Par Claire AnéPublié le 22 juillet 2023
De nombreux groupes d’enseignants et de parents d’élèves se sont constitués ou étoffés cette année, occupant souvent les écoles pour obtenir l’hébergement de familles sans abri.
Les écoles ont beau avoir fermé leurs portes voilà deux semaines, les enseignants et les parents d’élèves du collectif Pas d’enfant à la rue, à Tours, sont à nouveau sur le pont. Ils sont même « plus mobilisés que jamais », confie, avec fatigue et colère, Julie (les personnes citées par leur prénom souhaitent rester anonymes), professeure à l’école Michelet : six familles qu’ils accompagnaient ont dû quitter leur hébergement d’urgence ces derniers jours. A Lyon, Raphaël Vulliez et d’autres membres du collectif Jamais sans toit n’ont pas encore baissé la garde. Ils s’inquiètent pour la cinquantaine d’occupants, enfants compris, du gymnase Bellecombe, et devaient participer à un gala pour les soutenir, samedi 22 juillet.
En neuf années d’existence de Jamais sans toit, Raphaël Vulliez n’avait pas connu une mobilisation aussi massive, et aussi longue, en faveur des élèves à la rue : des collectifs se sont constitués ou étoffés dans une quinzaine de villes ; ils se sont fédérés au sein du Réseau d’aide aux élèves sans toit ; ils ont organisé des goûters solidaires, lancé des cagnottes en ligne pour payer des nuits d’hôtel aux familles concernées, interpellé les pouvoirs publics ; ils ont occupé leurs établissements scolaires, pendant plusieurs semaines ou mois, afin d’y héberger, le soir après la classe, élèves et parents qui n’avaient pas d’autre solution que la rue. « Ce n’est plus comme avant, quand il y avait moins d’enfants concernés et qu’on obtenait des mises à l’abri en quelques jours d’occupation d’école, se rappelle M. Vulliez, qui est enseignant du quartier de la Croix-Rousse. Fin juin, nous avons dénombré 328 enfants à la rue dans la métropole lyonnaise, ce qui est inédit. »
Lyon et les autres métropoles n’ont pas été les seules à éprouver la saturation de l’hébergement d’urgence, pourtant porté à un niveau record cet hiver, avec 205 000 places ouvertes chaque soir. A Tours, « nous avons été plusieurs professeurs à découvrir au printemps que de plus en plus d’enfants de nos classes, pourtant très discrets, passaient les nuits dehors, à la gare ou aux urgences », témoigne Vanessa, qui enseigne le français à des collégiens dont ce n’est pas la langue maternelle. « Quand on a compris que des camarades de nos enfants étaient dans de telles situations, c’est devenu très concret. Monter ce collectif était aussi une façon de soutenir les enseignants », raconte Roman, professeur d’université dont le fils est scolarisé à l’école Michelet.
« Un petit miracle »
Vincent, enseignant de CP, n’en pouvait plus « des soirées atroces dans la salle des maîtres, à essayer d’appeler le 115 et à se sentir démunis. A partir du moment où on s’est dit : “Si on ne trouve pas d’hébergement à une famille, on dort là, avec elle”, ça a tout changé ». Ils ont été une cinquantaine à s’investir – tous les enseignants de l’école Michelet, ceux d’autres établissements, ainsi que des parents d’élèves. Et quelques-uns ont accepté de livrer le récit de cette aventure, un soir de début juillet, à l’école Michelet toujours.
« Ce collectif citoyen, non politisé, avec beaucoup de gens qui s’engageaient pour la première fois, c’est un petit miracle et on peut être fiers », estime Gaëlle, mère d’élève. « D’autres parents ne pouvaient pas autant s’investir, mais ils ont offert des matelas, des couvertures, et tant de nourriture qu’il a fallu leur demander d’arrêter », sourit Camille, représentante des parents d’élèves. Hommage est rendu à la maman graphiste qui a dessiné le logo du collectif, aux agents de ménage de l’école, « qui ont soutenu ces occupations, même si elles perturbaient leur travail », et à l’association qui a confectionné des repas avec des adolescents du quartier.
