Le débat public sur la fin de vie aborde avec prudence la question de l'euthanasie
Le Monde.fr | Par Mathilde Gérard (envoyée spéciale à Besançon)
Peut-on organiser un débat vraiment citoyen et démocratique sur une question aussi délicate que la fin de vie ? Ce dilemme a traversé toute la journée de rencontres organisée sur le sujet à Besançon, mardi 30 octobre, avec un constat : il est difficile d'attirer des personnes qui ne viennent pas des milieux médical, sanitaire ou social sur ces questions. "Il y avait des personnes inscrites comme 'lambda' qui masquaient des professionnels. Et des personnes qui se présentaient comme des professionnels qui masquaient des 'lambda'", résume une participante. Car quand il est question de mort, le discours intime se mêle au discours social ou professionnel.
Besançon est l'une des dix étapes du "tour de France" que le professeur Didier Sicard, à qui François Hollande a confié en juillet une mission de réflexion sur la fin de vie, entreprend cet automne pour recenser toutes les questions posées par les citoyens et définir les contours d'un vaste débat public. L'objectif affiché par cette courte mission, dont le rapport sera rendu le 22 décembre, est de sortir de la parole des experts et des "sachants", traditionnellement consultés sur ces questions, pour aller à la rencontre d'une parole plus ouverte, et permettre par la suite d'ouvrir un débat plus serein.
A mi-parcours de cette consultation nationale, le professeur Régis Aubry, directeur de l'Observatoire national de la fin de vie et membre de la mission Sicard, estime que l'objectif de sérénité est atteint –"chacun a pu s'exprimer et débattre sur des questions extrêmement complexes", avance le directeur de l'unité douleur-soins palliatifs du CHU de Besançon –, mais celui d'une participation plus large au débat relève encore du défi. En grande majorité, les participants à ces journées sont des soignants, accompagnants bénévoles ou militants du droit à choisir sa mort et traitent dans leur quotidien de la fin de vie.
UN DÉBAT ENCADRÉ
D'autant qu'à Besançon, le débat était davantage cadré que dans d'autres villes : il se tenait en semaine, et non les week-ends comme tous les autres débats, et il nécessitait de s'inscrire plusieurs jours à l'avance à des ateliers qui se sont tenus à huis clos. La centaine de participants, tous issus des milieux associatifs ou professionnels, étaient répartis par groupes de onze à vingt-cinq dans cinq ateliers sur des thèmes spécifiques : "Comment respecter les souhaits réels des personnes qui vont mourir ?" ; "Quelle valeur donner aux directives anticipées concernant les personnes qui ne peuvent exprimer leur volonté ?" ; "Quelles sont les alternatives au maintien à domicile ou à l'hospitalisation ?" Pas de médiateur, à chaque groupe de gérer les échanges pendant un peu plus de 2 heures et de désigner un rapporteur qui en restituerait les contenus dans l'après-midi en séance plénière.
Lors de ces restitutions, certains doivent se faire violence, rapporter des positions qui ne sont pas les leurs, mettre en avant les sujets qui ont fâché. Une rapporteuse d'un des ateliers évoque le regret que les directives anticipées formulées par des patients ne soient pas toujours respectées par le corps médical. Un autre participant précise aussitôt :"En fait, il y avait deux positions dans notre atelier : l'une pour que les directives soient strictement appliquées, et une autre, largement majoritaire, soulignant que la volonté d'un patient peut évoluer et qu'il y a un risque à les appliquer systématiquement." Un accompagnant bénévole témoigne : "Certaines personnes peuvent avoir envie de mourir le matin, mais si dans la journée, on prend le temps de déjeuner et passer du temps avec elles, l'envie de continuer à vivre l'emporte ; et puis le soir, avec le retour des angoisses ou des douleurs, le souhait d'en finir revient."
