon d'obliger les gens à se traiter même quand ils sont chez eux ».
« Nouveauté désagréable »
Par ailleurs, la loi, qui, selon la ministre, « donne un cadre aux soins ambulatoires sans consentement » irait d'après Alain Vaissermann à l'encontre de la liberté du patient, et ne garantit pas l'efficacité de la prise en charge : « il n'y a pas de meilleur soin qu'un soin consenti ».
Autre pierre d'achoppement, la mise en place d'un collège de soignants chargé de fournir un avis au préfet sur la levée d'une hospitalisation d'office. Une nouveauté « désagréable » d'après le praticien, qui remet en question la légitimité de la décision médicale : « Un médecin prend ses responsabilités. » Le psychiatre juge « outrancier de présenter tout malade comme un danger public. Pourquoi alors ne pas enfermer tous les titulaires du permis », sous prétexte que certains chauffards sont potentiellement dangereux ? Jouer de cette manière la carte “ du tout sécuritaire” peut être contreproductif », poursuit-il. Avant d'avertir : « D'une part, nous risquons d'être plus frileux sur les sorties. D'autre part, plus on enferme les gens, plus ils veulent s'évader. »
Ingrid Gallou