Publié le 13 juillet 2023
TRIBUNE
Dans une tribune au « Monde », des professionnels de santé et des acteurs de terrain proposent de changer en urgence les modalités de financement d’un système qui prive de traitements innovants les patients des établissements psychiatriques publics.
Nous, professionnels de santé et acteurs de terrain, faisons le constat des grandes inégalités de santé entre la population générale et les personnes atteintes de troubles psychiques. Alors que la pandémie a eu un impact majeur sur la santé mentale des Français, il est urgent d’agir.
Saviez-vous que les personnes ayant des troubles psychiques sévères peuvent perdre jusqu’à vingt ans d’espérance de vie par rapport au reste de la population ? La raison : une mauvaise prise en charge de leurs pathologies médicales générales. Qu’il s’agisse de dépistage, d’accès aux soins ou de qualité des soins délivrés, les personnes hospitalisées en établissement psychiatrique sont défavorisées. Bien avant les conséquences de leurs pathologies psychiatriques, ce sont les maladies cardiovasculaires et les cancers qui représentent, en réalité, les premières causes de mortalité chez ces patients.
En cause, un sous-financement chronique en psychiatrie conduisant à exercer avec des moyens matériels et humains insuffisants, et sans accès aux traitements innovants, médicamenteux, psychothérapeutiques ou liés au numérique. Nous constatons au quotidien que ces disparités proviennent aussi du mode de financement dans les établissements psychiatriques publics.
Plafond de verre
Dans ces structures, les médicaments et autres produits de santé doivent être financés au sein d’une enveloppe budgétaire contrainte fixée chaque année – la dotation globale de fonctionnement. Cette enveloppe ne peut être dépassée, quels que soient les besoins de traitement effectivement constatés. Le système instaure un plafond de verre limitant structurellement l’accès aux soins médicaux pour ces patients.
Pourtant, avec les mêmes pathologies médicales mais sans les troubles psychiatriques, ils seraient pris en charge dans les hôpitaux généraux sans la même contrainte financière. De plus, l’arrêté du 1er mars 2022 le rappelle : contrairement aux établissements psychiatriques publics, dans les hôpitaux psychiatriques privés, tous les traitements qui ne sont pas liés à la pathologie psychiatrique pour laquelle le patient est hospitalisé peuvent être pris en charge directement par l’Assurance-maladie.
Les personnes prises en charge dans le privé ne sont pas susceptibles de voir leur accès à des médicaments restreint par les contraintes de financement de l’hôpital, quand ceux hospitalisés dans le service public se voient privés de nombreux traitements, notamment les plus innovants, qui sont souvent aussi les plus onéreux. C’est une perte de chances et d’espérance de vie injustifiable lorsque l’on sait que n’importe quel autre citoyen français a un accès garanti à ces traitements.
De nombreuses pathologies affectant l’ensemble de la population française sont concernées, en cardiologie, dans le traitement des cancers ou de certaines maladies chroniques, y compris psychiatriques, comme la dépression sévère.
L’exemple de l’hépatite C est emblématique de ce paradoxe. Cette maladie, autrefois chronique et parfois mortelle, se guérit aujourd’hui en quelques semaines. Les règles actuelles de financement empêchent de donner accès à ces nouveaux traitements aux patients hospitalisés dans un établissement psychiatrique public, alors même que la prévalence de l’hépatite C chez ces derniers est jusqu’à cinq fois supérieure à celle de la population générale.
Des choix cornéliens
De même, les biothérapies, qui ont révolutionné bon nombre de pathologies en régulant la réponse immunitaire, en cancérologie ou encore dans des pathologies rhumatologiques ou dermatologiques chroniques, restent inaccessibles pour les patients hospitalisés dans un établissement psychiatrique public. Cela contraint les équipes de soin et les familles à des choix cornéliens : soigner la pathologie non psychiatrique en mettant fin à l’hospitalisation en psychiatrie, ou renoncer à ce soin en poursuivant cette hospitalisation.
L’enjeu est avant tout humain. Comment peut-on laisser de côté des malades vulnérables alors qu’il existe des traitements à l’efficacité reconnue et dont le reste de la population bénéficie de plein droit ? Comment justifier les difficultés à financer les médicaments et les interventions thérapeutiques innovantes en psychiatrie, à la différence d’autres champs de la médecine ?
Il existe une solution simple face à ce paradoxe : créer une liste en sus « psychiatrie » sur le modèle de la liste en sus « soins de suite et réadaptation ».
Avec une liste en sus « psychiatrie », les établissements de soins psychiatriques publics pourraient bénéficier du remboursement par l’Assurance-maladie de ces traitements, en dehors de la dotation globale de fonctionnement. Les limites du financement uniquement au forfait ont déjà été identifiées dans les services de soins de suite et réadaptation. Cela a conduit à l’instauration prochaine d’une liste en sus spécifique pour restaurer l’accès aux soins des patients. Dans ce contexte, il devient désormais injustifiable de pas appliquer le même raisonnement aux services de psychiatrie.
Il est urgent de rétablir l’équité de traitement entre patients, et que l’accès aux traitements innovants ne devienne pas le grand oublié de la réforme en cours du financement global de la psychiatrie. Professionnels de santé et acteurs de terrain engagés au quotidien dans les soins, nous demandons aux pouvoirs publics d’agir sans attendre pour offrir à tous les mêmes chances de guérison.
Raphaël Gaillard, président de la Fondation Pierre Deniker et du comité scientifique du Congrès de l’encéphale ; Nabil Hallouche, président de l’Association nationale pour la promotion des soins somatiques en santé mentale (ANP3SM) ; Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) ; Benjamin Rolland, professeur d’addictologie, chef de service au Vinatier, à Lyon ; Pierre Thomas, président de la sous-section 49-03 de psychiatrie d’adulte – addictologie du Conseil national des universités ; Pierre Vidailhet, président du Collège national des universitaires de psychiatrie ; Jean-Pierre Bronowicki, président de l’Association française pour l’étude du foie.
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