L'EUTHANASIE, UN TERME PEU DISCUTÉ
Dans un des ateliers, une participante évoque le cas de Français qui partent à l'étranger, en Belgique ou en Suisse notamment, pour pouvoir mourir avec assistance : "Il faut en avoir les moyens. Cela crée une inégalité face à la mort sur notre territoire." Mais face à un groupe majoritairement hostile à toute aide active à mourir, cette adhérente de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité préfère ne pas trop insister sur le thème du suicide assisté.
Etonnamment, le terme euthanasie est quasi absent des débats. Par pudeur ou par crainte de prononcer un mot qui suscite les passions, les intervenants évoquent plutôt les "demandes de mort" des patients, sans s'engager dans le débat sur la façon d'y répondre. C'est le professeur Régis Aubry qui relance les participants sur l'euthanasie, en évoquant les législations étrangères, aux Pays-Bas, en Belgique ou dans l'Etat de l'Oregon, aux Etats-Unis, qui a légalisé le suicide assisté en 1997. Mais la salle parle d'autres problèmes : les tensions dans les familles, les difficultés que rencontrent les professionnels, le manque de structures adaptées, la nécessité de créer de nouvelles solidarités quand les familles se disloquent, que le vieillissement s'accroît, ou que les enfants partent parfois avant les parents.
Cette consultation itinérante sur la fin de vie a le mérite de montrer que la question déborde largement le débat médiatique sur l'euthanasie. Au point parfois d'être trop prudente sur cette question ? Patrick Bontemps, médecin cancérologue, également élu au Conseil régional de Franche-Comté, regrettera en fin de journée que la mort assistée ne soit pas davantage au cœur des échanges, alors que de plus en plus de livres ou films posent cette question. "J'y vois peut-être un décalage entre cette assemblée et le reste des citoyens", analyse-t-il.
"Dans cette salle, nous recueillons la parole de tous ceux qui interviennent auprès des personnes en fin de vie, mais nous n'entendons pas la voix de ces dernières", s'étonne encore un bénévole du réseau d'accompagnement Jusqu'à la mort, accompagner la vie(Jalmalv). Les représentants de la mission Sicard acquiescent et soulignent qu'il faudrait se déplacer dans les unités de soins palliatifs, dans des établissements pour personnes âgées et dépendantes ou à domicile.
"LA VIE, PREMIÈRE DES MALADIES INCURABLES"
Regrettant l'absence d'un auditoire plus large, un intervenant souligne :"N'oublions pas que la vie est la première des maladies incurables. Zéro survivant. Cela nous concerne tous." Un représentant d'une association de malades explique avoir organisé récemment un débat sur la fin de vie dans un village de 4 000 habitants du Haut-Doubs : "23 personnes se sont déplacées. Le lendemain, un débat s'est tenu. Cette fois, il était intitulé 'vieillir est une chance' : 130 personnes sont venues. Quelques jours plus tard, un salon du vin était organisé : il y a eu 2 300 participants. C'est dire si les questions de fin de vie intéressent."
Régis Aubry reconnaît que le public est orienté, mais loue la qualité des échanges. "Toutes les opinions exprimées seront dans notre rapport. Notre effort est de thématiser, catégoriser ces échanges pour poser les bases d'un débat public." Et malgré une forte présence de soignants dans l'auditoire, le professeur retient de cette journée d'échanges une forte méfiance envers la médecine comme institution.
A l'issue de cette journée, deux sujets font consensus : le besoin de pédagogie, tant vis-à-vis des citoyens que des professionnels, et la nécessité de poursuivre le débat, car chaque question posée en soulève de nouvelles. "Il ne faut surtout pas apporter de réponses trop rapides, estime Régis Aubry, qui émet un vœu : surtout, surtout, que la loi ne vienne pas avant le débat public." Aux Pays-Bas, la dépénalisation de l'euthanasie en 2002 a été précédée de 20 ans de débat public. La mission Sicard, elle, a 3 mois pour remettre son rapport. Nul doute qu'elle ouvrira plus de questions qu'elle n'apportera de réponses.
Consulter le calendrier des prochains débats publics sur le site du ministère de la santé
Mathilde Gérard (envoyée spéciale à Besançon)
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