Ils se remémorent aussi leurs journées d’actions : ils ont installé un village de tentes dans la cour de l’école, organisé un happening avec des lits pour bébés devant la mairie, jalonné la visite du préfet d’une multitude d’affiches ou encore interrompu le conseil municipal. Quel moment les a particulièrement marqués ? « Quand l’une des mères accueillies à l’école, Estelle [il s’agit d’un prénom d’emprunt], a décidé de prendre la parole à la mairie. »
Estelle accepte de dérouler son histoire, dont le collectif tourangeau a changé le cours. Elle a fui l’Angola parce que son mari, qui la battait, refusait que leurs enfants aillent à l’école. Elle a obtenu la protection subsidiaire de la France pour violences conjugales, trouvé du travail comme agent de maintenance, effectué des demandes de logement social. Ses appels au 115, quatre fois par jour, chaque jour, lui ont permis une seule fois d’obtenir des places. La famille se serrait dans sa voiture, chaque nuit. « Je pensais pouvoir m’en sortir seule. Mes enfants non plus ne voulaient pas qu’on sache comment on vivait. Mais mon fils disait qu’il n’en pouvait plus, qu’il voulait se suicider. Il se faisait du mal… », dit-elle, presque sans trembler. Elle a fini par se confier à la maîtresse, qui l’a orientée vers l’école Michelet. « On a dormi là-bas six nuits. Après mon intervention à la mairie, on a été logés trois semaines par le 115, puis on nous a donné les clés d’un appartement. C’est devenu notre palais. Les gens du collectif ont sauvé la vie de mon enfant. »
« Beaucoup de fatigue »
En tout, trois familles ont obtenu un logement HLM, et beaucoup d’autres un hébergement durable. Mais les sollicitations sont allées croissant. « Les travailleurs sociaux qui ne trouvaient pas de places nous considéraient comme l’ultime recours », se souvient Camille. Il a fallu décider de réserver l’hébergement à l’école aux élèves dont les enseignants participaient au collectif, quitte à accueillir chez soi d’autres familles sans solution. Surtout, des conversations avec les équipes du 115 ont semé le malaise. « On nous a fait comprendre que les familles qu’on aidait étaient devenues prioritaires pour l’hébergement d’urgence. Et que cela obligeait à refuser un toit à des mères qui sortaient de maternité », relate Marie, enseignante.
Début juillet, le collectif a tiré un premier bilan. « En moins de trois mois, on a assuré cent une nuitées à l’école. C’est cent une fois où une personne a évité de dormir dehors », a salué Camille. Le choix a été fait de laisser l’établissement fermé durant l’été. « C’est une décision très difficile, mais il y a beaucoup de fatigue », a rappelé Vincent. « On a fait notre job d’alerter les pouvoirs publics. Nous ne sommes pas là pour nous substituer à eux. C’est leur rôle d’assurer un accueil inconditionnel des personnes vulnérables », a fait valoir Roman.
« Personne ne s’attendait à un été tranquille, mais on n’imaginait pas que onze des quatre-vingt-dix enfants que nous suivons seraient remis à la rue moins de deux semaines après la sortie des classes », reconnaît Julie, contactée par téléphone le 21 juillet. La jeune enseignante est tombée des nues quand la préfecture lui a annoncé organiser « une rotation [de l’hébergement] de telle sorte qu’à un même niveau de vulnérabilité, cela ne soit pas toujours les mêmes familles dans cette difficulté » d’être à la rue.
Sollicitée par Le Monde, la préfecture indique que cette rotation est mise en œuvre pour près de quatre cents personnes chaque semaine. Ce qui va à l’encontre de la continuité de l’hébergement prévue par la loi.
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